Fougères de jadis
A ce perron mouillé par
La pensée du soir.*
La pierre, assise au bord de mon regard
Fait face à mon silence.*
Le vide est le sourire de l’heure
Dans la splendeur du temps.
Soudain la neige, infiniment,
Immémoriale sans horizon.
Ce monde, buée d’énigme
Et de distance
Où l’avancée d’un voyageur.*
Dormant à signe ouvert
Dans la maison de l’altitude.
Le pur est chandelier
A la rosée du petit jour.*
Rêvant par sa fumée,
La terre sourit à l’incolore.
Chemins ouverts pour la disparition.*
Premier matin d’hiver.
Le monde est seul
Comme il le fut toujours.
Chaman Fougère
Le grand léger joueur de source
Rassemble les pollens
Entre les mains du jour venant.Il danse entre les pierres
Avec la brise et son roseau
Sous le désert de l’Un.Tous les oiseaux de l’aube
Eclosent à sa lisière
Quand il fait face au videEn devenant feuillage,
Herbe d’étoile
Et sable de lumièreNaissant au très lointain château de l’impossible.
(Samedi 24 Décembre 2016, 19h17)
Tu entres en ton regard
Loin devant toi, selon l’ouvert,
Avec un pin,
Bleuté par le silence,
Qui se retourne et signe le passage
Sur l’autre versant nu la lumière,
Parmi les eaux naissant de grands
Rochers limpides
Assis dans l’herbe fraîche,
Les yeux tournés vers ce lever d’espace
Où le pinceau des monts successivement formés
Ouvre les seuils.(Dimanche Premier janvier 2017, 16h24)
Cheminant par l’ailleurs
Avec les pas de la lumière
Et l’invisible compagnon
Qui sourit aux lisières,
Tu traverses un feu pur
Où tremble ce visage
Imaginant une aube.Alors, la fine enfant de la pâleur,
Entre les herbes de l’attente,
Redevient source et roche,
Maison de l’épilobe.(Lundi 9 Janvier 2017, 18h51)
Quatre en un Seul, plus un envoi, poèmes pour Abigail Stern
(Sur une œuvre intitulée : Lotus Sutra : Rain of Mandarava, 2013)I
Lotus est un chemin de riz dans le silence,
Blancheur de la parole qui se déroule
Comme un ruban de linge, entre linceul et langes.II
Le seuil est neige,
Membrane émue de fin papier
Limpide
Où les étoiles idéogrammes
Ont brodé ce visage.III
La pluie rêvée de Mandarava,
Pluie noire et or comme les ardoises
Incrustées de fougère.IV
Souviens-toi de la pluie,
Tandis que neige
Sans fin dans le silence
Le mot écrit de tes cheveux
Pour le lotus.
Envoi
Cet Ange est un chemin jusqu’au regard
Visitant le matin.
Entend son pas tissé sur la lumière.(Dimanche 15 Janvier 2017, 14h46)
Ta lampe orage,
Fuji de bleu basalte nuit,
Livre passage
A ce battement du cœur,
Chardon de neige
Devenu foudre circulaire
D’un signe net à l’absolu.De cet instant,
Le chiffre
Pur
Autour de son blason,
Tandis que silencieuse,
L’horizontale adoration
Devient sauvage épouse
Des eaux
Devant l’immense
Qui se lève en naissant
Selon le sombre amour(Dimanche 15 Janvier 2017, 19h18)
Pour Sabine Péglion, à l’occasion de son anniversaire
Peu à peu les pétales
Délivrent la lumière,
Ouvrant jardin flottant
Sur le vitrail de la fraîcheur.
Le monde est ce regard des souriants
Qui l’innocentent et restituent
La beauté proche
En son mystère.(Mardi 17 Janvier 2017, 17h34)
Pour Esther Szac
Suivre la folie bleue de l’herbe
En sa lumière,
Avec tout le tremblé de l’heure
Qui monte en un seul chant d’irisation,
Jusqu’au parfum.(Mardi 21 Février 2017)
Si la lumière devient selon les rives,
Elle a la forme d’un matin
Ouvrant les paumes à la montagne fine
Et sa fumée,
Lenteur mentale
De la beauté
Sur les eaux lisses
Et le double visage
De l’unité.(Mercredi 22 Février 2017, 8h23)
L’amour de ce visage
Habite le lent volcan des roses
Qui se souviennent avant la nuit.
Demeure sa fine aura,
Sourire se dispersant sur l’air,
Tandis que monte en profondeur
Un parfum silencieux.(Samedi 27 et Dimanche 28 Mai 2017, 17h57)
Mini-entretien avec Marc-Henri Arfeux par Clara Régy
Face à une telle production et surtout une approche aussi multiple ou plutôt multipliée de l’art, peinture, musique, photographie, romans, poésie, on ne peut que se demander la place que tient cette dernière et si au fond elle existe « seule » ou toujours (bien) accompagnée ?
