Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Gabriel Zimmermann

samedi 15 juillet 2017, par Cécile Guivarch

Stèle 1

Promets-moi, quand la nuit
Couvrira mes yeux, quand mes mains
Seront racines
De pierre et ma bouche
La double lande
Du silence ; à l’heure
Où je serai - oui, vide
Promets-moi, après m’avoir pleuré,
Lavé, habillé, veillé
Et avant de me descendre en terre,
Promets-moi, par égard pour mon éternité,
De poser sur moi les jouets de mon enfance,
Ces figurines,
Mets-les contre ma tempe,
Qu’elles soient mon bijou pour l’au-delà,
Dans la nuit si proche
Mes bras ne saisiront plus
Mais si quelque chose
Survit, j’en serai de les avoir là, tout près,
Apaisé un peu.

Stèle 2

Gris de sa ronde lumière
Ce galet
Que tu ramassas
Il fut pour toi cet objet de chance

Tu le déposas dans ta chambre
Chaque matin tu le touchais
Et déjà la journée t’était favorable

Mais tes mains désormais sont deux exils
Entre tes doigts tu ne sens plus le vent souffler
Et la petite pierre
Trouvée sur la plage
Ramenée chez toi, ce caillou source
De ta vie heureuse
Ne s’oppose pas à
La mort qui vient vers toi.

Stèle 3

Mon ami, je pleure
De te parler encore,
Dix ans après ton dernier regard
Ma voix te cherche
Et déjà tu sembles proche
Le silence est ailleurs
Où que tu sois mes mots te trouvent,
Touchent ton autre visage,
Rappellent qui tu fus
Mais il n’y a pas plus, mes
Paroles restent seules

Si tu réponds c’est de trop loin
Ou ténu, indistinct
Comme un soupir parmi le vent.

Stèle 4

Si la mort était un exil,
Il ne survivrait pas
En moi, son visage
Aurait le profil de l’oubli,
Sa voix s’entendrait moins qu’un soupir de fantôme,
Pour linceul l’absence
Le couvrirait comme une paix sans mémoire,
Il résiderait invisible
Mais il est ici, pas de voyage
Ni de présence qui s’efface
Immuable pour ceux qui le pleurent
Il a fait de moi son sillon
Et mes yeux le trouvent
Partout.

Stèle 5

En Égypte
Ils sculptaient pour leurs morts des statuettes
Qu’ils peignaient en noir et bleu :

Était-ce une étrenne
Pour les dieux, ces ouchebtis
Ou jouets pour un au-delà moins âpre ?

Des femmes,
Le plus souvent, au visage doux,
Nattées, gainées, qu’ils déposaient
Dans la tombe avant le séjour
Où lune et soleil
Ne se succèdent plus.

Mais lui, dans son sommeil,
Aucun objet ne l’accompagne

On l’a laissé nu
Pour partir, pas même une fleur
Sur sa poitrine.

Stèle 6

Il faudra plus qu’un thrène,
Plus que cette voix en morceaux
Pour tracer son visage

Aujourd’hui mes mots n’iront pas plus loin
J’en resterai à cette chronique
D’os brûlés, davantage
Serait trop, pour l’heure
Taisons-nous, ce peu de vent suffit,

Nous réveillerons nos lèvres
Quand assez
De jour aura été
Semé, ce ne sera pas renaître au langage
Ou nier la blessure,

Une aube
Chargée de sa nuit
Parviendra
À la bouche.

Éclipse 1

C’est toi qu’il veut voir
Qu’il veut entendre

Va dans sa chambre
Assieds-toi sur son lit
Raconte-lui une histoire
Qui arrêtera ses larmes
Invente un monde
Où les jours les nuits se mêlent
En un sourire

