Extraits de Le paradis était sur terre
pour dresser mes cartes de sépia sauvage
sage à côté du pinceau
je fais sourdre la profondeur liquide
du goutte à goutte de l’encresinuosités instables
ici, embouchures de fleuve
ou telle île abandonnée
là, autres berges inondées
ou photos d’un rêve
butent contre le souvenir de l’arbre
devenu papierc’est toujours par la fin
que les choses commencent
j’ai planté des piments doux
sur l’amour qui sait me défaire de moi
enveloppée de toi, j’aime dériver
un temps court à vivre
à respirer ensemble peut-être
et la nuit creusée dans ses bruits choyeux
j’apprivoiserai les chiens
j’ai couru en colère
j’ai travaillé en colère
j’ai voyagé en colère
dans l’écaille étroite de mes mouvements
à ce jour délicat des bourgeons en fleurs
sais-tu le commencement
ou
c’était peut-être sur une autre planète
hors de portée ?
mais si tu as faim de moi
si tu m’appelles à te dessiner
dans l’ombre de nos corps
ton sexe dans ma main
tout retourné tendu hors de moi
je te ferai vivre aveugle et solitaire
devenue soudainement nécessaire
au corps à corps de ta vie
récolte, il n’y apparaîtra rien
qu’elle te colle à la peau
l’odeur qui monte de moi
emporte là-bas
ce dernier souvenir de vendange
qui remue invisible
jusqu’à l’intérieur de toi
comme un point d’ancrage
savoir si quelqu’un d’autre
parfois se débat comme
le prolongement des digues
contre l’assaut suicidaire des vaguessavoir qu’il se laisse couler
dans l’aleph des mots étendus
en débâcle
en tous sens
longs à venir
jeteur de sorts aux murailles
quand les murmures sont
à l’oreille une voix
passée au bord des mots
voilà qu’ils se veulent intacts des filles sauvages
bouche à bouche de délices à l’extrême
qu’elles ne s’élancent pas si haut
qu’elles ne parlent pas trop fort
qu’elles ne rient pas si chaudlorsqu’un petit son zébré se détache trop clair
une gifle de branche sifflante, arrachement inattendu
les rattrape à l’ordre d’être
une chaise face à
une femme debout
face à une chaise
et sur le mur crépité d’en face
un enfant conduit la lumière qui
grignote ses contours
pour déplacer ses ombres
sous les gouttes de pluie
les pierres lapidées
écartées entre
les lèvres plumées des fougèressous l’œil assuré
qu’il faudrait
campent deux fleurs venues d’ailleurs
et s’allument d’elles-mêmesà partir de là
sauver les germes
et les semences
Mini entretien avec Sabine Huynh
D’où vient l’écriture pour toi ?
Je me souviens avoir vu mon père écrire ; j’y voyais quelque chose de magique. D’un liquide informe et noir sortait, sous une plume, des traits, des déliés, des boucles, transformés très vite en sons. C’était la première rencontre avec l’écriture.
J’avais hâte. Je voyais mon grand-frère faire ses devoirs sur la table de la cuisine, et, en le regardant, j’ai appris à lire et à écrire avant d’entrer à l’école.
Comment travailles-tu tes écrits ?
L’écriture commence par le tarabuste. Des mots qui m’obsèdent et veulent se poser sur le papier. Puis c’est le gribouillage, le stylo qui se promène tout seul sur la feuille et qui forme des mots, puis des phrases. C’est une errance. Après un intervalle silencieux, je reprends, je décortique. Alors, comme un sculpteur, j’efface, je creuse, j’enlève de la matière, j’en ajoute… jusqu’à l’équilibre, même fragile.
Quelle est ta bibliothèque idéale ?
Michaux. C’est la rencontre du visuel et du verbal, où je me retrouve, comme dans une famille spirituelle et esthétique. Desnos, et les irrévérencieux de son genre, mais aussi Valéry, pour l’équilibre, de nouveau. Et maintenant les poèmes qui circulent grâce à Internet.
Petite bio-bibliographie
Colette Leinman est née à Mont Saint Aignan et elle est arrivée en Israël à l’âge de dix-huit ans. Elle dit avoir toujours gribouillé sur ses cahiers des mots et des dessins qui n’avaient sans doute pas beaucoup de sens, mais qui lui ont donné le sentiment qu’elle avait quelque chose d’important à partager. Elle a poursuivi son parcours universitaire jusqu’à la thèse, tout en exposant ses tableaux en Israël et en Europe et en publiant ses poèmes dans des revues et des recueils.
Recueils parus chez L’Harmattan
- 2004, des comme si à croire et à rêver
- 2008, ce qui reste d’écorce
Livres d’artiste
- 2011, Les très riches heures du Livre Pauvre, avec Daniel Leuwers, chez Gallimard
- 2012, Le Cycle des N’Hommades, chez Le Scribe-L’Harmattan
Thèse parue aux éditions Rodopi : Les Catalogues d’expositions surréalistes à Paris de 1924-1939.
Son site : http://www.coletteleinman.com/
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