Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Téric Boucebci

jeudi 10 janvier 2019, par Cécile Guivarch

A Viviana, dans ces vies

Non, je ne porte rien,
non, rien de beau,
juste un vêtement de peau…
… d’être.

*

Un tumulte à venir,
blanc, gris, noir,
en volutes ouatées,
avance inexorablement.
La braise changeante
aux prémices de l’orage
frissonne sous le souffle.
Bientôt, la pluie,
taillera sous le sable
la rose enfouie.

*

L’aube naissante
avale la nuit.

Iris et belles de jour,
aux premiers rayons, s’abandonnent

*

Le ciel s’éclaircit,
la tourmente est passé.

Quelques secondes d’éternité laissent leurs marques.

Ici et là,
les hommes continuent de se tourmenter,
s’agitant dans le bruit et la fureur,
déchirant la beauté des origines.

*

Au matin,
l’orage s’étouffe
et le jardin s’éveille.
Sous la branche d’acacia,
sous le poids de la goutte,
la rose ploie.
Je ferme les yeux, le ciel s’est tu.

*

Lumière,
chacun se perd à te chercher
imaginant formes et dimensions,
éblouie.

A Richard Martin

Ton ombre, aveugle,
courait.

Soulevant la poussière,
obscurcissant tes pas.

Le souffle a délié la nuit
de sa gangue de pénombres.

A Maria Masia

Nous sommes les feuilles d’automne,
vivantes et pleines d’histoires,
chutant dès le début de notre voyage vers la renaissance.

Nous sommes des brassées de fleurs de printemps,
pleines de couleurs et d’envies,
éblouissantes, attirantes, éphémères.

A George Emmanuel Clancier (i.m)

Seules craquent les branches avec les saisons.

La chrysalide se déchire,
libérant les ailes bleues.

L’envol le porte haut,
ce papillon naissant,
laissant là, l’ancienne peau,
ce témoin d’autres vies.

A Merwan Alexis Boucebci

L’étoile oubliée,
posée sur un rocher,
attend qu’une vague l’emporte.

C’est de cette écume là que se fait le jour.

A Andrea Moorhead

Entre les montagnes le chant des étoiles.
Au loin,
dans la plaine,
le peu de feu s’est éteint.

A Neria Di Giovanni

Où est l’enfant sur les branches ?
Suspendu !

Sous le chant des merles,
quand les couleurs du ciel seront passées,
il les attendra encore,
et encore,
et s’en ira après avoir cueilli quelques constellations,
quelques histoires sur nos vérités.

 

Entretien avec Clara Regy

Vos textes semblent s’enrichir de « l’autre », vous évoquez ainsi « voyages » « rencontres » et autres « transmissions » pouvez-vous nous en dire davantage ?

Les rencontres sont nourrissantes pour mon écriture. S’il est une œuvre qui évoque cela dans ses différentes dimensions c’est bien la Commedia de Dante qui reste un fil conducteur dans l’élaboration d’un parcours intérieur transposé sous forme poétique.

Chacun de nous me semble être accompagné dans son voyage au travers de la vie par un guide intérieur. Il est pour moi cette volonté profonde d’être au monde, d’exister et de faire de ce moment, quelle qu’en soit la durée, un instant de présence vraie à soi et aux autres.
Pour initier ce parcours vers soi Dante met en scène Virgile, le poète. J’y vois une source de réflexion. Une invitation à aller à la recherche de sa poésie profonde.

N’en est-il pas de même pour chacun. Il me semble qu’en laissant notre poésie intérieure s’exprimer, cette extraordinaire sensibilité au monde que chacun a, nous tentons de trouver un équilibre intérieur. Une forme d’homéostasie se créée entre nos attentes et ce que nous ressentons du monde. Il nous faut voyager vers l’extérieur de notre confort acquis, aller à la rencontre de l’autre, trouver en lui ces parties de nous qu’il recèle et nous révéler à nous-même dans l’altérité.

