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Sylvain Guillaumet

mardi 15 janvier 2013, par Cécile Guivarch

extraits de La joue contre la vitre

Dans la cour de l’école

ça crie
ça court
ça tombe
ça pleure
ça rit

dans sa classe
elle est seule

elle pose sa tasse de café
et relit
la lettre du ministère

tout n’est pas perdu
se dit-elle

tout à l’heure
au verso de la lettre

les enfants dessineront

des oiseaux rouges
des soleils bleus
des arbres jaunes

comme une réponse à ces sinistres cancres de la vie



Métro

la joue
contre la vitre

comme
épuisée

de n’avoir pu la briser



Assise
sur le radiateur

sans lire

elle tourne les pages tremblantes
de jours de France

ou bien

elle regarde la cour
sous la neige

la neige
la cour

comme les jours tombés sur sa vie

ce flocon-là
c’était hier

la même cour
mais en été

sous le soleil

maman aux cerises
papa à la guerre

et elle

près du puits
avec sa poupée Sophie

regarde Sophie
le facteur

une lettre
pour maman

mais non Sophie
c’est un gendarme

le lendemain
elle a jeté Sophie dans le puits

la cour
la neige

les pages tremblantes



Au centre d’appels

pas un
pas une

ne l’a vu
se moucher
poser son casque
ranger ses affaires
se lever
marcher

pieds nus

ouvrir la fenêtre
et se pencher vers le ciel

pas un
pas une

sauf
le manager

mademoiselle
ici
ne pas se lever
ne pas parler
ne pas sauter

et surtout
ici
ne pas fumer

heureusement
le manager avait une tête de cendrier

car
ne pas faire de trou dans la belle moquette



Rive de gris
bateau rouillé
tronc d’arbre mort
à la dérive

sur les quais
ses pas s’arrêtent

la Loire

aujourd’hui
elle la ressent
comme la douleur
qui coule dans elle

lent et large fleuve
estuaire lointain



A Paris

la liberté
c’est juste sous le ciel
au septième
sans ascenseur

c’est pourquoi
les gens libres
on les reconnaît
à leur mollet
et à leurs yeux
toujours ouverts
aux couleurs du jour
comme la fenêtre
de leur chambre sans douche

elle ouvre la sienne
elle est nue
elle écoute Delerm

libre
mais quand même parisienne



Dans la cave
d’un pub irlandais
en plein Paris
on joue
on chante
la mer
les marins
les navires
le vent
le large

guiness sur guiness

maintenant

les garçons
regardent les filles
comme une chanson

et elle

regarde ce garçon
comme une île



Elle ne peint jamais sa petite rue de Bourges

elle peint

le loin
l’ailleurs
les murs rouges
le ciel orange
les grands boulevards du désert
où des bédouins
drapés d’or
marchent pieds nus

ici

ça pue l’ici
le gris
les heures
les rideaux
le pipi des petits jours
la boîte sans lettres
la lumière sans le feu
les feuilles sur le bitume mouillé

le PMU des amours
et son ticket

égaré dans les dunes



Un jour de moisson
le feu dans la grange
la voiture à l’âne
un gars du parti
les sabots gelés
le lait à tirer
les enfants des fermes
un chemin la nuit
Gaston et sa vielle
René et sa vigne
et Fernande
et Lucien
et Zélie
et …

sur chaque tombe
elle cueille
une fleur
de la vie d’avant

et nous allons
et nous repartons

les bras
remplis d’un bouquet bien vivant

laissant
les petits pots de fleurs bien mortes

au soleil de novembre



Pieds nus

sur la page blanche de l’espace
elle danse avec des mots

puisés

dans les brouillons de son ventre
dans les ratures de son sang




Mini entretien par Cécile Guivarch

D’où vient l’écriture pour toi ?

Collégien, les poèmes de Prévert, de Vian, d’Aragon me saisissent. Puis tous les grands classiques. Je me passionne à la fois pour les textes et leurs mises en chansons. C’est à partir de cette époque que je prends une guitare et découvre ainsi Brassens, Ferré, Gainsbourg, Nougaro,... en les chantant. 

