Cinq textes au beurre suivis d’extraits de saline à paraître aux Éditions POÉTISTHME en 2022
Cinq textes au beurre
enfance demi-sel
l’été ma mère nettoyait
le sang d’un genou
dans la lumière endormie
de la cuisine ou était-ce
une église
*
vermicelles fumants
sur carrelage froidpourquoi pleurer pour si peu
d’oiseaux pour si peu
d’enfance
*
une lumière blessée
recouvrait des légumes
encore fardés par la nuit
que l’on sème à plusieurs
et dont on cueille à regret
les très grandes solitudes
*
le bruit du frigo
l’évier qui goutte
une mouche oublieuseet le goût rance des adieux
*
girolles à l’ail
avec de l’huile et du beurre
papi sent les champs
retournés qui ne
reviendront plus
Extraits de saline à paraître aux Éditions POÉTISTHME en 2022
je recueillais des étoffes de nuit
confectionnant
ta nudité
*
j’aime défaire des mots
sur ton dos
langage de très peu
de très nu
*
graver sur la mer
nos corps convalescents
détenus par la nuit
*
n’écrire que par fissures
ne t’aimer que par accès de lumière
*
j’ai ce qu’il faut d’oiseaux
pour en peupler nos voixpays creusés d’absence
*
une chambre abandonnée
pleine
de ce qui ne s’y trouve plus
*
il manquait à ma peinture
un peu de cette nuit
qui s’efforce de briller
sans y parvenir
Entretien avec Clara Regy
Dans un paragraphe unique vous êtes parvenu à simplement, vous ouvrir à ce qui pourrait sembler être essentiel dans cet entretien. Je commencerai, donc, par la fin « votre évolution en écriture ». Pouvez-vous en quelques mots, nous présenter les différents paramètres de cette évolution ?
J’ai commencé à écrire très jeune, et très vite de la poésie, ou en tous cas des textes dont la forme versifiée rappelait la poésie. J’ai découvert ensuite un forum d’écriture, Le Monde de l’Ecriture, à 17 ans, sur lequel je suis encore aujourd’hui, et qui m’a permis de faire mûrir mon écriture de manière accélérée. La théorie de la relativité nous dit que plus on s’approche de la vitesse de la lumière, plus le temps ralentit. Le forum a été pour moi ce formidable moteur qui m’a permis d’économiser de nombreuses années. J’y ai beaucoup expérimenté : vers, prose, formes classiques et modernes, textes expérimentaux, spatialistes, logorrhéiques. Toujours très denses. Toujours de la poésie. Les commentaires m’ont aussi aidé à progresser, tout comme la lecture des autres membres. Mieux, commenter les autres, en se demandant pourquoi l’on aime ou non, aide énormément à aiguiser son œil quand il s’agit de « passer son propre texte au scanner ». Cela peut paraître surprenant, mais je ne me suis intéressé à la lecture que vers 20 ans – car avant je ne lisais pas –, intrigué par la signature d’un des membres du forum : « Je me prenais pour un idéaliste, c’est ainsi qu’on appelle ses propres petits instincts habillés en grands mots ». C’était Céline, alors, moi qui n’avais jamais lu autre chose que les livres imposés à l’école, des encyclopédies sur les dinosaures et l’astronomie, j’ai lu Céline. J’ai lu son Voyage au bout de la nuit et je ne savais pas que l’on pouvait écrire comme ça. Il a ouvert en moi des passages dans lesquels je me suis engouffré. Je lis très peu, mais tous les auteurs qui m’ont marqué avaient cette capacité : fragiliser la roche. Car c’est encore à nous de creuser notre propre corps à la recherche du passé, d’un minerai. C’est une archéologie intérieure, une fouille à l’âme, une spéléologie effrénée. Je suis un peu mystique lorsque j’en parle mais je pense que certains livres agissent comme des séismes dévoilant des galeries inconnues qu’il nous revient d’emprunter ou non. Plus tard, je découvrais Alejandra Pizarnik, Béatrice Douvre, Jean-Claude Pirotte, Jean Follain ou Louis Calaferte. Tous ont contribué, à leur manière, à ce cheminement littéraire. Je m’en suis nourri, les ai mâchés, digérés, les ai faits miens en quelque sorte. « La beauté sera comestible ou ne sera pas. » Enfin, je me souviens de la remarque d’un des membres du jury d’un concours auquel je participais : « Il faut lui dire de maîtriser davantage, il gagnera ce qu’il craint sans doute de perdre ». Ce que vous lisez de moi ici n’a plus grand-chose à voir avec les torrents verbaux qu’il m’arrivait de produire à l’époque, et ne ressemblera pas non plus à ce qui viendra. « Il gagnera ce qu’il craint sans doute de perdre » : encore aujourd’hui je suis frappé par la pertinence d’un propos qui m’a permis de verbaliser un impensé. J’avais peur, en effet, qu’en simplifiant le lexique, élaguant la phrase, bref en épurant l’ensemble et resserrant jusqu’à l’essentiel – c’est-à-dire ce qui ne peut être retiré, je perdrais en force. C’était le contraire. Enfin je crois.