Voyager-Rencontrer-Transmettre est un ternaire qui résume bien ma pensée. Il m’a été rapporté un proverbe d’une peuplade d’Afrique sub-saharienne qui désigne le puits sous deux formes : le bord du puits symbolise le secret et le fond du puits la connaissance. Cette métaphore simple m’a ouvert de nombreuses voies de réflexions. Je l’ai entendue telle une invitation à aller au fond de soi pour y puiser ce qui s’y trouve. Bien sûr, l’expérience est intransmissible.
Seul celui qui la vit est capable de partager son ressenti sans en faire une vérité et en cela cette injonction au secret est nécessaire. Chaque expérience que je vis ici et maintenant m’oblige à repenser mon rapport au monde. C’est dans cet esprit que je relis régulièrement certains auteurs.

Mes rencontres sont un chemin en devenir qui me construit en tant que voyageur dans le sens évoqué par Martin Buber dans le « Chemin de l’homme  », aller de soi vers l’Autre et non vers soi, tel qu’il le rappelle « Commencer par soi, mais non finir par soi ; se prendre pour point de départ, mais non pour but ; se connaître, mais non se préoccuper de soi. "
Si certains s’arrêtent en chemin, tel René Guenon parti en Egypte ou Isabelle Eberhart dans le désert algérien, c’est peut-être par ce qu’ils sont selon les mots de Mircea Eliade, « fatigués à force de s’étonner ». Je suis toujours émerveillé par le monde. Les rencontres, les lectures, les partages qui s’y développent sont des sources permanentes d’inspiration.

En quoi ce « matériau » (même si le terme est un peu curieux) vous ouvre-t-il à votre écriture propre voire à l’expression même de votre « recherche intérieure » ? ( vous pourrez bien sûr mêler ces 2 questions)...

Voyage…Volontairement, un mot résume ma pensée et quelques autres, qui, répétés, viennent dire que tout peut s’entendre autrement. Ainsi voies et voix s’entendent bien…pour se confondre et nous confondre dans notre écoute et permettent d’entendre voyage autrement. Voyage, n’est-il lui-même pas composé de voies-voix et âge, invitant par la même à un repositionnement : suis-je en écoute (avec la voix qui porte la parole), en chemin (avec la voie que je suis) et à quel temps fait référence « âge »…Le temps nous le savons tous est un compagnon facétieux. Il semble néanmoins que plus il s’étire plus nous semblons rassurés. Pour certains, il n’est pas… il n’a de prise que jusqu’au moment où nous nous mettons en chemin, sur une ou des voies, à la recherche d’une parole perdue, dans notre labyrinthe de pensée.
Ce besoin d’ailleurs exprime la nécessité du voyage. A la manière d’un tatouage, il laisse des traces, nous marquant irrémédiablement. Il s’agit d’un passage nécessaire qui, une fois fait, oblige la mémoire à raconter ce que le voyage tait. Il favorise une ouverture vers le monde et nous éloigne d’une réalité. Il nous créé.

Pour le voyageur, il s’agit alors de transgresser en quête de vérité(s). Transgresser l’ordre établi pour aller explorer des contrées inconnues. Le voyage symbolise alors l’interdit, cette limite à ne pas franchir sous peine…de ne pas avoir répondu aux limites de la société, de l’éducation contrariée par un désir profond de changement intérieur.

Le voyage apparaît comme une épreuve. Il devient connaissance. Il nous faut rompre d’avec nous même lorsque nous quittons le lieu de départ. Nous savons que nous allons être altéré par le voyage et qu’à notre retour nous aurons « évolué » au sens de se transformer, donc changer de forme mais que le fond aussi aura été modifié. Il y a là une perte d’identité nécessaire. Elle invite à se découvrir.

Le voyage symbolise pour moi tant le désordre intérieur provoqué par la perte de repères que le futur renouveau dont chacun a besoin. La poésie s’écrit dans ces moments-là de rencontre réelles ou imaginées. Dans l’écriture il y a une rencontre entre soi et son propre voyage. Il y a un risque de se perdre mais il me semble nécessaire de sortir du centre de soi, comme nous y invite d’une certaine façon Heidegger « qui veut penser grandement doit errer grandement ».

