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Marie de Quatrebarbes

mercredi 17 avril 2013, par Jean-Marc Undriener

Transition pourrait être langue (extraits)

[lilas]1.[/lilas]

Une audition de l’enfance
A peine achevée

La vie de l’adulte en l’occurrence
Un regard porté sur la ville – que la ville n’entend pas
un regard pour que la ville n’existe pas,
aux frontières, deux paysages
situation première : fiction du désir
Un récit entre mille témoignages
manière de bouger avec les choses
Plonger le bras dans la matière, informelle
des figures en pagaille
_________________incompressibles

A chaque couleur de langue,
Résistance du grain


[lilas]2.[/lilas]

Désir et subir, du juste milieu
Conjuguer les écarts

S’abstraire et confondre passe par la solitude
des règles qu’il impose et exclut
Celui dont le bonheur résiste
pour le quitter, il te faudrait amoureuse

Un jour peut-être, foison de langue
Trop courtes ses nuits
La fille en lambeaux frappe des pieds,
ouvre ses bras comme voir
la main soulève,
__________des formes ?
Tu es le vent passé derrière
par lequel claquent les portes
Ce que tu savais, écume grise
d’un matin gris légèrement froid


[lilas]3.[/lilas]

Pour ceux à qui je dis, je répète :
N’y va pas.

Je répète, à ceux qui souhaitent l’entendre
le jour écoute entre les branches
le pas ininterrompu des oiseaux, delà des signes
Ouvrir en grand la porte :
N‘y va pas.

Un homme et sa fille
le fiancé les regarde
il tourne le disque – des sensations
tu traverses, comme un alliage de fer et de bois
commandes du thé, debout dans son odeur
Portée transitoire, si
Seulement


[lilas]4.[/lilas]

Début s’empare de quelque chose
La vie de l’adulte en l’occurrence
sourcils levés sur le monde
j’y vais, n’y va pas.

Penser à vider la machine
la journée agressive, elle sort de ses gonds
agressivement, abrasive
« Attention »


[lilas]5.[/lilas]

Situation idéale, enchantement
effeuille les jours en sommeil
personne d’autre ne
__________s’élance

Et
__coupant directement dans l’étoffe
Les idées dansent – roches brunes
Attendre des mots qu’ils précisent
comme traverser leur valeur

Fiction, mon seul voile


[lilas]6.[/lilas]

Comme ça remue, l’herbe
les feuilles tombelottent nos archives
le grand vent tonne
__________apparemment
dans sa mouillure

Alors allons, comment va ta façon ?
« Allégeons, allégeons »
Allongez-vous près de moi
ça bouge l’herbe

Aujourd’hui : trombes noires
votre faculté à mourir, allongez-la
Le vent grondelotte sous l’arbre mort
des feuilles bougent dans mon dos
ombres et jaunes

La différence, ne la pense pas
de sorte que d’être toujours en mouvement
ne se pense pas.




Mini entretien par Cécile Guivarch

D’où vient l’écriture pour toi ?

Elle tire son origine de certains moments d’enfance, associés à des sensations troubles. Quand je me suis dit : il ne faudra pas oublier cette intensité. Enfant, je n’avais pas la télévision mais j’écoutais beaucoup de cassettes audio. Un voisin m’en avait offert une malle entière : des contes et des mythes grecs, africains, indiens. Il y avait dans le lot un enregistrement du Bateau ivre que je passais en boucle. Donc lire et surtout écouter les récits et la poésie, faire du cut-up dans sa tête. Plus tard, la rencontre avec les surréalistes et aller à la découverte de sa propre combinatoire.
Ensuite il y a un vide : le « passage » à l’âge adulte. Une latence. Il a fallu lire pour repousser, mettre l’écriture à distance pour qu’elle passe, elle aussi, ailleurs. Aujourd’hui la lecture est un détonateur joyeux, toujours un écho aux sensations troubles de l’enfance.

Comment travailles-tu tes écrits ?

Il y a différents rythmes et différents agencements possibles. Souvent une première étape d’écriture-captation, allant avec une porosité aux choses qui rend le monde soluble. Puis il y a les moments de maturation, d’approfondissement lent. Ce sont deux rythmes très différents, d’abord une forme d’intensité puis une extension. Un stade cueillette, ensuite on range l’ensemble dans un tiroir et on y revient petit à petit. Comme pour un herbier : voir ce qu’il reste de la cueillette lorsque les mots ont un peu séché.
L’écriture des Pères fouettards me hantent toujours a connu ces deux temps. Un moment de récolte quasi-compulsive, dans l’urgence. Puis le texte a reposé, et six mois plus tard, une phase de retravail beaucoup plus lente et calme. Cela fonctionne comme une évaporation qui conserve les lignes principales.
Pour le texte en cours, Transition pourrait être langue, je travaille un peu différemment. Je me suis posé une question préalable : celle d’un objet sans contour. A mesure que le texte se compose, je continue de poser ma question. Je vois ce qu’elle ouvre. Je n’en suis pas venue à bout. Je pense qu’elle va bouger et faire l’objet d’un nouveau livre, ou d’un livre dans le livre.

Quelle est ta bibliothèque idéale ?

Il y aurait plusieurs points d’entrée dans cette bibliothèque. Mais imaginons d’abord une série de pièces qui correspondraient aux différents moments de la vie. Il y aurait en premier lieu la salle de l’enfance avec les contes, et les livres interdits. Viennent ensuite les premiers poèmes, Rimbaud et le vitalisme éclatant. Avec l’adolescence se déroule la bibliothèque maternelle, comme une transmission (et une transition) : le trio (dans l’ordre alphabétique) Colette, Dostoïevski, Faulkner. Puis il y a la bibliothèque que l’on s’érige avec les rencontres, hors du cercle de la famille. La philosophie. Puis les américains Hawthorne et Melville. Et les anglais Forster et Lawrence. Les américains de nouveau, mais cette fois c’est le XXème siècle : Rexroth, Cummings, les trois sphinx objectivistes (Oppen, Reznikoff, Zukovsky). Retour en France, avec les livres de chevets : (sur)tout Guyotat et Rose déclic de Dominique Fourcade. Et enfin ce que je suis en train de lire actuellement : Christian Hubin, Hervé Piekarski, Marie-Louise Chapelle.
La bibliothèque est classée par éditeurs et collections : je dois une fière chandelle par exemple à Corti pour (entre autres) Gherasim Luca, Caroline Sagot-Duvauroux, la collection américaine dont le récent L’ouverture du champ de Robert Duncan...

Bio-bibliographie

Marie de Quatrebarbes vit à Paris.
Elle a publié Les pères fouettards me hantent toujours en novembre 2012 (éditions Lanskine) ainsi que des textes en revues (Petite, Neige d’août, N4728, Diérèse, coaltar, A verse, ce qui secret...).


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