Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Arnaud Forgeron

mercredi 4 octobre 2017, par Cécile Guivarch

Extraits, À pas de pente

Tisser l’instable

Goutte, filet, rigole, ruisseau, rivière, fleuve, l’eau s’immisce comme les mots, traversant les obscurités et les pleines lumières. Il y a aussi les chevelures scintillantes des comètes frottant leurs peaux à l’atmosphère, leurs désirs ardents de corps de glace.
Il y a les poèmes comme des lèvres d’encres qui préfèrent chuchoter, les icebergs comme des mots de banquise qui se détachent, le chant des oiseaux comme musique du monde, et ce temps qui passe à ne pas déranger l’ordre des choses.
Il y a, quelque part, ce qui nous manque ici, cette absence, cette présence de l’intouchable, ces bouts de nous-même jamais conquis.
Nous cheminons entre les gravats et les aurores, passant nos regards dans les moindres failles de l’inconnu, cherchant à tisser l’instabilité de nos doutes, l’effritement de nos pensées, les lignes des lendemains.

Il n’y a pas d’à rebours en deçà de la lumière,
nous nous élançons dans l’or et le charbon.

La lune se pare de ses plus belles plumes blanches et ses gouffres sont les grands yeux noirs que nos rêves regardent fixant le vertige délicat où nos chairs s’abîment.

L’on entend dans la nuit le souffle minimum.

Minimale est la ligne de vie, la coursive d’azur, patiences et naufrages, et toujours ce jour chaud sur les rives de l’errance où nos êtres parés de l’existence, langoureusement s’éveillent, dans l’attente de l’aurore.

Par les fissures des ruines s’écoule le silence.
Les temps passés
tout ce qui est passé
est au silence.

Nous mettons dans nos ruines comme des masques africains,
les visages de l’absence.

Il y a des traces assourdissantes, des pleurs qui inondent, des fondations qui s’ébranlent, des bouts de rien qui accomplissent la route.
Il y a cette vie qui se dessine, ces amarres qui se libèrent et quelques bouts d’errance.

Il y a cette berge, ces rivages, ce mouvement, ces quelques éléments
et nos peaux.

Nous nous retrouvons là, à l’embouchure, avec quelques notes en tête, quelques algèbres, quelques pierres de rosette et des menhirs immobiles dressés dans l’inconnu.

Nous chuchotons des peut-être, des pouvoir être, des vouloir.

Appât de pente,

Le vent me pousse dans les gerçures de l’aube, mes yeux retiennent les aiguilles de l’horloge, il y a une tension, un rouage de l’instant qui n’en veut plus finir, un sang de chauffe ; hier les grues tournées dans le ciel pour se poser, le chat, mimi l’aventure, est revenu après dix jours de solitude, boitant, les yeux en peine.

Il n’y eu que peu de calme entre ces deux tempêtes, juste l’opportunité de relever le menton, le corps suspendu dans une peluche d’heures et de poussières, l’esprit en cendre de fatigue.

Bientôt la pluie noire nourrira les champs ; alors nous pourrons repartir, comme renaissant, dans l’écho blanc qui flambe mais ne se consume pas, nous soufflerons nos ombres et adresserons nos mots aux oreilles de l’aurore.

Patience.

L’humilité,
fragile attente sur cette peau,
sur notre Terre.
Sous notre peau,
la lucarne et la présence
le clair-obscur

et des dépôts.

Chalutier et dent-de-lion,

Ce matin les enfants ont tiré leurs filets du sommeil, leurs rêves envolés comme des graines, comme les akènes de pissenlit que l’on souffle sur l’étendue d’un nouveau jour.

Avant les pas,
les yeux font le chemin,
le regard intérieur balise l’avenir.

Brise par les pieds,

Recueillir le baiser, le souffle, l’ombre animale, au creux des deux mains jointes.
Puis souffler par la fente des pouces le hibou de minuit, quand bascule nos corps dans le drapé humide du lendemain.
Redéfinir l’avancée de nos jours sans déranger la mort.

Se faire discret,
furtif,
l’existence
les ailes déployées.


Entretien avec Clara Regy

Vos textes semblent se tenir sur la mer, les tempêtes, « l’autre » pouvez-vous nous en dire davantage ?
Vous avez plusieurs « cordes à votre arc » quelle place tient la poésie dans votre quotidien ?