Et d’ailleurs que mettez-vous derrière ce terme « évolution » ?
J’aime à penser l’écriture comme un petit mammifère hyperactif, un peu farouche. Je ne suis pas sûr que l’on puisse l’apprivoiser tout à fait, ni qu’il le faille, au risque de se complaire dans des certitudes sclérosantes. Bien sûr, il remue davantage dans les jeunes années. Tout de même, j’espère qu’une fois assis sur mon rocking chair je continuerai d’entretenir un doute, qui certes s’amenuit avec le temps, et heureusement, mais un doute, une saine insécurité. L’évolution est la conséquence du doute, c’est le déplacement de son geste sous une autre lumière, plus belle, plus douloureuse. Comme tant d’autres orpailleurs, je cherche la beauté dans la glaise. Elle fait supporter le monde.
Vous aimeriez aussi vous entretenir sur votre « rapport à la littérature », pouvez-vous évoquer aussi quels ont été, ou sont encore, pour vous, les auteurs « inspirants » ?
L’écriture n’est pas une passion, peut-être davantage une obsession, je ne sais pas. C’est là sous la peau comme une grammaire fondatrice. J’écris peu, pourtant. Peu de mots, et de manière très irrégulière. Elle ne m’en veut pas et moi non plus. C’est un geste physique, un théâtre, un abri, un langage éteint, la recherche d’un lieu qui ressemble à celui de l’enfance et du rêve, un lieu en dehors du monde où séjournent des sentiments complexes, mais un endroit profondément agréable. Un locus amoenus, une architecture en pleine mer, une chapelle oubliée, deux mains qui se frôlent, un silence, un parfum, le temps détricoté, l’absence, l’attente et le désir. L’écriture « n’est pas une ambition que j’ai, c’est ma manière à moi d’être seul », disait Pessoa. J’aime la lumière de Pizarnik et celle, brisée, de Douvre, j’aime aussi les tableaux ruraux de Follain et de Pirotte parce qu’ils me plongent dans un état de vertige et de fascination. Le sentiment de ne pas saisir dans son entièreté ce qui se présente à nous, malgré la lecture répétée. Je ne parle pas d’une compréhension logique des vers, de la peinture, de la mer et du temps qui passe, mais d’une impuissance à « ingérer », concevoir la beauté. Parce qu’elle prend des chemins dédaléens et que le sentiment qui la compose est trop volatile et pluriel pour qu’une photographie la résume. En résulte chez moi cette sorte de vertige et d’hypnose devant le bord du précipice. Et quand je lis, et quand j’écris, je souhaite retrouver cet état.
Et vos « sujets de prédilection » ? Le sont-ils parce que vous les aimez, ou réapparaissent-ils quand ils le veulent ? Avez-vous des obsessions ? (sourire)
Je ne fonctionne que par obsessions : l’amour, la mer, la tendresse, l’enfance, entre autres. Elles sont là toujours en moi et je les appelle quand j’ai quelque chose à leur dire.
Et après tous ces sujets de réflexion… La question subsidiaire ; si vous deviez définir la poésie en 3 mots, quels seraient-ils ?
Briser, vertige, nue.
Maëlan Le Bourdonnec est né à Saintes en 1993. Sculpteur, il façonne la buée de son corps en forme de mots. Orpailleur, il tamise prudemment, longuement son verbe, jusqu’à son plus simple appareil : un caillou, un toussotement, un léger heurt de langage.
Il a publié dans plusieurs revues/collectifs tels que Poésie/première, Le Cafard hérétique, lichen, Le Capital des mots, Flammes vives, Poétisthme, Le Soc, et d’autres à venir : La Cinquième Saison, Éditions des Embruns, Margelles. Il a également eu l’honneur de remporter le 1er prix étudiant et le prix spécial Jean l’Anselme de l’humour à Poésie en liberté 2019, ainsi que le prix Printemps des poètes 2018 des Éditions Robin. Son premier recueil, saline, est à paraître aux Éditions POÉTISTHME en 2022.