EXTRAITS INÉDITS D’UN PREMIER RECUEIL (inédit)
La pièce est blanche. Vide. Seul un serpent vit au centre, et il se mord les yeux. Ses écailles blanches luisent comme des vieilles cendres. Je m’approche de lui, nue, et mes pupilles déraillent. Altérité –- je tends mes mains vers lui. Des ombres vertes apparaissent –- j’ai froid. Je, je ? Qu’est-ce ? Je brûle. Mes petites braises brillent et comme du bois je crépite, je chante. Et le serpent s’enroule encore sur lui-même et pénètre ses propres yeux, son propre visage. Je ? Toi, toi, serpent, tu m’entends chanter ? Et le serpent murmure : ta voix me brûle toujours davantage.
J’ai atteint les entrailles, les failles, les misères. Mes mains pleines de couteaux, ma langue de colères. Tu brûles, enfant, tu as des allumettes dans le ventre, et du pétrole, des sortilèges. Mes yeux et mes mains déraillent. L’écriture me grignote – je ne peux plus ! je ne peux plus ! Parler ? non, je refuse. Je me mordrai la langue plus fort encore, s’il le faut. Et les gencives, pour mes nids d’aphtes, mes douleurs qui proscrivent les sourires. Et ma gorge se tord, ma soupape rouillée.
Vais-je vivre jusqu’à l’aube ? Peur. Accident de voiture, la bouche dans la terre, le visage trop humain. Je voudrais être un ange.
J’ai broyé mes crayons – je souhaite des incantations, écrire un ensorcellement. Vous brûlez, vous, sur le bûcher de mes vers. Mes vermines, mes asticots… Je suis habitée par une gorge blanche.
Mes mains mentent ?
Je dois creuser encore. Je ? Qu’est-ce ? Creuse encore. Pourquoi un serpent ? Pourquoi ces images sont-elles les miennes ? Creuse creuse creuse. Creuse jusqu’à ta voix pure, jusqu’à tes fleuves intranquilles, tes lacs brûlants.
J’IRAI DIRE BONJOUR À DANTE
Je découvre toujours mon visage avec un certain étonnement, une incompréhension
J’inspecte mes traits et j’apprends les différences
Comment ils changent quand je tourne la tête
Quand je la lèveLà, mes yeux et mes joues de grenouille
À la peau luisante
Maladive
Blanche comme un lait bouilli pour bébéÀ d’autres moments, mon air d’indifférence
Je me trouve méchante et m’étonne que personne ne l’ait encore remarqué
À part peut-être ma mèreJe ne suis qu’un tas de petites froideurs du Nord
Qui bousille ses lumières
Je grésille comme une mouche
Mourante, je finirai grise
Terne comme un portPeut-être suis-je folle
Peut-être vais-je finir par tuer mon ventre et ma tête
Et brûler les racines qui me tiennent encore dans le ciel
Mais ce ciel est pourri comme une pomme
Triste si triste
Un ciel d’hommes et de maman
Qui m’accusent
Et une jeune fille me sort
“De toute façon je ne t’aime pas”
C’est dommage petite sœur
J’irai en enfer alorsAlors adieu
Je vais aller déambuler dans les cercles de Dante
Ça sera peut-être mieux que la maison méchante qui punit ma tristesse et mon désarroi
Et où pleurer est interdit
Où les hyènes vous mangent en riant
Et vous rongent le corps à coup de mots et de griffesAlors je vais en enfer
Et peut-être que je saurai pleurer
Quand on aura à nouveau
Frappé mon corps
Étranglé ma gorge
Griffé mon sexePeut-être que je saurai pleurer
Quand j’aurai des enfants pleurant près de moi
Et quand j’aurai un corps, le mien, mon corps.