La poésie est pour moi première et n’a besoin d’aucun accompagnement pour être, ou alors elle n’est pas. A condition bien sûr de ne pas la confondre avec les limites étroites de la seule écriture, même si celle-ci dans notre tradition littéraire en est le creuset initial et même le lieu fondamental – ce qui revient pourtant à oublier qu’à l’origine, la poésie est chant, inséparable de la musique, chez Homère ou les Troubadours par exemple. Peinture, musique, récit, photographie sont des manifestations de la poésie et constituent à mes yeux les facettes d’une seule et même quête.
Je sais qu’en France, l’approche multiple déconcerte car notre pays a une tradition de l’unique en chaque activité, si bien que travailler simultanément sur plusieurs registres a quelque chose d’un peu suspect : au mieux on craindra pour celui qui s’adonne à un telle pratique qu’il ne « se disperse », au pire on verra en lui un « touche à tout ». Dans les autres pays européens, au Japon, aux Etats-Unis ou au Canada on dirait de lui qu’il est un « artiste multimédia ». La France a de ce point de vue une vision des choses un peu datée.
Pour moi, la poésie est une en plusieurs, comme une petite flotte de navires qui voyagent parallèlement les uns aux autres vers des terres inconnues. Ses différentes formes explorent des régions qui correspondent aux aptitudes propres de la parole, de l’image, du son, etc. Cela me fait aussi penser à une sonde spatiale dotée de nombreux instruments de mesure : chacun d’entre eux capte certaines dimensions des mondes qu’elle visite. Constellation de navires et sonde spatiale, la poésie est tout cela en son cristal explorateur.
Tout ceci suppose beaucoup de recherches, rencontres et autres découvertes, quels sont les poètes (puisqu’il s’agit bien d’eux ici) qui font (ou ont fait) partie de votre univers ?
J’aurais du mal à établir une liste exhaustive ou définitive, le répertoire des auteurs intimes évoluant sans cesse au fur et à mesure des découvertes, relectures, rencontres, révélations. Prenons le nom de poète au sens le plus courant. Il y en a tant, des poètes grecs aux plus contemporains. Par exemple, cette année a été marquée pour moi par la découverte de l’œuvre de Roselyne Sibille qui m’a aussitôt touché profondément, au cours d’une lecture commune organisée par Sabine Péglion, autre poète dont j’adore l’œuvre toute en confidence et en expectative émue devant l’étrangeté de nos vies.
Je suis arrivé à cette lecture légèrement en retard du fait de circonstances anecdotiques et suis entré le plus discrètement possible dans la salle où avait lieu la rencontre, tandis que Roselyne disait ses poèmes et j’en ai été aussitôt si ému que j’ai eu le sentiment d’être accueilli par une limpidité d’énigme où je me retrouvais. C’est pour moi un très juste exemple de ce que peut-être une vraie rencontre poétique, par le verbe, par son incarnation, par la présence du poète qui a formé ce cercle de lumière et le présente.
J’aime d’une façon générale les écritures au féminin : Angèle Vannier, poétesse trop oubliée qui a su faire de sa cécité un chemin d’exploration intérieur, au point de l’avoir considérée non comme un malheur mais un don fondamental, Anne Perrier, dont les jardins familiers sont autant de sources d’interrogation vibrante, à partir du plus ténu, du plus simple et du plus réel.
Je ne nommerai pas les contemporains célèbres en qui tout poète se retrouve nécessairement, à l’exception peut-être de Pierre Jean Jouve dont l’œuvre est moins souvent citée aujourd’hui que celle de quelques autres, alors qu’elle est à mes yeux majeure. Et puis Jouve est de ceux pour qui justement il n’y a aucune différence entre ce qu’on appelle traditionnellement la poésie, le roman, la musique et la peinture. Baudelaire, Nerval, Rimbaud, allant de soi, je n’en dirai pas plus à leur sujet, car je ne ferais que répéter moins bien que beaucoup d’autres avant moi ce qu’on en sait déjà.
Je préfère évoquer les poètes japonais, notamment ceux de cette lointaine et merveilleuse ère de Heian qui, autour de l’an mille, a su faire naître un monde inégalé où s’expriment d’ailleurs de nombreuses voix féminines. La poésie médiévale japonaise a un sens de l’intemporel qui me bouleverse, comme le ferait le retour inopiné d’un souvenir auquel on n’avait plus songé depuis des décennies. Chaque fois que je lis par exemple ces vers de l’empereur retiré Juntoku, j’éprouve un sentiment d’absolue coïncidence avec l’auteur dont je ne sais pourtant rien d’autre : « Les fougères / au pied de l’auvent du palais/ m’ouvrent un temps passé/ qu’aucune rêverie n’épuise ».
L’écriture poétique vient-elle ou surgit-elle à des moments précis voire ritualisés ?
