Extraits de L’ombre du dialogue suivi de Doléances du réel
1-
Pour ne pas déranger l’intime, écouter les silences assourdissants.
- Que dis-tu dans ton poème ?
- J’exprime la souffrance.
- Le poids de ta douleur ?
- Non, la chair et l’espace des mots.
- Laisse-moi voir l’étoile collée sur ta bouche.
- Elle s’est posée sur ton épaule.
Se faire discrète face à la confession, sublimer l’appel des aurores dévêtues.
2-
Pour ne pas effrayer l’aveugle, doser et limiter l’éblouissement.
- Vois-tu les interlignes ?
- Entre quelles paroles ?
- Dans la multitude d’un même visage.
- La nature du mot est double.
- Du mystère, ne vois-tu que l’abîme ?
- Je n’ai jamais été plus éclairée…
- De quel côté es-tu ?
- Dans l’œil du miroir, dans l’angle inversé.
Accueillir la lumière, comprendre l’ombre, ne jamais se défiler devant l’ambivalence.
3-
Pour délimiter la temporalité du combat, définir une stratégie à long terme.
- Qui crois-tu convaincre ?
- Est-ce bien le but ?
- Que crois-tu gagner ?
- Est-ce bien nécessaire ?
- Vois le laurier, les coupes pleines !
- Du vin, le vinaigre, des feuilles, l’humus…
Voir l’accomplissement interne dans l’œuvre. C’est de loin que le chaos prend sa forme dernière pour devenir lisible.
4-
Les morts portaient la marque du vivant
Au sommeil éternel, la douloureuse empreinte
le jour et l’heure et le feu programmé
Sur l’aube jaillissait ma peine inexploitableL’entrée et l’alliance d’un autre monde
la porte
la mémoire
les fleurs depuis longtemps fanées.
5-
Une poignée de misèreune poignée seulement
un chant souterrain jamais éteint
Une âmepassée de main en main
méprisée vivante
anoblie, morte
Contre le videune âme
une seule.
6-
Si la voie de l’apparencegagne du terrain
Seule la véritérésiste au temps
Le feu n’est pas une étincelle.
7-
Je suis fantôme au milieu de mes pensées
privée d’aventures
l’objet de mon analyse
tourne en rond
Reste l’unique beautéaveugle d’elle-même.
8-
C’est un jour d’opale
un jour sans réflexion
où le bruit de la mer
couvre ma voix
Un ciel dégagé d’univers intrinsèques.
9-
Le désordre des songes
ma vie à l’ombre du zénith
sur le versant
des hivers.
Entretien avec Clara Regy
Vos textes ont une forme et une « couleur » toutes particulières, pouvez-vous nous en dire davantage et ainsi présenter votre « démarche d’écriture », ainsi que vous l’avez évoquée ?
Je dirais que pour moi l’écriture doit se situer au plus près de la réalité. Un lien entre sa conscience, son expérience de vie. À mon sens, la poésie ne peut être divertissement mais l’expression d’une émotion profonde, ressentie et vraie. S’épancher, s’abandonner toute entière, dans l’espoir d’un écho.
Cette quête s’inscrit, se définit par le biais de la réflexion, dans le désir d’apprendre, dans la remise en question sans quoi rien n’est possible. Il s’agit de sonder la nature humaine dans toute son ambivalence, dans toutes ses splendeurs et faiblesses. L’exercice de la lucidité est difficile mais essentiel et vital.
Enfin, toujours être sincère, humble, chercher sans cesse l’unité des voix.
Aussi, sans nous livrer tous vos secrets, avez-vous des habitudes, des lieux, des objets, des évènements particuliers qui vous inspirent ?
C’est avant l’aube que mon esprit se libère, une parenthèse propice aux pensées constructives. J’ouvre la fenêtre, je respire, je savoure ce temps suspendu. Si l’écriture se fait pressante je viens à elle, mais ne me force jamais, les mots naissent de leurs propre volonté quand « la gorge est pleine ».
L’existence est au centre de mon inspiration.
Quels auteurs vous sont indispensables au tout au moins dont l’œuvre vous semble nécessaire, parfois ? Et pourquoi ? (vous répondrez à cette dernière précision « pourquoi » si vous le voulez bien…)
La liste des auteurs que j’admire est longue !
Je suis par exemple, fascinée par l’écriture d’Alejandra Pizarnik, par l’élaboration de cet univers unique et singulier. La lecture des textes d’Artaud, de Roger Gilbert-Lecomte ou encore de Jean-Pierre Duprey sont autant de sources inépuisables. Je citerai également Pierre Reverdy, René Char, Stanislas Rodanski, Thierry Metz, Paul Valet, Emile Cioran, Tristan Tzara...
Je pourrais vous donner encore tant de noms ! C’est un monde riche, porteur de mémoires intenses et fécondes. L’empreinte des poètes jalonne nos chemins et reste balise intrinsèque.
Question subsidiaire : si vous deviez définir la poésie en 3 mots quels seraient-ils ?
Seulement trois ?
Sincérité, émotion, travail…
Suescum Patricia
Née en 1973 à Nîmes, vit et travaille en Auvergne.
Bibliographie :
- L’étreinte de Vide suivi de Je suis la nuit, Editions Rafael de Surtis -2017
- Mauvaise Herbe, Editions Rafael de Surtis – 2018
- A l’heure où les fauves dorment, Citadel Road Editions – 2019
- CHAOS & FORTUNES, ouvrage collectif, la revue du Bréchet 2020
En revue (quelques exemples) :
- Revue Possibles
- Terre de Femmes
- Décharge
- Les Hommes sans épaules
- L’ardent pays
- Le journal des Poètes
- Le Brechet