Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Marine Vassort

mardi 3 janvier 2023, par Cécile Guivarch

Le Creux

le creux

Lourdes gouttes
Qu’orage se devine
Sommes-nous occultés ?
Possédés par d’autres visions ?

Amander l’œil
L’étirer horizontal et non grand éberlué.

Ne pas tenir
Aux images
Encore simulacres.

En contre bosse
Dé croire
Au creux.

Ne pas trahir les fonds
Qu’ils remontent
Dans les os.

Etale
L’intérieur
Etalonne.

Tandis que s’effilochent les voiles
Que l’entendement demeure en globe de feu.

Ni au-dessus
Ni en-dessous
Pas larve
Pas ailé

Un Y ou un X irrigué.
Au temps et à l’espace
Ne laisse aller les O
Faire tout au contraire.

Il y a un centre, une cible, un noyau où venir
C’est un creux.

Le creux n’est pas le cru
N’est pas une prière
Une dé pression.

Se manifeste t-il quand nous sommes à la cime d’une série de bosses ? Le creux serait une cogne entrainant une chute du corps ou seuls les genoux à terre ? On dit bien « en creux » comme pour se taire ou se tirer d’affaire.

De moindre importance, le creux n’a pas d’influence. Immatériel dans la conversation, on présume qu’un ange passe. Le creux a peu de pouvoir. Cependant, il possède cette capacité d’apparaître là où on ne l’attend pas. Alors que le sommet incite à l’initiation, se mérite et resplendit dans le secret de la voie, le creux n’appelle que peu de désirs. Il a peu d’élus. Il ne promet aucune grandeur, aucun nectar ni vertige.
Tout évidé, concave,
Internel.

le mur

Je suis le mur victorieux du mur
La fissure claire
La jointure entre deux espaces.

Le mur devenu mur
Je suis les yeux au-dedans regardant toute vie
L’ovale tracé sur la paroi séparant les pièces.

Je suis le mur à l’intérieur d’un cube
Ce percement de paille où l’air construirait le verre
Je suis espoir de transparence dans la dense matière
Avec joie le vide né.

Je suis la face à la cloison
Qui pourrait s’abattre, tomber, se trouer.

Je suis l’aération
Un forage entre les chambres closes
Les logis quittés, les boites détenues.

le clos

Stupeur Chaleur Stupide
A peau suante
L’humide grandit
Les pores touffent        touffent
Q’une brise soit
Avant de prendre les paroles
La buée des voix
Emplira l’espace clos
Par tout espace.

l’efface

J’efface, je plie, j’efface, je coupe le bouchon en deux, je raye tous les fils présents dans la boite. J’appuie, j’efface, j’ouvre le reflet. Je prends l’oreille, j’efface. Je prends le rose, je tire. J’éclate. Je ramasse. J’épingle les tissus, qu’ils s’effritent, fassent des trous. Je tourne, malaxe. J’ouvre, j’efface. J’attache dans le dos toutes les attaches qui existent pour attacher. Je déplie le vêtement. Je range, j’efface ce qui écrit. Restent des miettes, de la gomme, du liège. J’efface aujourd’hui, ses objets fixes. Ce sont des objets pour les morts. J’efface. Je prends une patte. Je secoue la bête, de coton, de velours, de papier. Je renverse les têtes. J’efface toutes traces.

le clou

Un clou rouillé dans la terre
Sa tête par le temps s’est fendue
Qui y a t il dans le crâne d’un clou ?

Des gouttes de myrte.

l’iceberg

Boire l’eau infinie
Un hublot sur un iceberg
Où stagne l’eau grise
Une fenêtre d’où pénètre
Le bleu métal donnant sur rien du tout
Si ce n’est une espèce de vide
Comme s’il y avait d’autres espèces de vide

A répertorier.

l’horizoné

Croutes, mottes, pentes
Descendre le long du petit horizon
Jusqu’aux brins
Du pré
La minuscule évasion
Le petit horizon

Gommer les contours pour que ne reste que l’événement.

Ce môme sous le noyer, rien n’y fait, il s’y couche
Ça empoisonne sa tête.

l’ultima

Les nuages font de la cervelle dans le ciel
Je renverse l’image
Effectivement, une plage
(non pas d’image)

Cette dernière journée est un strip-tease.

le fil

Un saule
Soliloque
Les oiseaux de tissu oscillent le long du fil
Avant la terre ferme
Les oiseaux de plume lâchent quelques cailloux
Qui coulent vers la ruelle
Le saule parle
Au-dessus de la paille
Jamais ne disparait le vol.