J’ai voulu relier vos deux questions.
Effectivement l’océan atlantique, ma pratique du longboard, tout le temps passé sur les rivages de l’île d’Oléron en autre, mes itinérances en van à attendre les bonnes houles, les bons vents, toutes ces aubes, ces crépuscules à tutoyer quelques ondes océanes en loup solitaire ont nourri mes recueils édités en 2017 (à la laisse de mer, île d’Oléron ; Chemin de Rineve et Mémoire d’après chez Encres Vives de Michel COSEM). Je tiens d’ailleurs ici à remercier Mr COSEM qui m’a ouvert les portes de l’édition. Ces recueils forment un triptyque Laverie des miroirs édité chez Stellamaris de Michel CHEVALIER.
Pour les textes de votre revue tirés de À pas de pente une certaine introspection amenant un autre style d’écriture semble opérer plus ou moins volontairement.
Mon existence est un champ magnétique où tout est matière à nourrir ma poétique, à vivre en poésie, il n’y a aucune cloison, tout se lie naturellement sans rien forcer ni attendre, souvent juste faire la démarche, apprendre à aimer chaque pas (recueil en cours d’écriture).
s’émerveiller enfin (Chemin de Rineve)

-La vie est un miroir
Se reconnaître en lui,
Tel est, pour ainsi le nommer, le désir premier,
Auquel nous ne faisons qu’aspirer.

Friedrich NIETZSCHE, Pforta, 1858.

-Moi aussi je n’attends que le vent. Qu’il s’appelle amour ou misère, il ne pourra guère m’échouer que sur une plage d’ossements. (L’enclume des forges, Antonin Artaud)

L’existence, l’être, le vivant, la vie, « l’être là », sont il me semble quelques fils tissant mes textes
autour des géographies de notre beau vaisseau bleu, du temps et du cosmos.
…des correspondances, des porosités, des échos, des filaments d’être qui se tissent, des fils qui se tendent, des cordes qui oscillent, des existences sondes, des vallées de coïncidences, joignant…

L’écriture nécessite-t-elle quelques rituels ou autres « circonstances », d’où vient-elle ?

Non vraiment aucun, je n’ai aucun rituel, je ne suis pas un professionnel littéraire, de l’écriture, donc je laisse les sens, l’organique et quelques intuitions faire le chemin.

Mes premières rencontres sensibles, en perspective, ouvrant les perceptions avec l’écriture furent sur les pochettes des vinyles de mon père vers l’âge de huit-neuf ans, Renaud, Brassens, Brel, Ferré entre autre.
Quelques années plus tard la découverte de l’écriture de H.F Thiéfaine.
Mes premiers actes d’écriture eurent lieu après une immobilisation suite à un accident vers 13-14 ans, les albums des Doors, des Pink Floyd, de Nirvana et les poèmes de Jim Morrison rythmaient mon temps avec la lecture déjà de diverses revues (astrophysique, histoire, philosophie, musique, civilisations antiques, paléo-anthropologie, histoire de l’art, échecs...).
J’écrivais sur tout bout de support, il me reste quelques kilos de sacs d’écrits de cette période.

Puis plus tard avec mes premières indépendances, j’écrivais comme l’on part, mon réel comme piste d’envol et d’atterrissage.
Le plus souvent je partais puis m’arrêtais au hasard d’un lieu ou vers un endroit coutumier.
Les lieux ont toujours libéré mon écriture des instants.
La musique électronique, les labels VVarp, Fcom, UR, Em:t, Basic Channel, R&S,
Planet E...emplissaient mes paysages.

Une longue pause. Puis les recueils édités en 2017.

Quels auteurs (poètes ou non) vous accompagnent ou bien vous ont accompagné ?

Constellation,
Gérard de NERVAL, Blaise CENDRARS, Jack KEROUAC, Friedrich NIETZSCHE, Louis ARAGON, Carlos CASTANEDA, VVilliam S. BURROUGHS, Antonin ARTAUD, René CHAR, Henri MICHAUX, Arthur RIMBAUD, Isidore-Lucien DUCASSE, François VILLON, Emil CIORAN, VValt VVHITMAN, Jean VENTURINI...

… Boards of Canada, Hubert-Félix THIEFAINE, Philippe LEOTARD, Syd BARRETT, Murcof, Drexciya, Autechre, Richard D. JAMES, UR, Triplette de Belleville, Carl CRAIG, Laurent GARNIER, Plaid, Yves BONNEFOY, ADONIS, SAINT-POL-ROUX, André SUARÈS, Xavier GRALL, Richard ROGNET, René PONS, Jacques ANCET, Philippe JACCOTTET, Michel COSEM, Irène DUBOEUF, Jean JOUBERT, Bernadette ENGEL-ROUX, Marie LUNDQUIST, Jacquy GIL, Jacqueline ST-JEAN, Alain DUAULT, Paul BADIN, Jean MALRIEU, Michel DUGUE, Simon BREST, Thierry METZ, Jacques ALLEMAND...