Fais-la encore
Plus douce
Ta voix
Pour l’emmener
Au sommeil

Qu’il s’endorme avec des mots
De ruisseau

Éclipse 2

Dans ces instants où l’ombre
Saillit,
La peau semble lisse

Ma blessure
Je la vois moins
Je ne la vois pas

L’entaille à ma paume
A pris la fuite

Demain, au tranchant de l’aube,
Elle réapparaîtra
Ruisseau de chair meurtrie

Éclipse 3

La mer, quand elle est sombre,
Me fait trembler

Des visions de noyades
Surgissent

Et bientôt, ce sera deux fois
La nuit dans l’eau

Ne bougeons pas
Je me réjouirai de ces heures
Sur la terrasse,

Loin de la plage

Éclipse 4

Ces quelques mots
Avant la grande ombre

Oui elle passera
À peine plus qu’une marche en forêt
Elle sera ce que tu en dis
Puissante mais brève
Une zébrure
Un ondoiement du temps

Après
Nous retournerons à nos habitudes
À notre usage du jour
Après nous dînerons
Le pain les fruits sont frais
Mais je ne peux cacher
Tu la sens cette peur
Qui monte en moi
À l’instant où le soleil

S’absente


Petit entretien avec Clara Regy

Te souviens-tu du jour où tu as donné le nom « poésie » à tes écrits pour la première fois ?

La question que tu poses est à la fois simple et vertigineuse car aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, il m’est impossible de retrouver une date précise où, comme on cachette une lettre à la cire, je me suis dit « voilà une poésie » ou « voilà un poème ». À la fin de l’adolescence, je me rappelle avoir commencé à écrire des textes, très influencés par les poètes symbolistes ; ils étaient si impersonnels et incantatoires que, quelques mois plus tard, en les relisant, je les ai déchirés. Une genèse claire de mes textes, non, je n’en distingue pas. Ma seule certitude est que, petit, j’avais soif d’apprendre des mots et que je rédigeais des histoires d’aventuriers ou de policiers.

Quels ont été tes premiers émois de lecteur (de poésie ou non) et quels sont aujourd’hui les auteurs qui selon ta propre expression te « nourrissent » ?

Là, je répondrai plus facilement. S’il y a une œuvre qui m’a marqué (et continue de me marquer), c’est La divine comédie, de Dante. Sa lecture a constitué un séisme intérieur et exaltant, une sorte de traumatisme heureux. Je ne savais presque rien sur lui quand j’ai entamé ce livre ; donc, je n’ai pas eu d’appréhension à le découvrir. Surtout, je ne me suis pas arrêté à chaque page sur l’érudition et l’arrière-plan politique qu’il contient ; de là le plaisir que j’en ai tiré, un plaisir immédiat, presque basique, où l’émerveillement l’emportait sur la volonté de tout comprendre. Ce n’est que plusieurs années après que l’aspect colossal de son recueil m’est apparu. Plus récemment, une poétesse allemande du dix-neuvième siècle, Annette von Droste-Hülshoff, m’a beaucoup plus, à la fois par la syntaxe elliptique de ses vers et l’originalité de ce qu’elle évoque (la paroi d’un if, la fête du nouvel an). Plus près de nous, je pense à Garcia Lorca. Sa poésie est sensitive, on la hume, on la touche, on la voit, elle nous saisit d’emblée et en même temps, elle est des plus mystérieuses. Avec lui, une espèce de miracle agit car ses textes sont aussi immédiats qu’inexplicables, comme si on tenait de la foudre dans les mains sans qu’on sache rien en dire. Ensuite, je suis aussi nourri par les peintres qui sont, à leur manière, des poètes. On pourrait d’ailleurs se demander si l’œil n’écrit pas autant que la main. Rimbaud a relevé, à propos de son époque, qu’elle était un « siècle à mains » ; aujourd’hui, on pourrait dire que nous vivons un « siècle à œil », tant la vue est sollicitée à chaque instant, que ce soit devant un écran ou l’affichage publicitaire dans le métro. Donc, de nombreux peintres et sculpteurs alimentent mon imaginaire, notamment Goya, Rembrandt, Giorgione, Zao Wou-Ki, Garouste, Sophie Favre. Et enfin, je dois parler de quelqu’un sans qui je n’écrirai sans doute pas aujourd’hui, en tout cas pas de la poésie et ce quelqu’un, c’est ma mère. Elle a enseigné la poésie espagnole et catalane mais au-delà de sa carrière professionnelle, elle est animée d’une ferveur qui la rend littéralement intarissable sur la poésie. Donc, quand vous avez dix ans et que dès le petit-déjeuner, en mangeant votre tartine grillée, vous entendez votre maman parler des métaphores de Góngora, vous en êtes forcément imprégné à jamais.

