Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Lénaïg Cariou

samedi 8 octobre 2022, par Cécile Guivarch

 

 

 

 

 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 

 

 

 

 

 

 

 
 

 

 

 

Il n’y a pas d’heure et il n’y a pas d’âge

 
1. il y a
les deux vieux
sur le chemin
      parallèles
les tours en verre
au-dessus
      des rails
les queens
à paillettes
      de l’affiche
et, quelque part,
des gens qui
      fuient

 
2. il n’y a
      pas d’heure
      et il n’y a
      pas d’âge
toi seule le sait
qui n’a pas de visage
ou si peu
      quand vient
la nuit

 
3. ce soir
les lumières sécantes
      orthogonales
ce soir le canal
t’engloutit

tout juste
quelques degrés
supplémentaires
      d’attention
ce soir
le monde n’a plus
      d’oreilles

 
4. partout
ils traversent
      l’air
est étouffant
à qui respire
      encore
tu claques
la porte
comme on dit
             :
      peut-être
partout
      la nuit

Figuration de voix

le soir
le vent touche
elle dort encore
                peut-être
                a-t-elle pris
                des cachets
histoire de somnifères
histoire de nuit
qui botte en touche
                si simple
                et tard
                par ennui
d’air qui glisse
-ne glisse pas-
sur une tempe
                la nuit
                soudain
                immobilisée
dans le sommeil
s’appesantir
pour ne pas
                oublier
                ne pas
                perdre
ses repères
des
hallucinations
                planent
                le temps
                est courbe
il
se racornit
lentement
                il ment
                il sait
                il susurre
dit que
déjà
s’éloigne
                le visage
                -virage
                des heures
à venir
celles
qui
                n’existent
                pas encore
                la mort
à venir
ou à
disparaître
                et tout
                le lot
                des angoisses
futures
usées
déjà
                comme
                usitées
                presque
bancales
spectrales
prédites
                concertées
                d’aucuns
                diraient
abîmées
la nuit
froisse
                le tissu
                qui sert
                d’écran
et la veille
se peuple
de plis obscurs
                tous plus
                attirants
                les uns
que les autres
dans chaque pli
une histoire
                chaque histoire
                un temps
                un
possible
enfermement
une
                boucle
                de voix
                fantômes
qui
touchent
et dorment
                encore

Entretien avec Clara Regy

Ce que l’on remarque tout d’abord dans vos poèmes c’est la place du blanc, du vide glissés au cœur de vos vers… Pouvez-vous nous dire ce qu’ils disent, ce que marquent ces « espacements » ?

J’aime la manière dont les blancs introduisent des silences dans les textes, qui sont ceux dont nos pensées sont peuplées quand on écrit, mais aussi quand on vit. Je ne crois pas que la pensée fonctionne de manière logique et continue ; je pense au contraire que c’est quelque chose que nous apprenons à reconstruire, à l’école notamment. Ces blancs, ce sont ces disjonctions-là, ces interstices, ces syncopes. Ce que j’aime dans le texte poétique ou expérimental, c’est qu’il peut s’accorder ce droit-là.
J’aime aussi la manière dont ces espaces créent des rythmes dans le texte, la manière dont ils le spatialisent, en font un objet visuel ou plastique.

Quels sont les auteurs qui vous ont parlé, voire invitée à prendre la plume à votre tour ?

Cole Swensen   Keith et Rosmarie Waldrop   Eleni Sikelianos   Mónica de la Torre   Murphy Chang   Shira Abramovich   Camille Blanc   Claude Royet-Journoud   Anne-Marie Albiach   Emmanuel Hocquard   Marie de Quatrebarbes   Victoria Xardel   Cléa Chopard   Hortense Raynal   Laure Gauthier   Christopher A. K. Gellert   Laura Vazquez   Benoit Toqué   Camille Bloomfield   Jacqueline Frost   Sara Larsen   Lyn Hejinian   Anne Carson   Caroline Bergvall   Anne Waldman   Adrienne Rich   Audre Lorde   Maya Angelou   Nathalie Diaz   Alejandra Pizarnik   Suzanne Doppelt   Anne Portugal   Liliane Giraudon   Sandra Moussempes

Je reprends une question que j’aime bien poser : l’écriture pour vous nécessite-t-elle un lieu, un moment particulier, des objets, de la musique ou du silence ?

J’aime écrire dans le silence du soir, ou le brouhaha des cafés.

Et la subsidiaire : 3 mots pour définir la poésie quels seraient-ils ?

dire   dédire   désir

Lénaïg Cariou est chercheuse, traductrice et poète. Elle codirige la revue Point de chute, et traduit régulièrement de la poésie de états-unienne contemporaine en français, avec le Collectif Connexion Limitée. Leur traduction du recueil de Monica de la Torre The Happy End / Bienvenue à tous est paru en mai 2022 aux éditions Joca Seria. Ses poèmes et traductions paraissent régulièrement en revues (Arpa, Verso, L’Intranquille, Poezibao, Traversées, L’écharde, Muscle, L’écharde, Le Pied...).


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