Quels sont les auteurs qui ne vous quittent pas ou qui ont pu être déterminants pour (ou dans) votre écriture ? ( poètes ou non)

Il en est de nombreux qui ne m’ont jamais quitté. Certains, poètes, et d’autres non, mais qui répondent à mon aspiration de la poésie : liberté et puissance du mot.
Ronsard et Du Bellay pour la langue et grâce auxquels j’ai découvert la poésie sous la forme d’un ouvrage relié cuir que j’avais trouvé dans un tas de livres jetés en vrac dans la cave du collège où j’étais scolarisé. J’étais étonné de voir des objets aussi harmonieux entassés comme de vieilles choses inutiles. Les deux livres que j’ai pris au hasard étaient les leurs. Depuis ils m’accompagnent. Au fil du temps d’autres auteurs sont venus me nourrir et m’ont je pense constitué tels René Char, Dante Alighieri, Stéphane Mallarmé, Paul Verlaine, Léo Ferré, Edgar Allan Poe, Charles Baudelaire, Henri Michaux, Yves Bonnefoy, William Shelley, Frantz Kafka, Eugène Ionesco.

J’ai une appétence pour les auteurs anciens et la philosophie que je relis régulièrement. Citons entres autres, Epictète (Ce qui dépends de nous), Erasme (Plaidoyer pour la paix), Platon (le Souci du bien), Plutarque (L’ami véritable), Cicéron (Savoir vieillir), Esope et ses Fables et l’incroyable Eloge de la Calvitie de Synésios de Cyrène.
Dans la petite bibliothèque du cœur je mentionnerais encore pour le plaisir de la langue et de l’esprit Philippe Delerm (La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules), Reiner Maria Rilke (Lettre à un jeune poète), Stéphan Zweig (Le joueur d’échec), Fernando Pessoa (Le privilège des chemins), Shakespeare (Songe d’une nuit d’été), et je garde un souvenir particulier de la préface qu’Adonis à faite du « Prophète » de Khalil Gibran.

A ces auteurs je peux ajouter de nombreux poètes proches avec qui j’ai eu le bonheur de réaliser tant de choses et de créer du sens au mot « rencontre » : Jean-Max Tixier, Françoise Donnadieu, Jeannine Baude, Frédéric Jacques temple, Yves Namur, Andréa Moorhead, Hélène Dorion, Jean Blot, François Bordes, Myrto Gondicas, Jean-Claude Xuereb, Claude Beausoleil, Joëlle Gardes, Djoher Amhis, Jacques Lovichi, Jean-Claude Villain, sont des sources d’inspiration. Tout comme mes amis André Ughetto et Yves Broussard, avec qui entres autres j’ai fondé la revue Phoenix, dont les écritures et les engagements mutuels en poésie ont marqué mon parcours et mon écriture.

Et enfin dernière habituelle question : pouvez-vous définir en 3 ou 4 mots ce qu’est la poésie pour vous ? ( bien que la première question puisse éventuellement nous y préparer...)

Le poète est pour moi un ouvrier des mots au sens où la poésie est un travail qui restitue ma perception du monde au travers de leur usage, de leur assemblage.
La poésie permet d’exprimer un voyage intérieur et de le partager que je résumerais par « une lettre s’écrit en plusieurs langues ». Ici, « lettre » invite par ses différents sens à percevoir autrement ce qui s’écrit, se lit, s’entend et se ressent.

Téric Boucebci (1967) est né à Nice (Alpes maritimes). Coach de vie, thérapeute (cursus psychologie, crimonologie), il a grandi à Alger où il a puisé ses sources d’inspirations dans une ville et une culture baignée d’une histoire plurimillénaire. Il se définit comme un poète méditerranéen. Sur l’une ou l’autre de ses rives, il organise et participe à des lectures poétiques et des rencontres littéraires.
Il s’attache à développer des espaces de dialogues et favoriser une meilleure connaissance de l’autre. C’est dans cet esprit qu’il co-organise en 2003 Le Printemps des poètes à Alger. Cette même année, il crée la revue de poésie, « 12x2-revue contemporaine des deux rives » afin de rassembler des poètes d’Algérie et des poètes d’autres pays. Il est l’un des fondateurs de la revue Phœnix (créée en 2011) dont il est Directeur de publication.