L’autre défait ses nœuds d’existence.

le milieu

Oiseau en chassant un autre
Les vivants se perchent et perçoivent
Ce que les robots ne voient pas
A quelle allure vivre ?

Fléchir
Re Fléchir.

Etre au milieu sans haut trop ni bas bas.
Se méfier des rêveries renouvelées
Se tenir en son milieu
Où trou se perce.

La terre a-t-elle toujours été une création infernale ?
Qu’est-ce que cette verticalité, tunnel où grouille une multitude d’ailés, polymorphes,
causeurs, aimantés ?

Il y a bien ce mur au soleil et ce soleil frappant le mur.
Un lézard s’immisce.

Le sujet a t-il toujours été dérouté ? Ou n’est-ce que saison ?
Se plantera-t-il en son milieu ? Sans plus tanguer au courant ?

Connaître le réel nous ne pouvons, nous sommes ignorants des tissages optiques.

le commun

On regardait les autres
On les trouvait beaux
On était un grand corps
Saoule, léger
Joyeux des présences
Curieux des possibles
Jamais ne se referment.

le brouillard

Brouillard sur le ventre de la montagne
Par le crâne, le feu blanc
Essence nuageuse
Le corps s’irrite
De picotements
À l’ouverture des mondes
Voici le feu blanc
Le brouillard prend la montagne
Qu’immense.

l’air noir

Un papillon de nuit traverse
La lumière s’éteint, revient
Quelque part, l’eau creuse.

Se réveiller d’un mauvais rêve
Les mains devant les yeux
Les ouvrir
Les mains ? Les yeux ?

Un air noir traverse.

La vapeur de l’est offre à l’ouest
Un rageur cycle
Où germe.

Un nuage sobriquet
Si gris dans ses traces
Se fond
Disparaît.

la fin

La fin du soleil rasoir
Le manteau d’arbres léopardés
Les lignes temporelles
Et
Un claquement de doigt.

Le village transpire
Les martinets nagent
S’étiole la compagnie.

Quand je suis devenue oiseau, je suis devenue martinet
Devant moi, vivait un peuple d’air aux sons bénéfiques
J’ai aimé disparaître, sortir du temps.

le relais

Une translation de lumière entre les plantes
Un passage de relais.

Ceux d’à côté
Ceux d’au-dessus
Font leurs bagages
Ils partent

Le temps est incertain
Peut-être l’eau
Peut-être le feu.

Entretien avec Clara Regy

Vous animez des ateliers d’écriture auprès de publics et dans des contextes tout à fait différents, quelle place prend la poésie dans ces échanges puisqu’elle est si « mouvante » ?

En atelier, je ne travaille pas un genre particulier, mais plutôt des thèmes et des formes d’écriture que chacun-e visite, expérimente, partage. Certes la poésie (les poésies, le langage poétique) est la source vive, car elle reste ma « bibliothèque » principale, mais la philosophie et le théâtre sont présents également.
La poésie, dans ces élans multiples, surgit, de façon spontanée, évidente en atelier, une sorte de « précipité » né de l’immédiateté. Nous écrivons des fragments, que nous agençons, tissons. L’atelier est un espace-temps opératif, où nous sommes ensemble pour traverser les écritures, pour écouter les voix singulières et collectives. Je m’appuie sur l’oralité, le rythme et la voix dans les ateliers que j’anime.

Ces ateliers inspirent-ils l’écriture de votre poésie ? Et écrivez-vous depuis longtemps ?

J’écris depuis l’enfance, c’est un courant avec ses remous, ses tourbillons, ses cercles et ses rives, ses creux et rebonds. Parfois je suis dans la rivière, parfois je la longe, j’y plonge. Ce courant est de l’ordre de l’expérience renouvelée.
Mes motifs d’écriture et mes lectures nourrissent les ateliers d’écriture et me permettent de continuer à chercher, à cheminer en commun, à approcher comment vit l’écriture en chacun-e. Quand j’ai le temps d’écrire avec les participants-es, parfois un texte naît, je le mets de côté pour y revenir ou pas. L’atelier est essentiel pour moi car on y écrit ensemble, avec joie, sans « pouvoir » sinon celui de la langue qui transforme, alchimise.

