Chaque nuit est pour l’homme une contrée de plus
Le fond haletant d’un espace frappé à l’enclume
Une contrée animaleUn regard suffit à comprendre
Une contrée au fond de celui qui parle
déjà traversée par de plus anciens que nous
Des mains plus ourdies que les nôtresIci, pourtant tu peux sourire et pleurer
Puiser ton visage, des yeux dérobés
La limaille chue des feuillagesTu peux écoper les silences
insérer des mésanges
le ralentit du rêve
Aimer les morts
Les vivantsCueillir la nuit et voir du pays
Un regard y suffit.
Les mouvements descendent la tourbière
Sont disséminés sous l’eauJe peux toujours parcourir du regard les remous
Le temps quitte le tempsLes souvenirs de nuits lointaines
là-bas, au large, sont nul partJe peux toujours m’étendre
analphabète sous les nuages
Ils descendent eux aussi
à petit feu, croisant les étincelles de bruyèresC’est que nous sommes devenus autres
en nous souvenantMiroirs entre les lignes
Les souvenirs sont nul part
Le temps lui-même quitte les charmillesLa lumière se déplace le long d’un liseré perdu
et scrute les confins qui se tendent et se détendent.
Poèmes changent nos voix
Effacent nos yeuxOn possède tant de choses ramassées
Bonheur bien abritéDerrière la littérature
Tous nos morts tambourinent
Ils combleraient les fissuresDerrière les paravents
Nos morts existent réellementQuand tout est donné
Le poème n’est pas dans le poème.
Mais d’où venir ?
Je me promène
héritant de la forêt
sous les édifices tremblants de l’aubeUne grappe de couleurs
déploie ses tempêtes de gouttelettes
Cliquetantes planètes encastrées dans la lumièrePromenade
d’une saccade à l’autre
Retrouvant au passage le remontoir du souffle.
Se tend la nuit au sein de ton visage
à mes yeux cernés par la mémoireUne soudaine tension
amorcée par l’oubli
qui affine le silenceRegard volé par la nuit
se volant l’un l’autre
Temps contre tempsNeige précieuse entre des doigts fugitifs
Tentative de lanterne
surplombant un instant
le serpentin du temps.
Mini entretien par Cécile Guivarch
D’où vient l’écriture pour toi ?
Ecrire avant d’écrire le poème. Il doit y avoir quelqu’un dedans. Quelqu’un que je ne peux approcher que dans la somnolence, le silence. Quelqu’un qui écrit dans une langue intime, modeste, pour peu de besoins. Qui écrit et prend soin du verbe : « demande-toi ».
Comment écris-tu ?
J’écris le front contre l’arbre, les mains sur le tronc. J’écris recroquevillé dans le ruisseau. J’écris le pied à l’étrier. J’écris pour écarter les mots. Dans le regard mourant. Dans la naissance. Lentement.
Quelle est ta bibliothèque idéale ?
La montagne ou presque. La roue sans fin des ruisseaux. La distance entre soi et le lichen. Le désert de la nuit.
Et
Le chapitre de Maurice Maeterlinck sur le silence, dans Le trésor des Humbles, où l’on peut lire :
« Et toi-même dans tes pauvres petites perplexités, essaie donc de retenir ta langue durant un jour ; et le lendemain, comme tes dessins et tes devoirs seront plus clairs ! » Et encore : « Nous ne parlons qu’aux heures où nous ne vivons pas… »
De ces impressions, les lectures de Tarjei Vesaas sont descendues, ainsi que les carnets de Peter Handke, les essais de Claude Régy, le journal de Henry David Thoreau, les romans de Jon Kalman Stefansson, le poème Ici en exil d’Emmanuel Merle…
Bruno Lomenech
Je vis à Yerres dans l’Essonne, ville qui invite à écrire ; la forêt et la rivière indiquent le chemin des ateliers d’écriture théâtrale Troupadeux, et celui de la bibliothèque. Créer des spectacles sur Coyote, la piraterie, des lectures théâtrales, poétiques, écrire des articles sur la petite enfance et le théâtre, la poésie, voilà aussi qui travaillent le quotidien… les espaces, les arbres, les hérons s’occupent du reste…
blog : brunolomenech.over-blog.com
Bibliographie
- Le chemin bleu (des comptines autour de la flute enchantée) aux éditions Kéraban
- Camopée (recueil de poésies) aux éditions Kirographaires.
- Publication de récits de voyage, de poésies dans les Cahiers du Sens, la revue Le portique, 17 Secondes, Paysages écrits