Bibliographie

  • 2010 - Les vents bleus - Éditions ENAG -Algérie
  • 2009 - AYESHA - Éditions Dalimen - Algérie

Revues en collaboration

Revue des Archers
▪2011-La revue des Archers-N°20
▪2010-La revue des Archers-N°19
▪2008-La revue des Archers-N°15
▪2006-La revue des Archers-N°10
▪2005-La revue des Archers-N°9
▪2005-La revue des Archers-N°8

Revue Autre Sud
▪2009-Revue Autre Sud - N°46 : Claude Vigée - Éditons Autrestemps
▪2009-Revue Autre Sud - N°47 : Jacques Ancet - Éditons Autrestemps

Revue Formafluens
▪2012-Formafluens-Internatinal Literary Magazine - Éditions Formafluens.
▪2011-Formafluens-Internatinal Literary Magazine - Éditions Formafluens.

Revue PHOENIX-Cahiers Littéraires Internationaux
▪2015-N 19-auteur invité Bruno Doucey
▪2014-N 14-auteur invité Jacques Darras
▪2013-N 11-auteur invité Maura Del Serra
▪2013-N 10-dossier réalisé de l’auteur invité Djoher Amhis Ouksel
▪2012-N 07-auteur invité François Cheng
▪2011-N 01-auteur invité Marc Alyn

Revue 12x2
▪2008-12X2-Poésie contemporaines des deux rives
▪2006-12X2-Poésie contemporaines des deux rives
▪2004-12X2-Poésie contemporaines des deux rives
▪2003-12X2-Poésie contemporaines des deux rives

Revue OSIRIS
▪2018-OSIRIS-N°87
▪2011-OSIRIS-N°73
▪2007-OSIRIS-N°64
▪2005-OSIRIS-N°60

Préfaces

  • 2013- Quelle heure est-on - Jean-Charles Paillet - Éditions La Petite Edition
  • 2012- Echardes - Daniele Maoudj - Éditions espace libre
  • 2012- Le chant de la Sittelle - Djoher Amhis Ouksel - Éditions espace libre

Anthologie et livres collectifs

  • 2014 - Mennska i myrkrinu, (anthologie de la poésie arabe en islandais), dirigé par Thor Stefansson-Édition ODDUR Reykjavik, Islande.
  • 2013 - Présence de Tahar Djaout, poète-Ouvrage dirigé par Amin Khan-Édition Barzakh.
  • 2012 - La poésie est grammairienne-Mélanges en l’honneur de Joëlle Gardes (responsables de publication : Claude Ber, Françoise Rullier)-Éditions de l’Amandier.
  • 2012 - Transparence - Édition Poésie-Images.
  • 2011 - Poètes algériens -Éditions Books LLC.
  • 2011 - Arc-en-ciel-Éditions Poésie-Images.
  • 2011 - Les Cahiers du Songe d’Icare-revue d’art-Éditions Songe d’Icare.
  • 2010 - Visages de poésie, Portraits crayons et poèmes dédicacés, Anthologie, tome 3 (dessins de Jacques Basse)-Éditions Rafael de Surtis.
  • 2010 - Outremer, outre-mer-Éditions Poésie-Images.
  • 2010 - Palestine une terre, des voix-Editions El Othmania.
  • 2008 - Bacchanales n°43- “Poésie gratte-monde”- Préfaces de Jean-Pierre Siméon et Jean-Pierre Chambon-Editions Maison de la poésie Rhones Alpes.
  • 2007 - Odyssée du Danube-Éditions Titanic-Toursky
  • Revue LivrEsque - Algérie-de 2011 à ce jour -Textes et chroniques.

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