...Jean-Michel BASQUIAT, Antoni TÀPIES, Francis BACON, Sandro BOTTICELLI, Léonard DE VINCI, Paul GAUGUIN, Nicolas DE STAEL, Paul CEZANNE, Jean CORREZE, Vincent VAN GOGH, Georges DE LA TOUR, Gustav KLIMT, Jérome BOSCH...José Raùl CAPABLANCA, Magnus CARLSEN, Alexander ALEKHINE, Xavier TARTAKOVER...

...CAN, Brian ENO, Tangerine Dream, Stevens SFUJAN, Neil YOUNG, Iron and VVire, MGMT, Gruff RHYS, Coco Rosie, Sebastien SCHULLER, TV On The Radio, Miles DAVIS, John COLTRANE, John GRANT, Bill EVANS, Cat Povver, Beach House, Sigur Ròs, Björk, Dennis VVILSON, The Velvet Underground, Primal Scream, Spiritualized, Robert VVYATT, Roxy Music, Joy Division, Jimi HENDRIX, Fela KUTI, Tony ALLEN, Nick DRAKE, Van MORRISON, Midlake, Ovven PALLETT, Burial, Isolée, Roots Manuva, I AM, Massive Attack, UNKLE, NAS, Mark ERNESTUS, MORITZ VON OSVVALD, Steve REICH, Atom TM, Frank BRETSCHNEIDER...

Et « l’ultime » question : si vous deviez définir la poésie en trois mots ... Quels seraient-ils ?
Aile d’existence

Je ne peux pas m’empêcher de vous livrer quelques lignes,
-Pour qui chérit l’abîme, il faut avoir des ailes.(variation personnelle d’un aphorisme de Friedrich NIETZSCHE)

-Je n’ai rien à faire d’instruments de chirurgie. (Arthur RIMBAUD, correspondances)

-...Oui voici maintenant le seul usage auquel puisse servir le langage, un moyen de folie, d’élimination de la pensée, de rupture,
le dédale des déraisons, et non pas un DICTIONNAIRE où tels cuistres des environs de la Seine canalisent leurs rétrécissements spirituels...

(Antonin Artaud, la Révolution surréaliste n°3)

- Le poète se remarque à la quantité de pages insignifiantes qu’il n’écrit pas. (aphorisme de René CHAR)

- Monter, grimper...mais se hisser ? Oh ! Combien c’est difficile. Le coup de rein lumineux, la rasante force qui jaillit de son terrier et, malgré la pesanteur, délivre l’allégresse.
(René CHAR, Eloge d’une soupçonnée)

- Je voudrais faire un Livre qui dérange les hommes, qui soit comme une porte ouverte et qui les mène où ils n’auraient jamais consenti à aller, une porte simplement abouchée avec la réalité.
(Antonin ARTAUD, L’ombilic des limbes.)

- La poésie est un glorieux mensonge. (Stéphane MALLARME)

- Je suis hanté. L’azur, l’azur, l’azur, l’azur. (Stéphane MALLARME)

- Frères, je vous trompais : Abîme ! abîme ! abîme. (Gérard de NERVAL, Le christ aux oliviers)

- Les poètes aujourd’hui ont la farce plus tranquille... (H.F THIEFAINE, Affaire Rimbaud)

- J’avais quitté la proie pour l’ombre... comme toujours (Gérard de NERVAL, Petits Châteaux de Bohême)

- Où avez-vous perdu tant de belles choses ? (…) Dans les malheurs ! lui répondis-je en citant un de ses mots favoris. (Gérard de NERVAL, Petits Châteaux de Bohême)

La poésie est la philosophie du poète. (auteur chinois dont je n’ai pas la référence, si quelqu’un peut m’éclairer.)

Juste pour finir, quelques réflexions.

Il y a beaucoup de choses et peut-être de plus en plus qui se disent, l’important, l’essentiel est peut-être ce qui ne se dit pas.

La poésie est affleurement, effleurement.
Affleurement de l’être par l’existence, de la vie par le vivant.
C’est la rencontre, un signe de la main, une oscillation de soi-même avec le monde.

La poésie c’est percer incertain silence.


Né en 1977 à St-Junien en Haute-Vienne, Arnaud FORGERON fait ses premiers pas dans la famille de l’édition poétique en 2017 : (Éditions Stellamaris de Michel CHEVALIER : Laverie des miroirs ; Éditions Encres vives de Michel COSEM, collection Lieu : à la laisse de mer, île d’Oléron et collection Encres Blanches : Chemin de Rineve et Mémoire d’après ; Poésie première n°64 ; REVUEMEMBRANES #1 ; Soc et Foc dans le florilège 2017). Il vit actuellement entre la Charente Limousine et les rives de l’île d’Oléron.

Sites : membranes.overblog.com et revuemembranes.com


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