Je ne sais pas. J’ai tendance à penser que la poésie est toujours là, comme la substance de l’air que nous traversons, plongés dans nos pensées, nos projets, nos actions et nos rêveries. Soudain, la forme d’un objet, mental ou réel, la manifestation de la lumière qui s’y glisse, en révèle la présence, faisant apparaître ce qui demeurait jusqu’alors invisible du fait de sa transparence. Quand cela se produit, il en naît aussitôt un sentiment d’évidence absolue, comme un signe de mutuelle reconnaissance. Il faut alors, autant qu’il est possible, circonscrire ce mystère et le réverbérer avec exactitude.
Parfois, on va au devant de cette rencontre, on la sollicite par le commencement d’une formulation, mais rien ne se passerait sans la réponse de ce qui par nature excède le langage et peut seul métamorphoser celui-ci. Si la parole qu’on s’efforce d’ouvrir de cette façon ne parvient pas à témoigner avec justesse de ce dont elle veut rendre compte, il n’y aura que des mots inertes et inutiles. Leur enchaînement mécanique est malheureusement ce qu’il y a de plus facile à produire. Il faut donc se garder de cette tentation et préférer le peu d’une offrande longtemps cherchée aux beaux systèmes qui marchent tout seuls comme un train sans conducteur précipité vers une falaise.
Le poète au fond me fait penser à un voyageur des seuils qui s’éveille à l’aube en haute montagne, au repli d’un col, très loin de tout par la force des choses. Il n’y a autour de lui que le plus simple : un peu de vent pur, le ciel naissant à perte de vue, l’abri de quelques pierres au creux duquel il rassemble les braises et souffle doucement sur elles afin de ranimer le feu dans la première lumière, celle où les flammes se voient à peine mais n’en sont pas moins là, fidèles et attentives.
Et dernière question si vous voulez : toujours un peu difficile (peut-être même ridicule), si vous deviez définir la poésie en trois mots quels seraient-ils ?
Voyage, énigme et lumière.
Marc-Henri Arfeux est né à Lyon le 24 février 1962. Docteur en lettres modernes, il enseigne la philosophie à Lyon. Poète, essayiste et romancier, il est également compositeur de musique électronique et peintre. Ces trois pratiques participent d’une même interrogation du monde et de son énigme.
Bibliographie sélective
- Approche de Manhattan , roman, Editions Blanc Silex, Moellan sur Mer, 2001
- Salah Stétié Poète d’aujourd’hui , essai suivi d’une anthologie, Editions Seghers, Paris, 2004
- Dora Bruder de Patrick Modiano, édition commentée, en collaboration avec Bruno Doucey, Collection Bibliothèque, Editions Gallimard, Paris, 2004
- Le Premier homme d’Albert Camus, édition commentée, Coll. Bibliothèque, Editions Gallimard, 2005
- New York , anthologie commentée, Coll. Bibliothèque, Editions Gallimard, Paris, 2006
- Dévastation de la Tendresse , poèmes, livre d’artiste, avec le peintre Robert Lobet, Editions de la Margeride, Nîmes 2008
- Lueur par le silence , poèmes, livre d’artiste, avec Robert Lobet, Editions de la Margeride, 2009
- Cathédrale de Sienne , poèmes, livre d’artiste, avec Robert Lobet, Editions de la Margeride, 2010
- Patience de l’horizon , poèmes (Prix Karl Bréheret), Editions Souffles, Montpellier, 2010
- Suspens du visiteur , poème, livre d’artiste, avec Robert Lobet, Editions de la Margeride, 2012
- Corps de logis , poèmes, livre d’artiste, avec Robert Lobet, Editions de la Margeride, 2013
- Ölöhn , récit, avec Robert Lobet, Editions de la Margeride, 2013
- L’Ambassadeur , récit (Prix Gaston Baissette), récit, Editions Souffles, 2014
- L’Eloignement , récit, Editions du Littéraire, Paris, 2014
- Velours de l’horizon , poème, livre d’artiste, avec Robert Lobet, Editions de la Margeride, 2016
- Connivences 3 , poèmes, textes et peintures, livre d’artiste, avec Felip Costaglioli et Robert Lobet, Editions de la Margeride, 2016
- Saison de la distance , poème, livre d’artiste, avec Marina Boucheï, Limal, mars 2016
- Selon l’attente , poème, livre d’artiste, avec Marina Boucheï, mars 2016
- Veillant l’ailleurs , poème, livre d’artiste, avec Marina Boucheï, septembre 2016
- Redevenant visage , poème, livre d’artiste, avec Marina Boucheï, septembre 2016
Au cours de l’année 2016 : de nombreux livres d’artiste avec notamment Danielle Berthet, Aaron Clarke, Eric Demelis, Claire Deville, Marie-Jeanne Faravel, Françoise Giraud, Thierry Lambert, Emmanuel Merle, Max Partezana, Carole Penin, Thésée, etc.
Certains ont rejoint les collections du Livre pauvre, de Daniel Leuwers.
- Le pas de l’œil , poème, livre d’artiste, avec Marc Granier, Editions les Monteils, Roquedur en Cévennes, février 2017
http://www.marchenriarfeux.net
http://marchenriarfeux.canalblog.com