Impression terrifiante que je ne reverrai jamais Nice. Que je n’aurai jamais à nouveau la mer léchant mes chevilles – je n’aurai que ma poussière et mes cendres. Je veux pleurer car je ne verrai jamais les mimosas danser, ni les oliveraies bruisser leurs siècles. Car – ma poitrine tremble encore, les aiguilles piquantes de mon cœur me picorent mes dernières heures. De douleur mes yeux se troublent, mes épaules se resserrent vers leur cœur – je m’effondre sur moi-même en arythmie. Ruine et toujours ruine – ma tendre obsession. Mes moineaux se débattent dans leur propre sang. Je suis si faible, tout petit merle dans des paumes mouillées. Malformée – mon cœur est un monstre, je suis une maison hantée. Ne parlons pas de mon âme – ce n’est qu’une dérive, qu’une berge envahie de ronces et d’orties. Demain les dernières grandes heures, et le cheval de l’aube saignera une dernière fois dans mes yeux. Ma
petite berge sans balançoire, tu voulais être une grande falaise pour survivre aux grandes tempêtes et être fière, mais tu ne survis même pas aux petites pluies – tu te noies tout le jour. Ma chambre d’enfant ne murmure plus de comptines ni de loups – j’ai tout brûlé, je brûlerai toujours tout et tout le passé pour creuser de grands lacs tristes. Mes grands lacs aux paupières transparentes, le ciel y tombe pour se faire des nids – je n’accepterai désormais que cela, le ciel, les cyprès, les vivants oiseaux. Le reste est à jamais proscrit.Et ce soir, j’irai mourir dans mon lit comme un faon sous les bruyères.
Le poème – c’est cacher son visage derrière chaque vers
Ciselé d’un tout autre portrait
Inhumain
Fait d’ombres de lumières de bruits de fer blanc
De mouvements
C’est sourire aux empiristes pendant que je broie mon être
Tentant d’atteindre les sensations pures – hors de mon corps
De sentir les objets, la pierre froide
Et vouloir croire – comme une enfant
Qu’il a quelque chose là-dedans de plus que mon simple regard
De plus que mon simple touché
Et sourire à Hume, à la délicatesse
En disant doucement :“Mon cher David, laisse-moi croire à la tendresse d’une aube veux-tu…
Laisse-moi croire à la grandeur d’âme d’un arbre et à sa divinité
Et aimer ma tasse comme un petit fétiche
Je sais que tu as raison mais laisse-moi
Laisse-moi à mon enfance et à mes sortilèges.”Et je sais qu’il sourira, le philosophe
Sachant alors que je ne parle pas à lui
Si ce n’est, à travers lui, à la tortionnaire d’enfant qui règne parfois en moi
Qui, si souvent, me menace de me couper les mains et d’en brûler les vermines.“Alors alors
Bien sûr
Un peu d’enfance
Un peu de douceur
Ne va pas mourir pour si peu voyons, tes vermines sont si belles
Et tu les aimes si fort quand la tortionnaire te tourne le dos."
“Je crois en la nudité de ma vie.”
Sophia de Mello Breyner AndresenJ’ai jeté ma valise et mes jambes
Dans la première poubelle que j’ai croisée dans la rue
Je me suis défaite du mouvement du monde
J’ai refusé que la terre tourne et que les horloges battent le temps comme du pain
J’ai refusé la farine du monde
Et ce printemps qui est déjà tombé sur l’été et l’été sur l’automne
Ça se ramasse en bruit continu et j’ai envie de hurler car je veux seulement un silence
À tenir dans ma petite poche blancheJ’ai jeté ma valise et mes jambes pour aller nulle part
J’ai voulu quitter le monde en barrant mon nom de tous les registres
J’ai voulu abolir tous les adjectifs, tous les noms, la parole même
Et brûler mon corps pour devenir cendres-perdues, vent-retrouvé,
Vivante et beauté blêmeLa simplicité absolue – un matin, une nuit, une lumière
J’ai jeté ma valise et mes jambes
Pour me transformer en draps
Linges blancs, mains de lilas
Roches des rivièresVivacité
Oh quel beau petit mot dans la bouche !
Vivacité – mes joues mouillées
Le cœur en baladeJe vis ! Je vis ! Je vis !
Des gerbes de fleurs se sont mises à prier pour nous
Qu’une nouvelle pluie sous assaille
Nous – enfant assoiffés de sublime
La tête nue – rimbaldienne
Brindilles de lumières
Allongés sous les talus de l’aube
Nous avons ce chant qui nous poursuit
Nous avons ce sang qui est le nôtreJe tiens par la main ton cœur – Akhmatova
Et le tien – Maria
Et le tien aussi – Tsvetaïevaet le chapeau de Pessoa passe au loin
… là-bas
Toujours le même poète –
Et toujours le même cœur.
