Sept poèmes sur l’adieu
I
ce n’est pas venu
l’absolue bonté du soir là-bas
sous le front digne de la falaiseles corbeaux les grands corbeaux de soif
ont emporté les mots d’été
je suis resté avec l’ombrede plomb et de pierre
II
mère le ciel est partiton corps au souffle absenté
sur l’aile du cygne
en crosse de fougère
ta main sans caressefenaison des ombres
ici rien
III
petite blessure chérie
que j’enrobe de mots
ô mon frisson d’épine
abruti de caresses
tu me laboures l’échine
visage de plaie contre ciel
quand moi je ravaude
toutes cendres fumantesle temps d’auparavant
IV
et encore tout petits et encore
insensiblement ils amenuisent
les noms vides des cœurs vides
qui tombent de soi
écailles mortesmais de plus en plus
un lambeau de ciel
émergé des corps cheminant
des lèvres immensément soyeusesm’arrive si pâle
son bleu de promesse
en l’absence de
V
avec de l’oiseleur
la triste fièvre
on battra le rappel
on ramassera contre soi
ses membres compagnons
le scintillant le brisé
l’azuré et le vineux
tous ceux qui
se réclament de nous
firent substancel’écume du peu
VI
cette rose
porte une parole orpheline
à peine est-elle encore
rose
tant son verbe heurte la terre
foudroie les grappes oubliées
son parfumle temps qui vient après la mort
VII
d’où
ces traits de la vieille pluie
qui hachent qui pèsent
aux nuques
qui rêvent qui flambentautant de froidure
à nos visages agenouillés
aucun ne laisse
passer le jour ni ne prend
paroleplus aucun
Entretien avec Clara Regy
Depuis quand écrivez-vous et pourquoi partager « ses » écrits ?
J’écris depuis enfant, ayant un grand-père, une mère et un oncle poètes. Ma mère m’a appris très jeune à lire, avant même d’aller à l’école et ce fut un amour immédiat. L’écriture a été pendant longtemps une compagne secrète et puis, petit à petit, j’ai réalisé qu’elle pouvait me relier à l’autre, je veux dire, dans une humanité commune, ce que c’est que d’être à la fois humain et divin, en quelque sorte, et j’ai eu envie de partager. C’est une façon de dialoguer avec le monde et avec l’autre, de grandir, de métaboliser l’existence, de donner du sens, un sens intime, de continuer à rester vivant et peut-être d’inviter l’autre dans un regard, un fragment de miroir, une résonance.
Qu’est-ce que la poésie peut nous donner ? Et pourquoi pas nous prendre ?
Je ne crois pas que la poésie nous ôte quelque chose. J’aimerais dire aussi qu’il y a pour moi un continuum entre prose et poésie, que j’aime explorer ; j’essaie d’entendre quelle forme le texte a envie de prendre, quelle est la plus juste pour ce qui est dit. La poésie est un espace de liberté, un acte authentique aux possibilités infinies, une respiration, elle nous offre de ressentir ce qu’il est si difficile d’exprimer en temps normal avec des mots. Prenez par exemple la mort d’un enfant… on ne peut que l’effleurer avec un poème, tout le reste est presque indicible.
Quels sont les auteurs qui comptent pour vous et pas nécessairement poètes et tout simplement pourquoi ?
Il faut donc choisir, ne pouvant tous les évoquer ! J’aimerais parler à la fois d’auteurs contemporains et d’auteurs plus anciens, pour la prose et pour la poésie :
En prose, je citerai Marcel Proust et son extraordinaire capacité à nous plonger dans le récit à travers le fleuve soutenu de sa prose, Marguerite Duras, qui m’a vraiment émerveillée tant par l’usage de la langue, que par l’espace laissé au lecteur ainsi que Mary-Laure Zoss, à cheval entre la prose et la poésie dans certains de ses ouvrages, en magnifique corps à corps avec la langue au service de son propos.
En poésie, je citerai René Char pour son audace délicieuse ainsi que Martine Audet, pour ses vers tantôt fulgurants tantôt suspendus, concis et pleins à la fois, et aussi Aurélie Foglia, dont j’admire la créativité libre, délicate et puissante.
Mais il y en a encore beaucoup d’autres ! Et les poètes de ma famille ont compté aussi, de manière particulière, comme des repères dans mon paysage intérieur : Henri Voélin, Michèle Bolli et Pierre Voélin.Si vous deviez définir la poésie en 3-4 mots, quels seraient-ils ?
Espace
Essence
Résonnances
Jardin
Sibylle Bolli naît en 1970 à Pully, dans la région francophone de la Suisse, où elle vit, écrit et travaille actuellement. Poésie et littérature tiennent une place importante dans la famille. Après un baccalauréat classique en latin-grec, elle mène des études de biologie, puis de médecine, en psychiatrie/psychothérapie.
Son poème, « Ainsi s’achève », est publié dans le no 25 de la revue littéraire suisse Archipel. Elle publie un ensemble de poèmes, intitulé « Laisser la nuit », dans le volume VII de la revue littéraire suisse L’Épître, en février 2021 et réalise, dans ce cadre, une capsule vidéo et deux lectures publiques. Une suite poétique intitulée « Horizon vertical » parait en mai 2021 dans la revue littéraire québécoise Caractère, pour laquelle elle donne également une lecture. Une suite poétique, intitulée « Ce qui t’espère », est à paraître dans la revue littéraire française Recours au poème. Elle a également publié des poèmes dans les revues littéraires poétiques françaises en ligne Gustave et Lichen ainsi qu’un texte en prose poétique intitulé « Homme fragile » dans la revue Poétisthme. Elle a également participé à des ouvrages collectifs.
Elle participe régulièrement à des ateliers d’écriture, en Suisse et en France. Elle poursuit avec passion et humilité son travail d’écriture en prose et en poésie et vient d’achever un premier recueil de poèmes en vue d’une publication.