Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Claudia Fernandez

jeudi 2 février 2023, par Cécile Guivarch

ÉCLIPSE

Je découvre ma foi dans la vérité des ombres .
L’arbre ne subsiste pas au vert,
il révèle son obscurité.
Une rafale
laisse voir le feuillage tremblant.

Je vois mon ombre :
en un éclair ma chair disparaît.
Toute de voile ma peau.
Ma peau, je dévoile.

Le clair-obscur fait l’ébauche des pierres.
Une éclipse féconde mes traces.

Je ne suis qu’une ombre timide.

TANTALISME

La langue en a assez de la salive,
elle ne connaît pas l’odeur du cèdre,
ni le bref soupir des vagues.
Le sable à l’oublie rend sa caresse.
La langue, elle aussi, vit silencieuse,
elle est fatiguée des saveurs passagères,
elle rêve à une terre qui serait entre ses mains.

RHÉTORIQUE DE LA MODESTIE

Aujourd’hui est une belle journée pour se suicider.
Une nouvelle photo dans le salon,
un nouveau mort sur l’autel.
Des larmes et des fleurs naissent
depuis de cette maison jaune.

Quelle caresse que cette douleur
en montant l’escalier.
Aujourd’hui est une belle journée pour se suicider,
dis-je,
même si j’ai oublié comment mourir.
Je suis restée seule à la maison.
Je regarde honteuse
les fleurs de la terrasse.

MAISON

Cet après-midi le langage des oiseaux est différent,
changeant comme les yeux qui me regardent.
Dans mon jardin
les arbres soupirent.
Ils rient de moi,
de ma naïveté
de cette stupide innocence de poète
qui ne plie pas face à la lourdeur du monde.

Collaboration de Marie Seguin à la traduction

Entretien avec Clara Regy

Tu as déjà publié un ouvrage (ou plusieurs) dans ta langue maternelle, notamment Tiricia en 2019 et tu écris maintenant, je crois, ta poésie en français… J’aimerais savoir si les mots te viennent directement en français donc, si tu les penses ainsi, si cette seconde langue t’ouvre, par exemple, à une certaine liberté, j’aimerais bien que tu nous racontes tout ça…

J’écris généralement dans ma langue maternelle. Parfois, la langue française s’impose à moi. Cela me donne la possibilité d’être plus libre, d élargir mon horizon et de jouer avec le langage. Et en même temps, j’imagine que je suis une autre personne et j’oublie la fatigue d’être moi-même.
Je pense à la formulation de Rimbaud : « Je est un autre ». En tout cas, écrire c’est réfléchir sur l’altérité.
Tes poèmes forment une suite d’instants, de réflexions sur toi, sur le monde aussi. Pourquoi ce choix de textes courts et délibérément séparés les uns des autres par un titre finement évocateur ?

À mon avis, la poésie est peut-être la conscience d’éprouver l’instant. J’ai ainsi une tendance naturelle à la brièveté et j’essaie d’évoquer des petits instants quand même. On peut dire beaucoup de choses en peu de mots et laisser interpeller le lecteur.

Quels sont les auteurs, poètes ou non, qui t’ont marquée dans ta vie de lectrice ?

J’aime les auteurs qui réfléchissent à la quotidienneté et à l’existence même de la poésie. Wislawa Szymborska et Fernando Pessoa m’ont profondément marquée. Je pense en particulier à Jorge Teillier, Estela Figueroa, Yves Bonnefoy, Ida Vitale, Roque Dalton, Cavafis pour n’en nommer que quelques-unes.

As-tu besoin de lieux, de moments particuliers pour écrire ?

Je considère que l’acte d’écriture se présente toujours comme un acte solitaire. Chaque auteur a ses rituels pour trouver “l’inspiration”. En ce que me concerne, j’aime être au contact de la nature aussi souvent que possible.

Question subsidiaire : si tu devais définir la poésie en 3 mots, quels seraient-ils ?

Parole, nature, instant

Claudia Fernandez, poétesse et traductrice mexicaine. Elle est l’auteure de Tiricia (2019). Plusieurs de ses poèmes ont été publiés sur Internet et en revues-papier.


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