Ensuite, je me tourne presque exclusivement vers la chanson et la musique. J’écris, je compose, je chante en public. Mes lectures restant cantonnées à mes premiers émois. 

Vers l’âge de trente ans, je découvre Guillevic, deuxième choc littéraire ! Mon horizon poétique s’élargit alors. Je lis des auteurs plus contemporains, et même encore vivants, comme Andrée Chédid. 

Tout en écrivant des chansons, je me risque à la poésie, en vers libres. Sans conviction. 
Fin 2008, une grave et longue maladie met ma vie entre parenthèse pendant dix mois. Cloué sur le lit de ma chambre stérile, sans papier, sans crayon, j’écris mon premier véritable poème. Je me reconnais dans ces mots. Puis entre les séjours au C.H.U. et ma convalescence, j’écris un recueil d’une trentaine de poèmes, sur ce que je suis entrain de vivre, pour mieux m’en détacher. Finalement, c’est grâce à la maladie que j’écris vraiment !

Commencent alors les premières publications dans les revues, puis du recueil « Dupuytren » (nom du C.H.U. de Limoges). 

Depuis, pas une semaine sans au moins un poème !

Comment travailles-tu tes écrits ?

Le travail d’écriture, commence d’abord par un moment, très particulier. Le matin, de préférence, avant d’être pollué par des détails de la vie pratique. Ce moment, c’est à la fois faire le vide et entrer au cœur des choses. En général, une idée se dégage, d’après ce que j’ai vécu dans la semaine, ou lu, ou vu, ou écouté. Puis vient la mise en mots. Ce jeu devient alors déstabilisant et jubilatoire. En effet, souvent, les mots m’amènent à d’autres mots, d’autres sonorités, d’autres images ou à des impasses. Ils jouent avec moi autant que moi avec eux. Si bien, qu’à la fin, l’idée initiale est détournée, voir abandonnée.

Pour moi, la poésie, c’est l’école du doute. Quand je commence un nouveau poème, j’ai toujours l’impression que c’est le premier que j’écris. Au contraire de la musique et de la chanson, je n’ai pas d’automatismes, de techniques, de refuges. Tant mieux d’ailleurs. C’est pour ça qu’on ne peut pas se cacher, se dissimuler. 
Le poème achevé, je ressens de la joie. Mais un nouveau doute surgit : serai-je capable d’écrire le prochain ?

A l’inverse aussi de la chanson, qui reste du remplissage (si intéressant soit-il), la concision est la maîtresse d’œuvre de mes chantiers. Le sens de mon travail est que les mots, chacun et entre eux, trouvent leur place, leur puissance. Que ce soit eux qui fassent le poème. Non pas qu’ils soient au service d’une phrase, même très jolie. 

Quelle est ta bibliothèque idéale ?

C’est une bibliothèque pas très grande. Car je ne relis que de la poésie. C’est une bibliothèque jamais remplie totalement. Qui laisse de la place à des auteurs et des recueils à découvrir. Et il y en a tant !

Sylvain Guillaumet est né en 1972 et réside à Châteauroux (Indre).
Auteur de poésie, il écrit et compose aussi des chansons et des contes musicaux.
Chanteur et musicien, il joue actuellement dans le groupe Rue des Orties et intervient dans les écoles.

Bibliographie  :

  • Recueil «  Dupuytren » suivi de « couteau et cahier » aux Editions Clapàs.
  • Poèmes publiés dans les revues les Ecrits du Nord (éditions Henry), Contre-allée, Chroniques errantes (Atelier de l’agneau), Multiples, Verso, Traction-brabant, Comme en poésie, Le coin de table (Maison de la poésie), Franche lippée (Editions Clapàs).

Discographie :

  • Trio Rue des orties :
    « les hameaux de la nuit »
    « Un soir de grand vent  » (en préparation)
  • Duo piano et voix :
    « Les drôles de types … dans de drôles de chansons »

Partitions :

  • Recueils de chansons : « Va là où tu veux » aux Editions Delatour.
    « Chansons des métiers » aux Editions Delatour.
    « Mystères en Berry  »
    « 10 canons »
    « 8 poésies en chanson  »
  • Contes musicaux : « Deux cailloux dans les mains » aux Editions Delatour.
    « Le carroir du grand chêne »

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