Extraits de ça refuge (inédits)
le refuge c’est quand ça court dans la cour
facile
quand je mange plus les fougères
de la roche aussi plus adulte
c’est quand je bouge le corps
fini le lichen adiu adiu
- chamois dans la gorge et les jambes -
c’est quand je parle à mes morts ;
et qu’ils répondent)
le café qui se verse
ça vient dans le nez
entre les murs du sud
le père qui rousigue
son regard abîmé
qui renaît environ
ça ça refuge
(en fait c’est tout simple)
ce dimanche ça refuge
pour tous les dimanches de la vie ;
ceux d’après tous les abandons
est-ce que le refuge c’est refuir ?
c’est dire a demo
est-ce que c’est ça bouge tout le temps
qu’est-ce que ça ressemble franchement
c’est la chambre le frelon le saule pleureur
à la fois et tant d’autres lieux
des endroits qu’on veut se blottir dedans
(même si c’est dehors)
c’est la boîte aux lettres surtout la boîte aux lettres
il faut partir et revenir se poster
et repartir avec un élan
- vite -
j’ai dit apprend-moi et j’ai appris
j’ai la source en moi maintenant
et dans la colline y a des sources aussi j’ai vu
avec le même bâton j’ai cherché
la surface de la terre en est remplie
en réalité ;
y a plusieurs refuges
y a plusieurs refuges
Extraits de un sac de tanous (inédits)
c’est comme ça que ça se passe
des chemins comme des trains sans rails
et j’y vais
la dernière côte à vélo avant
les tracteurs du hangar
il y a le mélange de serres chaudes et
de l’escalier en pierre - chaud pareil -
oh ce mélange immortel
est-ce que c’est clos comme le salon ?
à l’odeur du whisky ça répond
(ça répond abandon)
eau marronneuse comme la boue en face la grange
le silence qui piétine la boue
une boucle d’oreille mal mise
mon dedans c’est leur dehors ;
comme s’il fallait pleurer comme si c’était obligé
plutôt la mort mais la mémoire surtout
on sait plus est-ce que c’est vrai
laquelle chercher
dans son visage d’abandonneuse
les raisons les secrets entre les pierres
- les mauvaises raisons de la province terreuse -
(je suis pas sûre de vouloir être provinciale)
les feuilles provincialisent le deuil un peu faux
dans un sac de tanous
et j’ai laissé passer ça
et j’ai rien vu et ça bouge plus
comme un insecte séché au soleil
ou alors par accoups dans le gosier ;
comme un mauvais pays de silence
des stèles dans le sac
sur le sentier abandonné
ça remue oh comme ça remue
des conversations qu’on aurait jamais eues sinon
autrement sans la sépulture
c’est la sépulture qui parle
- nous on écoute -
avec le lointain faut s’accorder
(même si c’est pas clair)
puisque le sentier continue
faut pas le laisser continuer
sans nous comme une enfant abandonnée
des stèles et des asperges sauvages
dans le sac sur le sentier
peut-être on peut pas savoir
(c’est plus tard qu’on sait)
c’est la sépulture qui sait
de quand date l’abandon
de quand date la tête qui fait non
(comme quand on fait pas oui)
derrière la cuve à grains ça remue l’enfant tombe
dedans comme ça remue
qu’est-ce qu’on dit quand on dit stèle ? ;
(il me semble beaucoup)
j’ai pas bugé le feu jusqu’à
ce que tu dises
que c’était buger ce que je faisais
quand on dit le mot ça dit le geste ?
oh le geste
j’ai fleuri entre les pierres de la cave
ou celles des deux escaliers en face le garage
le hangar la grange et l’étable
et les clapiers abrités
ça fait beaucoup de toits à part celui de la maison
- la campagne c’est beaucoup de toits -
(la campagne c’est pas un mot que j’aime je l’abandonne)
j’y vais ;
j’ai le feu à buger
mais par exemple est-ce que je peux lui parler
quand même encore
un petit peu autour la gazinière
persil farine gros doigts abîmés hameçons à réparer
est-ce que je peux lui parler
quand même encore
un petit peu truites arc-en-ciel sirop de cassis tilleul séché
(un poème unique pour toute sa vie quand moi j’en côtoie pleins)
est-ce que quand même avant qu’elle
m’abandonne une question ;
est-ce que l’abandon c’est comme une infusion de toute une vie ?
une infusion de toute une vie
Entretien avec Clara Regy
Dans notre premier échange, vous avez souhaité « vouloir » aborder ce que vous nommez « processus d’écriture », cela voudrait –il dire que « votre » écriture s’inscrit dans un ensemble de « conditions », une organisation particulière, voire systématique ? Je vous laisse donc répondre à cette première question…
Ce qui me questionne au plus haut point et depuis longtemps, c’est l’acte créateur. Qu’est-ce qui fait qu’on crée ? Qu’on ne puisse pas faire autrement que de passer par l’acte artistique pour communiquer ce je ne sais quoi qui ne peut être communiqué par le langage commun ?