L’écriture nécessite-t-elle des lieux, des moments particuliers ? Quelle place occupe-t-elle dans votre quotidien dont les activités semblent extrêmement nombreuses ?

J’écris au jour le jour ce qui vient, ce qui traverse, dans des carnets. Ces fragments font projet d’écriture ou pas. Quand l’existence matérielle ne prend pas toute l’énergie, je relis les textes dans les carnets, je les reprends, les assemble. Je jette, je coupe, j’ouvre des pistes, je laisse reposer, je continue. Je relis et relis à voix haute. J’élague ou j’augmente. Au départ, c’est une matière éparse, un amas d’instants, je m’efforce de trouver un noyau intérieur, un soleil qui éclaire. L’écriture poétique demande du vide, un dépouillement du « moi », de ce qui encombre l’esprit. Aujourd’hui, elle est un geste de connaissance. Demain, elle reliera d’une façon différente, inexplorée encore.

Quels auteurs (poètes ou non) font partie de votre vie de lectrice ? Qu’est-ce qui vous retient plus particulièrement dans un texte ?

Henri Michaux, Fernando Pessoa, Antonin Artaud, René Daumal, Virginia Woolf, Samuel Beckett, Philippe Jaccottet, Eugène Guillevic, Mahmoud Darwich, Gérashim Lucas, Walt Whitman, mais aussi Dante, Rabelais, Borges, il y en a tellement... que je découvre et redécouvre. Il y a aussi les philosophes, les présocratiques, certains anthropologues et les écrits dits « spirituels ».
Ce qui me retient dans un texte est l’invention de la langue, sa créativité, la polysémie, le regard sur le-s monde-s, mais aussi la présence d’une transcendance quelle qu’elle soit, d’un au-delà de soi.

Question subsidiaire, néanmoins « obligatoire » (rires) : définissez en 3 mots ce qu’est la poésie pour vous…De petits arrangements avec le nombre sont parfois acceptés !

Souffle Esprit Voix

Marine VASSORT, née le 14 mai 1972
Auteure, animatrice d’ateliers d’écriture et formatrice, Marine Vassort traverse des univers, de la philosophie aux sciences sociales, de la poésie au théâtre, du réel à la fiction, menée par les fils de l’écriture et leurs déclinaisons.
Elle anime des ateliers d’écriture auprès de tous les publics : enfants, adolescent, adultes, personnes en difficulté avec la langue orale et écrite, migrants.

Liens
La Lieuse, ateliers d’écriture et autres ensembles
Semis à jour - textes en ligne

Publications

Ouvrages et textes littéraires
Brûleuses, carnet tangérois, carnet de voyage ebook, ed La Lieuse, 2011
Entre deux chaises, théâtre, ed Passage & Co, 2010
Paroles d’errance, récits, ed P’tits Papiers, 2006.
OOO : poème, recueil Ricocher, ed Les tisseurs de mots, 2019.
Côte à côte : prose poétique, recueil Un pas de côté, ed Les tisseurs de mots, 2018
A tue-tête : prose poétique, revue en ligne Le Tiers Livre, avril 2014
Cellule, Yeux : poèmes, revue Gelée Rouge n°3, novembre 2013
Et où réel : prose poétique, revue en ligne Le Tiers Livre, juillet 2013
Réveillée, Le côté gauche : 2 poèmes, revue Gelée Rouge n° 1, mai 2013
Timide : poème, revue L’Octombule n° 13, décembre 2012.
Ogres : poème, Sitaudis, décembre 2012
Page : poème, revue Sarrazine n° 13, septembre 2012.
Réel  : poème, revue Népenthès n° 5, août 2012.
Eveil  : poésie, (Petite) anthologie poétique en cœur d’Hérault, ed La voix du poème, 2011.
Dix Tu : poème, revue L’Octombule n° 10, 2010.
Bleu aveugle : prose poétique, revue Chroniques errantes, ed l’Atelier de l’agneau, juin 2010.
Livre calme : prose poétique, Anthologie Les petits toits du monde, ed Gros Textes, 2010.
• Poèmes parus dans la revue Nord Sud Passage n° 11, 2008.
Septembre 1 : poème, revue Boxon n° 17, mai 2005.
Marcheuses  : nouvelle, recueil Le Miroir, ed Forum Femmes Méditerranée, 2002.
• 4 poèmes parus dans Poëdres, ed Dupendu 1996.


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