soluble
tout
me rappelle
tout.je regarde
les choses, c’est moi.je ne quitte plus.
j’agrée être où que j’aille et vienne.
et si j’ai dans l’idée que je me noie,
l’eau,c’est moi.
poisson et la peur
je marche sur les gros cailloux de la grève
et sursaute à la vue du corps d’argent,
de l’œil mort. un poisson. un instant d’effroi,
le pied pendu, puis je l’enjambe. la peurde l’étrange mort. de la mort étrange.
poisson sec, avec plus rien dedans, gratté
par le temps, peut-être l’insecte, et le sable uni
au vent. peur. de l’inédit, peur indue.et qui fait place à l’autre dernière.
que cette voûte de peau, outre de rien
craque et que le vide de mort s’épande dans
l’air, autre vide en quoi je me demande.
le livre reçu
je coupe les pages.
j’ouvre le texte à mon regard.
d’un ongle j’en gratte le bord.
je fais pleuvoir les rognures blanches.
je pense à l’été.
à l’exposition solaire qui brûle encore.
je gratte ma peau.
elle tombe en poudre. encore.
le bleu dans ma bouche
ce en moi dans quoi j’entre
m’ouvre,
me prolonge,
à son tour me pénètre.
m’épiant être
je suis à mon paroxysme.cet oiseau dehors
je le peins
c’est moi que j’esquisse.
et je m’esquisse
et c’est l’espace où cet oiseau bat que je peins.le frottement de la pensée sur tout.
ce qui de nous se distingue
à notre contact miroite.le noir pur n’est pas différent.
la paupière sous les yeux voir
que rien n’arrête voir.
pièce obscure
très tard
dans la cuisine obscure
je savoure cette eau
sa descente en moi
piqué de vie
l’épie qui se déploie
où les cellules bruissent
et la façade voisine
est tour à tour
bleue
____ orange
bleue
____ orange
je regarde
une ambulance
où ?
qui souffre ?
cette eau quel bonheur
je vis
pose mon verre dans l’évier
la pénombre clignote
et quitte la pièce.
Entretien avec Clara Regy
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D’où vient l’écriture pour toi ?
Je crois qu’elle n’est pas encore venue. Elle est en chemin. Finira-t-on par se croiser ? On peut aussi bien poser cette question à toute notre espèce. Des philosophies, des religions, la psychologie, d’autres sciences, et bien sûr l’art ont essayé d’y répondre. Et essayer c’est en partie cela écrire. La réponse est pour moitié dans la question. Et l’impossibilité d’y répondre est dans l’autre moitié. L’écriture c’est du venin qui guérit du venin. La main qui nous garrote. Le petit miracle qui ponctionne le souffle en retenant la vie. Toutefois s’il faut que j’invoque une source personnelle, je dirais qu’avec beaucoup d’autres personnes qui écrivent je partage l’espoir, dans cet exercice, de me défaire de la crasse. Car oui, il arrive que ce soit le contact prolongé avec quelque chose de profondément sale qui pousse à écrire. C’est alors une tentative de faire cracher la lumière à cette chose intime comme un pétrole. Chose sombre, enfouie, nauséabonde, mais qui détournée par l’intelligence, raffinée par l’esprit, peut produire quelque lumière, quelque chaleur, au moins parfois l’énergie du moment. C’est un évident rapport au feu en ce qui me concerne. Un feu de réconfort et purificateur. D’un usage qui va de la flamme au tison. J’y forge autant que j’incinère. Dans mes périodes de complète autocombustion par contre je cesse totalement d’écrire. Ma propre cendre ne tient sensiblement sur aucune page. Et dans celles où le feu est joyeusement absent, par bonheur, je ne produis rien.
Comment écris-tu ? Peut-on dire que tu as « des rituels » ?
Non. Mais des habitudes d’efficacité probablement. Comme mes clés sont toujours à la même place pour ne pas avoir à consacrer le temps excédentaire à les chercher plutôt qu’à le perdre. J’évite dès que je le peux tout grignotement de cette plage dénuée d’actes ou d’actions. Je travaille à ne rien faire. Les poèmes et les longs textes sont écrits sur des feuilles volantes, mes « purges » dans des carnets, avec toutes leurs versions successives, et le reste, qui n’est à peu près que de l’essai-confession, est en général produit à même le PC. Pour la manuscrite, j’utilise exclusivement un bille noir. Probablement la recherche d’une détente dans l’unité. Il n’existe pas une heure précise où je prendrais la décision d’écrire. Néanmoins il se trouve qu’un créneau semble instinctivement plus propice à la création. Dans les premières heures des deux extrémités d’une journée. Entre une heure et quatre heures, du jour ou de la nuit. Mais ce ne sont pas des rituels. Si j’en ai un, il n’est pas spécifique à mon geste d’écrire. Mais l’alimente. Comme il m’alimente moi. C’est l’unique rituel que je m’octroie. Et c’est celui d’être à l’affût. Je me pose quelque part et je me dis : « Allez, regarde, écoute et sens. Rien d’autre. Tout à la fois. » Et écrire, le plupart du temps, ne consiste qu’à mettre à jour le livre de bord de cet affût. Parfois des années après.
Quelle place occupe la poésie dans ton quotidien ?