Impossible d’y répondre. Ce que je sais c’est qu’il y a comme une certitude. Il faut écrire. J’écris tout le temps, mais dans la tête. Ou, pourrait-on dire, dans la vie. J’écris dans la vie. Et je garde, je garde. Je rumine, je rumine. Jusqu’à ce que je trouve une fenêtre temporelle, le plus souvent en résidence. Il est très difficile pour moi d’écrire chez moi, si je le fais, c’est par à-coups, dans des accès fiévreux d’écriture. Il y a parfois un sortir de la parole qui se met en place, et alors là il faut vite vite sortir l’enregistreur, ce n’est pas toujours simple, parfois il faut le refaire une deuxième fois et… ce n’est jamais aussi authentique que la première. C’est le jeu. Des vers me viennent également souvent en tête dans l’état de mi-sommeil qui vient à l’endormissement, cet espèce de no man’s land de réalité, à la fois à l’entrée et à la sortie d’un monde, pour reprendre les mots que Florentine Rey m’a glissé il y a peu lors d’une séance de Mater Atelier (un atelier d’écriture mettant en valeur le matrimoine poétique contemporain que j’organise chaque semaine).
C’est proprement fascinant, ces mécanismes à la fois incontrôlables et très intimes, familiers. On se côtoie intimement, moi et ma manière d’écrire, et pourtant on se cherche encore, on se jauge, on se quitte et on se remet ensemble, on se dispute et on s’enlace sans cesse.
Flux et reflux.
Alors, il faut suivre ces saccades tant bien que mal.Quant aux obsessions de l’artiste, sa sensibilité et la « puissance » de son œuvre, je vous laisse toute latitude pour vous ouvrir de ce qui se cache derrière ces mots. (que j’ai d’ailleurs parfois transformés).
Jean-Pierre Siméon, dans La poésie sauvera le monde, décrit la communication standard en proposant que dans ce langage, « la montagne ne dépasse jamais du mot qui la désigne ». Je trouve ça très fort, cette phrase me reste collée depuis que je l’ai lue, surtout qu’il y a beaucoup de montagnes dans mes textes et mon imaginaire intérieur.
Pour moi, c’est ça la puissance de la poésie. C’est toutes les formes et les couleurs, les visions et les figures organiques qu’elle permet d’ajouter à la teinte du monde. En ce moment, je travaille à un futur manuscrit, qui pour l’instant s’appelle « La poésie c’est chaud », et je tourne autour de tous les motifs que me fait éprouver la poésie, tant dans son écriture que dans sa lecture ou son écoute. La terre, la rondeur, la chaleur, la froideur, la vibration, la gourmandise, les racines, la fatigue, la brèche voire la déchirure… La sauvagerie aussi ; et Duras de dire même si c’est dur à dire « ça rend sauvage, l’écriture » !
De manière générale, je pense qu’il y a une certaine avidité fondamentale dans la poésie. La poésie est puissante car elle a faim. De tout. Je poursuis avec Siméon qui dit que la poésie c’est « l’accélération générale des rythmes vitaux » et qui affirme que « chaque poème exerce la conscience à inventer des modes de compréhension actifs, originaux, imprévus, donc intensément libres » !On écrit aussi parce qu’on a lu (?) que pensez-vous glisser dans vos propres écrits de l’écriture de « l’autre » ? En d’autres termes quels auteurs semblent peut-être, vous avoir ouvert la voie des mots et aussi du corps ? Petite ouverture sur vos performances, que vous pouvez refermer ou non…
James Sacré et Cécile Coulon m’ont soufflé que je pouvais écrire sur mon enfance rurale, Jacques Prévert était là dès les premières années, Édith Azam m’a époustouflée sur scène, Mélanie Leblanc me murmure des répétitions fécondes. Je partage avec Anna Serra la voracité, avec Victor Malzac le goût des saletés poétiques, et tant d’autres. Il y a beaucoup de poétesses et de poètes chez qui je reconnais un terrain commun du sensible : Marine Riguet, Eric Sautou, Christian Dotremont, Camille Loivier,… La liste serait longue elle est donc bien sûr non exhaustive.
