Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Hervé Martin

mardi 2 janvier 2018, par Cécile Guivarch

Paroles rescapées

Une éventualité

Je me souviens
au lendemain de la catastrophe

aucune éventualité
rien ____ n’avait été écarté

ni celle d’évacuer Tokyo
et ses vingt millions d’habitants

Mesures

Pour combattre
les effets désastreux des radiations
une mesure prise par le gouvernement japonais
fut de modifier la norme
du taux maximum d’irradiation
admissible

Les enfants restèrent alors
libres de jouer dans les prés
et sur les rivages de Fukushima

mais pour combien de temps

De l’expérience

Dans la campagne alentour
le long des rives océanes
dans les cimetières érigés en hauteur

Depuis des générations
les stèles des ancêtres sont des marqueurs
de plus de six cents ans

Dans leur silence tutélaire
à qui veut les entendre
ils augurent de leurs présences
qu’il n’aurait pas fallu construire plus bas
que le bas de leurs os

Quels obscurs oublis
ont emporté les fruits
de l’expérience humaine

Oubliés

La ville de Namié
qui fut peuplée de vingt mille habitants
est devenue une ville sans âme

Le jour de l’explosion
un vent silencieux a poussé le nuage
vers la mairie annexe
située à l’écart de la ville

Le système de sécurité
à pourtant déclenché l’alarme

Mais dans la panique
et la peur du moment
personne n’a prévenu quiconque
du danger imminent

Oubliés nous fûmes oubliés
aujourd’hui irradiés

Rien n’y fera

Tout l’or de la terre
n’y fera rien

Toutes les fortunes du monde
resteront impuissantes

Aucun gouvernement
ni le règlement des indemnités d’assurances
ne parviendront à résorber la perte

Pas plus les politiques
que les technocrates réunis

Ni leurs discours
et traîtresses promesses

Rien ne nous rendra
notre vie d’avant la catastrophe

Rien ne nous rendra
notre santé ____ notre joie

Deuil

Comment faire le deuil d’un pays
dont on ne foulera plus le sol

Comment imaginer ne plus revenir
le cœur léger la mine joyeuse
dans cette région
où les parents et les aïeux vécurent

Comment vivre
privé de cette terre d’enfance
loin du territoire de mémoire et de cœur
Comment faire le deuil du pays

Petit entretien avec Clara Regy

Comme vous pourrez le découvrir, ce questionnaire se trouve être en quelque sorte la suite de celui que nous avions réalisé pour accompagner Au plus près du visage...

Ton écriture a-t-elle « changée » ?

Les poèmes de Au plus vrai du visage parus en 2016 sur Terre à ciel approchent les traits d’une représentation intime. Ils ne sont pas de même nature que ceux extraits du projet d’un livre sur la catastrophe de Fukushima qui paraissent aujourd’hui. L’écriture est le fruit de tensions du corps et d’émotions diverses. Elle tente de trouver la forme la plus adaptée au poème.
Selon les thèmes, la forme de l’écriture peut changer.

Certains poèmes puisent leurs sources dans les souvenirs et la mémoire intime. Ils sont liés à des émotions qui (re) viennent tirailler le corps dans son quotidien. D’autres poèmes sont suscités par divers événements de la vie et des émotions différentes. La poésie peut se saisir de toutes sortes de sujets. L’écriture doit trouver une forme, un rythme... en adéquation avec ce qui est éprouvé et l’objet de son origine. Le poème peut varier dans son expression.

Ton texte sur la catastrophe de Fukushima m’amène alors à cette question : le poète se doit-il d’être « témoin du monde » ?

Pour reprendre une de tes interrogations, je me sens témoin du monde et solidaire de mes congénères. D’abord, comme homme mais aussi comme poète. Et avec ce projet sur Fukushima dont la catastrophe m’a bouleversé, j’exprime avec la poésie un recueillement, un hommage. A distance c’est vrai ! Mais en évoquant d’ultimes instants avec empathie pour ne pas oublier l’être dans sa détresse.

Aujourd’hui avec les réseaux sociaux et notre société médiatique, nous sommes des témoins directs des événements du monde. On ne pourra plus dire : on ne savait pas !

Peux-tu pour terminer nous présenter tes dernières collaborations et autres projets en cours de réalisation ?

Le mois de mai 2017 a vu l’exposition La Forêt dévoilée se tenir à La Lanterne de Rambouillet (78). Elle fut l’occasion d’une belle collaboration avec plusieurs artistes peintre, sculpteur, photographe et musicien * réunis autour du thème. A l’issue de cette exposition, où mes poèmes furent dits par des comédiens lors du vernissage, le projet d’un livre est né. Il devrait paraître en 2019 sous le titre Recouvrer le monde.

Depuis la fin de l’été 2017, je suis en résidence d’écriture dans le laboratoire de la scientifique Hélène Brogniez qui travaille sur le cycle de l’eau dans l’atmosphère au LATMOS de Saint-Quentin-en-Yvelines. Une résidence d’écriture dont l’objet est de réunir un(e) scientifique et un(e) poète. Une initiative Des Itinéraires poétiques de Saint-Quentin-en-Yvelines que dirige Jacques Fournier. Après Claude Ber qui avait initié la formule, c’est la deuxième session des Poéziences. La seconde résidence de cette année réunit aussi la poète Irène Gayraud et le chercheur Hervé Guillou. Je suis ravi de participer à cette résidence qui allie science et poésie. L’écriture est en cours... La restitution des textes aura lieu le 6 mars 2018 à la Bibliothèque Universitaire de Guyancourt.

* : Véronique Arnault, Peintre plasticienne ; Isabelle Fauve-Piot, Sculpteur et céramiste ; Jean-Claude Bugny, Photographe ; Charles-Edouard Platel, Musicien.


Né en 1953 à Igny Hervé Martin vit aujourd’hui près de Rambouillet. Il a été travailleur social au sein d’un ESAT. Jusqu’en juin 2015 il a dirigé la revue de poésie Incertain Regard qu’il a créée en 1997. Membre de son comité de rédaction, il exerce régulièrement une activité critique. Édité dans de nombreuses revues Contre-allées, Diérèse, Le journal des poètes, Le Mâche-Laurier, Le Nouveau Recueil, Phoenix, Zone Sensible… il est l’auteur de plusieurs livres dont Dans la traversée du visage en 2017 aux Éditions du Cygne. Depuis l’automne 2017, il participe à la résidence de création PoéZiences organisée par Les Itinéraires poétiques.
Site internet.

  • Dans la traversée du visage. Éditions du Cygne. 2017
  • Métamorphose du chemin. Éditions Éclats d’encre. 2014
  • Comme une ligne d’ombre, gravure de Marc Giai-Miniet. Éditions du nain qui tousse. 2013
  • J’en gage le corps. Éditions de L’Amandier. 2011
  • Au plateau des Glières, gravures de Valérie Loiseau. Éditions de La Lune Bleue. 2011
  • Et cet éprouvé des ombres. Éditions Henry.2009
  • Lettres. Collection Franche Lippée N° 263 - Plaquette - Éditions Clapas. 2005
  • Toutes têtes hautes. Éditions Henry. 2004

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