Je n’ai dans la tête, dans mon désir
Qu’oiseaux, cyprès, grandes – grandes montagnesPapier jaune pour allumer les doigts
Et du rêve pour jouer à quelque choseSuis-je malade si je pense si souvent
Avec des larmes sur les joues
À l’air pur des montagnes ?Si seulement je pouvais être ce brin d’herbe, ce lierre…
Là-haut
Pour boire la lumière tout le jour
Pour être ivre
Solstice d’été sur le cadran – la lumière est tendre ce soir
Dorée – byzantine
Les orages sont aimés
Les réservoirs de pluie chantonnent
Et sentent le blé
Et moi – sans âge, sans temps ni voix
Enfant née, vieille et déjà absente
Je bois l’eau aux pétales des fleurs
Et brûle en poèmes l’encens froid de mes os.
à mon amour
Les lilas m’ont brûlée
Les chants d’amour m’ont anéantie
Les champs de blé m’ont grignoté le corpsJe t’aime avec des tentatives pleines de vermines lyriques
Je t’aime avec des poèmes qui ne sont pas les miensLes calamités m’ont rongé la gorge
L’écorce a envahi ma bouche
Les araignées ont mordu ma langueLa brume m’a pleurée à l’orée du jour
– Enfant malade, tapis des hommes
J’ai voulu me foutre le feu pour me laver
Et me tisser un nouveau corps
De braises grandioses
De scories chatoyantesJe t’aime avec mon enfance sans nom et sans visage
Avec ma laine, mes bises de vivacité, mes lierres
Mes maisons, mes campagnesAimes-tu mon enfance ? Ma sauvagerie taciturne, mes prières païennes ?
Aimes-tu le silence du matin qui bout dans la bouilloire ?Je t’aime avec mes fleurs de thé, ma tristesse, mes mains mimosas
Je t’aime avec mes joues jaunes, mes ongles rongés
Mes idoles de terre, de sang et de soleil
Je t’aime avec mes odeurs préféréesAimes-tu le basilic mouillé de pluie ?
Le thym m’a mordu la peau
La mer m’attend
Le nord m’en veutJe t’aime avec mes chemises bouffantes, mes grains de beauté, mon cœur cicatrisé
Aimes-tu ma chair ciselée, mes lèvres en lambeau, mes crayons névrosés ?
Je t’aime avec mes doigts pleins de censure
Je t’aime avec mes cuisses écartées, mon parfum de miel, mes cris d’oiseau
Je t’aime avec mes gouttières chantantes, mon toit blanc, mes paumes toutes nues
Je t’aime avec mes seins brûlantsAimes-tu la pluie qui toque à la fenêtre ?
Le vent m’a rendue tournesol, malade
Le passé m’agrippe comme un linge saleJe t’aime avec mes peurs infatigables, mon visage gris, mes lèvres de marbre
Je t’aime avec la langueur d’un été, la fatigue de vivre
Je t’aime avec mes salissures, mes bouts de verre, mes yeux perdusAimes-tu sauver ma voix ? Aimes-tu briser mon silence ?
La nuit m’a donné un bec de chouette, des nouveaux chants, mes voluptés
L’éveil m’a rendu les yeux vivants qu’elle m’avait volésJe t’aime avec mes murs griffés, mes dévotions athées, mes attentes de grand feu
De torrents, de rivières, de mer qui se renverseAimes-tu les navires blancs ? Les lits propres, les draps parfumés ?
Aimes-tu le goût de ma chair ? Et croquer mes fesses pâles ?
Aimes-tu mes morsures de louve ?Aimes-tu que je te voie ? Aimes-tu ma timidité d’enfant ?
Je t’aime avec mes fuites, ma nervosité riante, ma maladresse tendre
Je t’aime avec mes nuits de solitude et d’absence
Mes nuits d’onanisme, de désirs immensesAimes-tu me voir ?
Je t’aime avec ma nudité entière, ma nudité d’âme
Mes vers de sang, mes doigts en promenadeAimes-tu ma vie ?
Les chants m’ont assaillie
– Moi, je t’aime avec ma vie
Entretien avec Clara Regy
Qu’est-ce qui vous a menée à/vers l’écriture ?
