Il n’y a pas d’heure et il n’y a pas d’âge
1. il y a
les deux vieux
sur le chemin
parallèles
les tours en verre
au-dessus
des rails
les queens
à paillettes
de l’affiche
et, quelque part,
des gens qui
fuient
2. il n’y a
pas d’heure
et il n’y a
pas d’âge
toi seule le sait
qui n’a pas de visage
ou si peu
quand vient
la nuit
3. ce soir
les lumières sécantes
orthogonales
ce soir le canal
t’engloutittout juste
quelques degrés
supplémentaires
d’attention
ce soir
le monde n’a plus
d’oreilles
4. partout
ils traversent
l’air
est étouffant
à qui respire
encore
tu claques
la porte
comme on dit
:
peut-être
partout
la nuit
Figuration de voix
le soir
le vent touche
elle dort encore
peut-être
a-t-elle pris
des cachets
histoire de somnifères
histoire de nuit
qui botte en touche
si simple
et tard
par ennui
d’air qui glisse
-ne glisse pas-
sur une tempe
la nuit
soudain
immobilisée
dans le sommeil
s’appesantir
pour ne pas
oublier
ne pas
perdre
ses repères
des
hallucinations
planent
le temps
est courbe
il
se racornit
lentement
il ment
il sait
il susurre
dit que
déjà
s’éloigne
le visage
-virage
des heures
à venir
celles
qui
n’existent
pas encore
la mort
à venir
ou à
disparaître
et tout
le lot
des angoisses
futures
usées
déjà
comme
usitées
presque
bancales
spectrales
prédites
concertées
d’aucuns
diraient
abîmées
la nuit
froisse
le tissu
qui sert
d’écran
et la veille
se peuple
de plis obscurs
tous plus
attirants
les uns
que les autres
dans chaque pli
une histoire
chaque histoire
un temps
un
possible
enfermement
une
boucle
de voix
fantômes
qui
touchent
et dorment
encore
Entretien avec Clara Regy
Ce que l’on remarque tout d’abord dans vos poèmes c’est la place du blanc, du vide glissés au cœur de vos vers… Pouvez-vous nous dire ce qu’ils disent, ce que marquent ces « espacements » ?
J’aime la manière dont les blancs introduisent des silences dans les textes, qui sont ceux dont nos pensées sont peuplées quand on écrit, mais aussi quand on vit. Je ne crois pas que la pensée fonctionne de manière logique et continue ; je pense au contraire que c’est quelque chose que nous apprenons à reconstruire, à l’école notamment. Ces blancs, ce sont ces disjonctions-là, ces interstices, ces syncopes. Ce que j’aime dans le texte poétique ou expérimental, c’est qu’il peut s’accorder ce droit-là.
J’aime aussi la manière dont ces espaces créent des rythmes dans le texte, la manière dont ils le spatialisent, en font un objet visuel ou plastique.Quels sont les auteurs qui vous ont parlé, voire invitée à prendre la plume à votre tour ?
Cole Swensen Keith et Rosmarie Waldrop Eleni Sikelianos Mónica de la Torre Murphy Chang Shira Abramovich Camille Blanc Claude Royet-Journoud Anne-Marie Albiach Emmanuel Hocquard Marie de Quatrebarbes Victoria Xardel Cléa Chopard Hortense Raynal Laure Gauthier Christopher A. K. Gellert Laura Vazquez Benoit Toqué Camille Bloomfield Jacqueline Frost Sara Larsen Lyn Hejinian Anne Carson Caroline Bergvall Anne Waldman Adrienne Rich Audre Lorde Maya Angelou Nathalie Diaz Alejandra Pizarnik Suzanne Doppelt Anne Portugal Liliane Giraudon Sandra Moussempes
Je reprends une question que j’aime bien poser : l’écriture pour vous nécessite-t-elle un lieu, un moment particulier, des objets, de la musique ou du silence ?
J’aime écrire dans le silence du soir, ou le brouhaha des cafés.
Et la subsidiaire : 3 mots pour définir la poésie quels seraient-ils ?
dire dédire désir
Lénaïg Cariou est chercheuse, traductrice et poète. Elle codirige la revue Point de chute, et traduit régulièrement de la poésie de états-unienne contemporaine en français, avec le Collectif Connexion Limitée. Leur traduction du recueil de Monica de la Torre The Happy End / Bienvenue à tous est paru en mai 2022 aux éditions Joca Seria. Ses poèmes et traductions paraissent régulièrement en revues (Arpa, Verso, L’Intranquille, Poezibao, Traversées, L’écharde, Muscle, L’écharde, Le Pied...).