Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Emilien Chesnot

vendredi 6 octobre 2017, par Cécile Guivarch

omnis

1.

face au miroir et dedans
vibrer comme

dénuder
la tête de ses

réverbérations

adhérantes
réverbérations

2.

désclérose
vibre et t’immacules

d’omnis

3.

omnis tenu
régi

par le miroir
une entrave
qui n’a pas de corps propre

le fil se voit tendre
fendre le miroir

4.

sentir nous prend uni

rien en face ne le sait

même déracinées
aux mains leur réel

est sans cesse rendu

5.

mains
pleines
jointures

pleines d’eau
gelée qui se remplit de mains

miroir vide
d’un
corps qui se déverse

dans le miroir suivant

6.

faire
de la voix

la magnitude de ce que tu pourrais

être

c’est être
et y être

7.

ma voix l’ai-je seulement

vibrée assez longue

8.

on a vu
jusque-là on a cru
fermé

de l’homme au ciel

le miroir ouvre cela
infiniment

9.

avec soi dedans
compacter tout soudain
pour se croire

comme se croient touchées les choses entre elles

10.

je passe et le miroir s’occulte
je reste et le miroir dissout

j’existe par l’intermittence
du miroir je suis le bougé

du miroir

11.

l’impair ne peut se faire face
sans se constater un manque

lui faudrait un manque

de surcroît

pour se fuir

12.

dans le miroir dans le miroir

voir ou pas ne s’excluent

c’est omnis
que de ne rien exclure
du voir

et avancer
parmi les côtés de l’œil
qui battent

13.

dans une acidité
immobile

trempé
les nerfs dissous

je vois défiler la pensée
je vois crouler l’intérieur des yeux

creusants

14.

s’alléger
de tout le contenu

en voyant le contenu
contenu dans le miroir

et le miroir dans le miroir
s’alléger de l’infini

aussi je m’augmente de tout ce qui me suit
de tout ce qui me précède

sans même le posséder

pour me mouvoir sans frein
dans une fuite dont la joie déferlante
m’indique les bords

dire l’extrême
en faire avancer le mot

pour être et ne plus
avoir


Entretien avec Clara Regy

Ce que l’on peut d’abord noter c’est ton extrême jeunesse, il est difficile de ne pas te demander quels sont tes « maîtres » même si le terme se montre un peu démodé ?

Avant de passer à la pratique, tout écrivain commence par lire. La question des références est donc tout à fait légitime, et elle se reconfigure à chaque étape de la vie d’un lecteur, quel que soit son âge. Elle ne cesse jamais d’être actuelle. J’assume le terme de « maître », d’autant qu’il m’est naturellement agréable d’admirer et de chercher à comprendre, en écrivant, ce que je dois à ceux qui m’ont précédé. Pour te répondre, je citerai quelques poètes dont l’influence est particulièrement sensible dans l’ensemble que l’on peut lire ici : Guy Viarre, qui ne m’a pourtant jamais « autorisé » à écrire, bien au contraire ; André du Bouchet ; Guillevic ; Jean-Louis Giovannoni ; Patrick Wateau. De manière plus générale, et si l’on remonte un peu, je citerai la triade Verlaine/Baudelaire/Rimbaud, qui m’a fait éprouver mes premières sensations d’ordre poétique ; et dans le champ du roman, Rabelais, Flaubert, Proust, Claude Simon.

Et peut être aussi les auteurs qui font partie de ton quotidien ? (poètes ou non d’ailleurs...)

J’ai déjà commencé à répondre à cette question avec les écrivains que j’ai nommés plus haut, qui font toujours partie de mon quotidien. Ces auteurs portent en eux une telle exigence de langue qu’il est impossible de ne pas y trouver une nourriture, une impulsion nouvelle quand on s’y replonge. Mais je peux y ajouter quelques noms, au hasard de la mémoire : Marie-Françoise Prager, Eric Sautou, Armand Dupuy, Louise Labé, Bernard Noël, et, de manière peut-être un peu plus surprenante, des romanciers comme Jean-Patrick Manchette, ADG, Frédéric Dard, Echenoz, Christian Oster ou Patrick Deville, pour le vif plaisir que j’éprouve à me sentir en prise avec leur vitesse, avec leur déploiement d’inventivité et d’imagination. D’autre part, ils me mettent au milieu du monde contemporain ou quasi-contemporain, situation dont je ne jouis pas toujours lorsque je lis mes poètes favoris.

Écrire : Une nécessité ? Une évidence ? As-tu toujours écrit ?

Une nécessité, certainement, mais qui s’est déclarée sur le tard. Je veux dire par là que je n’ai pas toujours écrit, loin de là, même si mes premiers petits textes remontent à l’enfance. Car il n’y avait là aucune préfiguration de mon obsession à venir pour la littérature. Jamais avant mes vingt ans je ne me suis dit : « ça y est, j’ai trouvé ce que je veux faire, et cela se résume à la lecture et l’écriture. » C’est au cours de mes études supérieures, c’est-à-dire quand j’ai véritablement appris à lire, et à lire des auteurs essentiels, que s’est brusquement déclarée mon inaptitude à faire quoi que ce soit d’autre. Ce qui relève de l’évidence là-dedans, c’est la matérialisation de cette poussée sous forme de poésie. En effet, dès que j’ai commencé à écrire, des poèmes sont apparus... et sont réapparus, inlassablement. L’évidence, c’est la poésie, pas l’écriture.

As-tu des rituels ? Moments, lieux, objets ? Ou plutôt des habitudes ?

Oui, je suis soumis à de nombreux rituels, si l’on excepte l’heure de la journée, qui m’est indifférente. J’écris toujours dans ma chambre, sur mon ordinateur, avec un thé. Je ne peux également pas me passer de fumer. Il faut que porte régulièrement quelque chose à ma bouche. Lorsque j’écris mes premiers jets, j’écoute en boucle le même morceau de musique, jusqu’à vingt ou trente fois. Je pioche parmi un petit répertoire de morceaux que je connais, et il s’agit toujours de musique électronique. J’écoute en boucle des boucles. En revanche, les révisions et corrections se font souvent en silence.

Et dernière question un peu curieuse en fait : si tu devais définir ce qu’est la poésie pour toi, en trois mots ou trois phrases très courtes quels seraient-ils ?

C’est très difficile. Allez, je vais essayer. La poésie est peut-être une manière de penser plus consciente que les autres des lois du sensible, qui agit et réagit de manière instantanée en fonction de ce que voit l’œil, sent la peau et entend l’oreille : une vitesse pure.


Emilien Chesnot est né en 1991 à Rennes, où il vit aujourd’hui


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