Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Nadine Buraud

jeudi 6 juillet 2023, par Cécile Guivarch

Un silence s’est glissé
entre la table et la pluie
la vie s’épaissit
on crie sous les ombres

on ne s’entend plus

un double de soi
circule à bas bruit
la peur résonne

alors on taille ses crayons
à l’endroit du silence
à l’envers du monde

se taire peut-être

Le jour s’ouvre - jaune
douleur à l’épaule droite
on repousse le remords

on va on vient

oublie le paysage
puis le crayon
on voudrait savoir

le vide se remplit
serré comme un café
au fond d’une tasse

unique spectateur
on est déjà sur le départ
bientôt un souvenir

on ne sait plus
si il y a quelque chose à faire
quelque chose à dire

le soir on lave sa tasse
on se couche
plein ou pas - c’est selon

Au ventre du jour qui vient
la tendresse a tout submergé

on a commencé à bercer
l’enfant roulé en soi
la vie presque perdue

ce ne sera pas possible
ce ne sera plus possible

il fallait sans doute
commencer par là
mais on ne savait pas

on a vécu
tel un autoportrait
on s’est reflété

Climat d’adolescence
sur l’eau des marais
on circule à fond perdu

chapeau de paille
vissé sur la tête
oeil sur le bouchon`

on sait déjà tout
de notre traversée
rien du temps accordé

La pluie raconte le toit
mieux que nos mots

même lire semble démission
du jour qui vient
de la mort qui approche

on écoute la vie couler
régulière - assidue

Comment dire merci
à la fin surtout
jours réguliers
silences parenthèses

là dans le fauteuil
un bougeoir posé
sur le chevet

la bête sauvage
couchée à nos pieds

quelques instants
on se fiche de tout
du temps qu’il fait
de ceux du dehors

on est libre comme l’air

Le ciel coulisse
comme au premier jour

dehors dedans
on ne sait plus

l’air est sucré
l’eau murmure

depuis l’enfance
on ne pèse pas

plus qu’un merle

toucher la terre
poser sa peine

faire le poids

s’envoler


Entretien avec Clara Regy

Ecrivez-vous depuis longtemps ?
D’aussi loin que je me souvienne mon rapport au monde est poétique et méditatif. Mais je me suis beaucoup contrariée !!!! Et je ne suis réellement au travail que depuis une dizaine d’années. La Poésie est enfin devenue le bain dans lequel je vis, respire, mange, dors, et si j’osais, la seule réalité qui m’importe, me rend vivante.

Ce qui vous « fait » écrire ?
Écouter, voir, siphonner le réel, et le transcrire au plus près. Tenter de le restituer ! Sans doute une poursuite sans fond… J’ai souvent l’impression de travailler comme certains peintres, des notes sur le vif et l’atelier à suivre. Mais en simultané, comme en écho, une dimension existentielle, métaphysique (Aïe ! n’ayons pas peur) se tricote avec ce travail d’observation, de transcription. Je crois que mon travail d’écriture se situe à ce croisement, un œil dans le microscope, l’autre dans le télescope.
Les frontières sont devenues très floues entre la vie de tous les jours, le monde et l’écriture, telle une fin d’exil toujours fragile.
De façon plus souterraine, plus sombre aussi peut-être, j’éprouve la nécessité que « les choses » soient transcrites pour exister réellement, ce serait comme ôter un écran entre moi et le monde.

Un recueil en cours ?
Je viens de terminer un recueil Le ciel coulisse. Le temps est au cœur du Ciel coulisse, le flux, le passage, mes passages, nos traversées. Ce travail est souvent à l’os, pour des raisons qui parfois m’échappent un peu. Sans doute un goût inné pour le vide, le silence, mêlé à un besoin de creuser une voie de simplicité, d’absence de superflu et de pathos.
Il me semble que l’emploi du « on » dans Le ciel coulisse est lié à cette voie, en tout cas, il s’est imposé pour ce recueil-là. Le grand inconvénient du « on » est bien sûr le masculin associé, ce qui aujourd’hui pose question, et voile mon identité alors que je fais un travail de dévoilement. Mais je n’ai pas trouvé mieux, à ce moment-là, pour tenter un propos universel, non nominatif.
Mon prochain chantier sera consacré à un passage particulier et sans doute construit différemment, même si la veine demeure…

Pouvez-vous nous donner le nom de quelques auteurs/artistes qui peuplent ce que vous appelez votre « panthéon » ?
Des poètes, des peintres, des philosophes, des paysages, et de nombreuses amitiés. Parmi ces compagnons de voyage citons dans le désordre quelques poètes : Anna Akhmatova, Emily Dickinson, Louise Glück, François Villon, Paul Celan, Antoine Emaz, Charles Baudelaire, Sylvia Plath, Jim Harrison, Laura Kasichke, Alejandra Pizarnik, Bernard Noël, Ryokan, Issa, Shiki.
Pour le plaisir, j’ajoute deux citations qui m’accompagnent en cet été : Ecrire, c’est creuser dans du noir (Guillevic) et La poésie c’est la chair de la philosophie (Claudine Bohi)

Si vous deviez définir la « poésie » en 3 mots quels seraient-ils ?
Dévoilement - Transcription - Écho

Nadine Buraud vit à Paris, après avoir passé 30 ans en Normandie. Elle vient du monde du Cinéma et fut tour à tour journaliste, directrice de production et de salles de cinéma.
Elle se consacre à l’écriture depuis une dizaine d’années, et participe activement à l’aventure des Editions des Carnets du Dessert de Lune, reprises en 2021 par la Factorie/Maison de Poésie en Normandie.


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5 Messages

  • Nadine Buraud Le 16 juillet 2023 à 11:51, par Massot

    Je viens de découvrir et j’aime beaucoup. Ces poèmes me parlent et ce n’est pas une expression gratuite de ma part.

    Répondre à ce message

  • Nadine Buraud Le 21 juillet 2023 à 12:25, par thierry rocourt

    merci Nadine pour ce beau partage
    Touché par ton chemin, certes tu t’es beaucoup contrariée :)
    mais la vie , comme le rocher qui roule ou la rivière qui serpente, amasse mousse , limon, sédiments et bruits de chute...que tu retrouves depuis
    une belle richesse
    "la pluie raconte le toit
    mieux que nos mots’’
    Bien à toi
    Thierry

    Répondre à ce message

  • Nadine Buraud Le 21 juillet 2023 à 12:27, par rocourt thierry

    merci Nadine pour ce beau partage
    Touché par ton chemin, certes tu t’es beaucoup contrariée :)
    mais la vie , comme le rocher qui roule ou la rivière qui serpente, amasse mousse , limon, sédiments et bruits de chute...que tu retrouves depuis
    une belle richesse
    "la pluie raconte le toit
    mieux que nos mots’’
    Bien à toi
    Thierry

    Répondre à ce message

  • Nadine Buraud Le 8 août 2023 à 11:14, par Leyzieux

    Nadine,

    Vos textes constituent une superbe découverte pour moi ! J’y retrouve mes questionnements et ce qui anime mon travail. Quant à savoir que Alejandra Pizarnik fait partie de vos auteurs préférés, c’est encore un plus pour moi.

    Félicitations !!

    Gérard Leyzieux

    Répondre à ce message

  • Nadine Buraud Le 16 août 2023 à 12:16, par Marcella

    Merci Nadine pour ces textes qui donnent de la densité au quotidien et du sens aux objets, aux gestes, aux corps…
    « Le jour s’ouvre-jaune » alors oui on s’y laisse entrer et on s’y laisse surprendre par une poésie incarnée.

    Répondre à ce message

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