Comme beaucoup je crois, c’est par le plaisir de la lecture et des histoires que j’ai commencé à écrire, encore enfant. L’écriture de poésie est venue assez naturellement ensuite, vers la fin du collège où j’ai découvert, comme souvent à cet âge, Baudelaire et surtout Eluard (mon collège portait d’ailleurs son nom), mais aussi de jeunes poétesses sur une petite communauté Facebook, durant les années 2015 (autour de mes 15 à 18 ans je dirai). Eluard et ses Derniers poèmes d’amour ont été importants, comme Darwich un peu plus tard, pour la liberté des images, ce langage si particulier d’images sensitives qui compte beaucoup pour moi. Mais la différence avec aujourd’hui et ce depuis quelques années, ce sont mes tentatives de mieux comprendre, d’être plus consciente de ce que je tente de faire (ou de ce qui tente de se faire à travers moi).
Est-ce une pratique quotidienne ?
C’est ce que je tente de faire depuis peu. Je suis encore soumise à mes pulsions et à mes frustrations immatures, mes petites paniques devant la feuille si ce qui sort ne me convient pas… mais j’essaie de suivre les conseils d’un ami et la maxime : Nulle dies sine linea.
Quels sont les auteurs -poètes ou non- qui vous suivent ou ont provoqué « quelque chose » en vous ?
Ils sont évidemment nombreux et j’en ai encore beaucoup à rencontrer. Sans parler des autres domaines artistiques (notamment la musique qui est essentielle à ma vie et m’accompagne quotidiennement dans mon écriture). Mais si je peux citer quelques autrices (car ce sont essentiellement des femmes) qui ont eu un impact direct sur mon écriture : Sylvia Plath et Anne Sexton pour les sujets évoqués qui m’ont permis de me dire “Ahh je peux donc parler de ça dans un poème !”, mais aussi pour la beauté et la force de leur langue. Violette Leduc pour les mêmes raisons, son authenticité. Unica Zürn, car ce furent des lectures douloureuses, maladives, effrayantes, dérangeantes, à l’écriture éblouissante. Etty Hillesum et Sabine Sicaud pour la tendresse, l’humanisme immense et l’amour.
Est-ce difficile de mettre en « mots » les thèmes qui vous inspirent, notamment la vie, la mort… ?
Oui et non. Je tente de parler de ce que je “connais”, de ce que j’ai vécu. J’ai été confrontée à ma propre mort dès ma naissance, bien que mes parents n’ont jamais voulu me faire peur avec de possibles problèmes de santé ou d’avoir honte de la cicatrice qui traverse ma poitrine. L’angoisse de la mort est malgré tout présente et c’est par une nécessité, un peu adolescente peut-être, que ma volonté de vie est aussi présente et jaillissante dans mes poèmes.
Ce qui peut être difficile c’est de trouver des formules qui me conviennent, qui soient authentiques, qui aient des aspects “nouveaux” et qui soient justes. Je ne suis pas sûre d’y être encore.D’autres sujets (les relations familiales douloureuses, les traumatismes sexuels, ma mère perdant un enfant, la sexualité, etc.) sont plus difficiles à aborder, dans mon contexte social propre. Il faut lutter contre certaines inhibitions, un sentiment de culpabilité, il y a quelque chose de risqué non pas à écrire dessus en soi mais à le partager ensuite, à le faire lire. Mais c’est parce que c’est difficile et risqué que je sens que je dois écrire dessus, que ça compte, même si je ne me suis pas encore défaite du sentiment de honte. Je sais que mon écriture n’est pas encore entièrement libérée, que j’ai peur. Je sais que les années à venir seront consacrées à libérer tout cela.
Si vous deviez définir la poésie en 4 mots quels seraient-ils ?
Je ne suis pas sûre de pouvoir (ni de vouloir) définir la poésie, je peux seulement dire ce que je cherche à lire et ce que je cherche à écrire. Ainsi je dirai : élégance, souffle, brûlure, clarté.
Héloïse Roquencourt est une jeune poétesse et plasticienne, née en 2001 en Picardie, habitant à Nice. Elle est passée par des études d’histoire de l’art et d’archéologie (Ecole du Louvre) et débute une carrière de libraire. Elle travaille actuellement à un premier recueil de poésie.
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