La poésie se positionne dans ma journée naturellement. Elle n’est pas quelque chose que j’organise. C’est comme mâcher ou se gratter, c’est un geste qui me vient et dont je note seulement - à demi-surpris quand il commence et un peu hébété quand il finit - qu’il a été effectué. Le passage de l’aliment dans la gorge ou la séparation momentanée d’avec ce qui me démange, c’est ça qui rend compte du mouvement, qui témoigne qu’un instant le filtre d’une certaine idée de la poésie m’est passé sur l’organe indiscernable qu’il déclenche.
Quelle est ou quelle serait ta bibliothèque idéale ?
Au-delà de toute idée de provocation d’abord, car cela ne projette finalement que mon seul désir sans cesse croissant d’une réduction de moi-même, il y aurait la possibilité d’une existence sans livres. Oui, bien sûr, l’attachement aux livres est un matérialisme sain. Le seul peut-être qui vaille. Mais je crois que c’en est un tout de même. J’aimerais qu’il me soit possible un jour de me contenter des seuls vers déjà mémorisés, assimilés. C’est ce qu’ils nous ont appris de gestes et de regards qu’il faut retenir dans nos transports. Si l’on pense que nous sommes enfin nés de nous-même, rejetons l’étai. En tout cas c’est ce vers quoi je tends. Et c’est un peu la débandade, je dois dire. Je suis loin d’un tel accomplissement. Et comme j’envisage toujours exister comme la possibilité d’un déplacement dans l’urgence en guise de compensation à une liberté absolue, je dirais que la bibliothèque parfaite doit pouvoir tenir dans cinquante livres. Sans doute moins. Je pourrais aussi opter pour une compilation en un livre unique des voix qui sont ma drogue dure. Des Latins du Ier siècle, des Chinois des Tang, des moralistes des Lumières, des Russes du XIXème, des Américains dans le suivant, et puis… Non. C’est impossible. Je viens de tenter mentalement plusieurs listes. A chaque fois, il est impensable d’y parvenir, d’y mettre un terme. Ou peut-être dix ou vingt auteurs qui ont le fond aussi nutritif que la forme. Weil, Rilke, Bronk, Nietzsche, du Bouchet, Guibert, Yeats, Ungaretti, Porchia, Rimbaud, Dickinson, Valéry, Pline, Celan, Chateaubriand. Quelque chose comme ça. Et si la bibliothèque idéale c’était celle qui me restait d’un feu ? Trois ou trente livres sauvés des flammes d’un autodafé providentiel. Il n’y aurait plus que ceux-là, je les aimerais avec la force que je diluais dans tous. Je constate que je vais encore une fois vers le moins. L’expansion de ma bibliothèque s’est fortement ralentie ces dernières années mais l’usure des pages que je possède, elle, augmente avec acharnement. Je relis énormément. Et puis le temps passe, les journées s’accélèrent – bien sûr c’est un faux-semblant, seulement on y croit comme à la peur – et les vivre au final compte plus que lire.
Est-ce la lecture d’un auteur particulier qui t’a vraiment donné le désir - ou la nécessité - d’écrire ?
Rousseau a le premier aiguillonné ma pensée mais c’est Rimbaud qui en a délogé le cri. L’éducation familiale est un second placenta, et qui peut être un poison dont il faut pouvoir se défaire pour trouver son identité. Se faire soi par soi est une autre naissance. Et si le Promeneur n’a été que ça, l’éperon, notre Ardennais lui a déclenché une belle part de la grande ruade qui a suivi. Toute la part réelle de ce que j’étais est ressortie comme un dard du cuir familial. Ça n’a pas été une fête. Seulement m’en extraire c’était opter pour la salvation au lieu du confort. Je ne vais peut-être pas mieux depuis, néanmoins l’inconfort d’être vaut mieux que le confort de paraître.
Quels sont les trois mots que tu associerais le plus volontiers à celui de « poésie » ?
Allons-y carrément pour trois lettres. PLS. Position Latérale de Sécurité. Mais si c’est bien trois mots qu’il faut alors je dirais, là, tout de suite, cheval, cravache, sucre. Il n’y a pas de tiercé gagnant. Ou ils sont tous gagnants. Plus haut, au moment même de cette première question, j’aurais dit pétrole, feu, lumière. Il y a dix ans je disais forêt, arbre, pirogue. Je crois que c’est finalement toujours la même trinité. « Le Saint-Esprit est le baiser du Père et du Fils », saint Bernard de Clairvaux a dit quelque chose comme ça. C’est de cet ordre. La même formule du mystère, éternellement mobile.
Stéphane Bernard, né en 1972, vit à Saint-Nazaire. A publié des textes dans les revues N 4728, Verso, Diérèse, Les États Civils, Magnapoets, mgv2, Francopolis, Le Capital des Mots, FPDV, Comme en poésie, Haïkaï, Microbe, Rue Saint Ambroise, lorem_ipsum, Nouveaux Délits, Dissonances, PLI, Revue Métèque... Une plaquette publiée : Stéphane Bernard & Compagnie, mgv2>publishing, 2014. Anime le Séminaire (http://leseminaire.blogspot.fr/), table de discussion autour de l’écriture.
Blog : http://unemainestaussiunpoing.blogspot.fr/
Choix de la photo : « Ça n’est pas moi, mais c’est tout de même une sorte d’autoportrait. J’explique. C’est le lieu où j’ai découvert Rimbaud et décidé d’écrire pour la première fois. Le lieu du choc. Il y a plus de vingt ans. Ce banc était aussi mon bureau quand je fuguais. »
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