Les autres arts nourrissent énormément mon écriture. Ils sont absolument fondamentaux. La poésie d’un spectacle de cirque contemporain prend un chemin direct vers mon cœur. Les circassiens et circassiennes me fascinent : ils sont les poètes du corps. Ils agissent avec le mouvement corporel de la même manière que nous, poètes et poétesses, agissons avec le mouvement langagier : ils et elles jouent avec, entrent en décalage avec, le malmènent, le questionnent, le malaxent, le rendent étrange, ils et elles en dépassent les limites...
La chanson française a joué/joue également un rôle immense dans mon écriture. Tout comme la variété (et oui, c’est assumé ! Il y a une certaine authenticité en dénominateur commun avec la poésie). Elle combine les deux choses, le texte et la scène, la voix et le corps, le goût des mots et celui du rythme physique. Écouter chanter un auteur-compositeur-interprète sur une petite scène dans un festival en été, avec une ambiance roots, un bon verre et des amis – les plaisirs simples de la vie – m’inspire. Je prends, je stocke, je compile les émotions harmonieuses, pour les ressortir quelques jours plus tard.
Tout cela fait que rien ne m’est plus naturel que de performer ma poésie sur scène, en cherchant sans cesse de nouveaux moyens de livrer le poème, de dire le poème hors du livre, de m’amuser avec ce que je sais de l’art du clown et du théâtre physique, gestuel, du mouvement-danse… Il m’est arrivé de partager l’instant poétique avec d’autres artistes : un musicien, une peinteresse, une comédienne de théâtre immersif. Bientôt peut-être un compositeur électro… Je trouve la performance géniale pour rencontrer réellement son public, il y a une proximité merveilleuse. La rencontre est possible.Je qualifierais vos textes ainsi : « des observations habitées », cela fait 3 mots. Quels sont ceux alors (les 3 mots) qui pour vous, représentent la poésie ?
Direct dans le cœur.
Hortense Raynal est poétesse, performeuse, comédienne et aveyronnaise. Ses racines rurales irriguent souvent ses écrits et elle pratique une poésie vivante – du sonore et de la scène. Elle a été poétesse résidente à La Factorie en 2020 et à L’Usine Utopik en 2021. Elle sera à nouveau à La Factorie pour un mois en mars 2022. Son premier livre, Ruralités, paraît aux éditions des Carnets du dessert de Lune en juillet 2021. France Inter en parle dans son émission “L’été comme jamais” du 3 août 2021.
Elle a été formée à l’écriture dans la section MasterClass d’écriture littéraire à l’ENS Ulm. Très vite, la scène s’est imposée : elle pratique une poésie vivante – du sonore et de la scène. Elle se forme au théâtre physique possédant des accointances avec la danse. Elle réalise un peu partout en France (Voix Vives de Sète 2021, Tournez la plage 2021 à La Ciotat, Festivals Chiche et Marelle s’emballe, Rencontre en poésie d’Aiglun 2021, Le Générateur à Gentilly, 38e Bis Marché de la Poésie de Paris, La nuit des poètes et des poétesses à Marseille...) ce qu’on peut appeler des performances, de la poésie-action ou encore des expériences poétiques. Ses racines rurales irriguent ses écrits : elle explore notamment dans ses recherches le champ de la géopoésie et les thèmes de la mémoire paysanne. Elle a publié dans de nombreuses revues : Teste, Point de Chute, Lichen, Fragile, Tract, Gustave, Terre à ciel, Meteor, Sabir…
Bibliographie
- Ruralités, Éditions des Carnets du Dessert de Lune, juillet 2021. Préface de Marie-Hélène Lafon.
Publications en revue.
« Une histoire qui circule », Revue Sabir, prévu printemps 2022.
« Rude », Revue Meteor, prévu printemps 2022.
« ça refuge » et « un sac de tanous », Revue Terre à ciel, février 2022.
« qu’est-ce qu’on dit quand on dit chemin ? », Revue Fragile, janvier 2022.
« la personne parlée par moi », Revue Gustave, novembre 2021.
« Cadastrer », Revue Lichen, août 2021.
« J’aime les bizarres », Revue Tract, juillet 2021.
« Puech », Revue Teste n°41, 2021.
« Le Berger et son père » suite, Revue Fragile, mars 2021.
« Ce que réserve le printemps », Revue Simplethings, mars 2021.
« Le Berger et son père », Revue Point de Chute, décembre 2020.
« Découvre-l’eau », Revue Fragile, 14 novembre 2020.
« Bonheur », Revue Simplethings, octobre 2020.
« Oc », Revue Fragile, août 2020.
Elizabeth Castillo Photography