Tu évoques « la spécificité du langage poétique » que mets-tu plus particulièrement derrière ces mots un peu complexes ?

La poésie, c’est un langage différent. Il implique un lien avec les mots qui s’illustre autrement avec le théâtre, la prose narrative ou la philosophie. Chez moi, cela se traduit de manière concrète : quand j’écris de la prose, je m’assois devant l’ordinateur et écris sur le clavier. Avec la poésie, le tempo et la posture changent : d’une part, j’ai besoin d’un stylo et de papier pour noter les mots ; et le plus souvent, je suis debout. C’est en marchant que le texte arrive et se déploie, comme si les pas facilitaient et accéléraient la naissance du texte.

« La présence de la poésie au sein du réel » une autre de tes assertions, peux-tu alors illustrer cette évocation de façon plus personnelle ?

Il est plus facile de dire ce que n’est pas la poésie que ce qu’elle est. La poésie n’est pas partout mais elle peut résider partout. Ce week-end, en me promenant sur les bords de Marne, j’ai aperçu une taupe qui se frayait difficilement un chemin entre les herbes et les feuillages. Il y avait de la poésie en elle. Comment définir la poéticité de cette taupe ? Je ne sais pas... Plus largement, un poète, selon moi, c’est quelqu’un qui se penche sur les choses qu’on ne s’efforce pas d’observer d’ordinaire, ce qu’on pourrait appeler les tessons du réel : par exemple, un clapier à lapins, une ruche, des pas dans la neige, une branche tombée dans l’eau, un oisillon qui a chuté du nid. Ce sont d’ailleurs des choses très ardues à décrire. Là, tout de suite, je pense au souffle du vent dans les feuilles d’un arbre ; ce souffle n’est pas un froissement ni un murmure, encore moins un crépitement, il faudrait trouver un nom plus précis pour l’évoquer. Le poète raconte cette ténuité du monde mais il ne doit pas s’en tenir qu’à elle, il a aussi l’ampleur du cosmos à décrire, comme depuis un panorama, non pas qu’il s’élève afin de dominer les autres comme un singe savant ou un démiurge moralisateur mais en regardant alentour avec des yeux qui savent voir le plus loin possible, l’horizon, la profondeur du ciel, le moutonnement des nuages et même ce qu’il ne peut pas voir : par exemple, imaginer à quoi s’apparentent les tourbillons qui roulent sur Jupiter, les vents qui soufflent sur Neptune et ce qui, après notre mort, peut survivre de nous.

Tu sembles donner un titre à chacun de tes textes ( strophes/parties) : une classification ? Peux-tu nous en dire davantage ?

En majorité, en effet, je donne un titre à mes textes tout en essayant de laisser le lecteur le plus libre possible. Pour moi, un titre ne doit pas être une programmatique et annoncer le thème du poème. Il ne doit pas non plus en être le résumé ou la synthèse édifiante. Ce que je veux, c’est inviter le lecteur à lire mon texte mais sans le prendre par la main ni le prévenir d’un : « Voilà comment tu dois comprendre mon texte. » On en revient à la nécessité de créer un mystère autour du poème, un mystère hospitalier et fécond, comme en peinture avec la technique du sfumato.

Et enfin... le jeu : 3 mots pour définir la poésie...

Fulgurance. Musique. Fantaisie


Biobibliographie

Gabriel Zimmermann, né en 1979, vit et travaille à Paris. Il a publié dans plusieurs revues (Europe, Inuits dans la jungle, Les hommes sans épaules, Traversées, Recours au poème, Libelle, Le capital des mots, Lichen, Poésie 99) et son premier recueil, La soif et le sillon, est à paraître aux éditions Tarabuste pour le printemps 2017. Il a publié un recueil de nouvelles et de contes, Une dizaine de femmes, aux éditions Édilivres. Il tient aussi un blog, « Ceci n’est pas un blog soporifique sur la littérature », qui contient des chroniques sur la société contemporaine et des récits.


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