Extraits de Passage de l’hiver
C’est l’heure où l’arbre
se fait encre sur un ciel qui s’absentel’heure où le proche est obscur
et le lointain lumièrelaisser faire
laisser faire et laisser revenir
le flux abandonné des mers inaccessibles
laisser reprendre sous la flamme
le vol assourdi des voyelleslaisser rouler sur le chariot de la nuit
le souffle attelé à son rêvepour que se perde et se rassemble
____ ____ dans l’œuvre d’hivernage____ ____ ce qui cherche à percer sous le givre et l’oubli
La pluie a fermé ses fenêtres
sur les amis d’antanje tiens mon chagrin en écharpe
____ et dans ma tête
____ je fais mon Sudle temps
____ plus tardmettra de l’ordre
dans les jardins désemparés
C’était janvier je crois
qui me faisait la fêteon ne dit pas assez
l’eau et le pain de l’amitié____ à se trouver si proche
____ qu’on se prend à tremblersi peu qu’il faut
parfois
pour s’ébrécher
Clarté mise en jachère
sur les gravats de l’andessous la petite herbe
sa courte obstinationfrémissent d’inaudibles raffuts
forgés à l’aube d’un feu couvantsolstice d’une clameur promise
dans la froide rumeur du ventsaison de galop silencieux
où dorment____ ____ de grands coursiers adolescents
Neige,
à arpenter en traces de silenceà s’enlier
furtifs ensauvagés
au lent embrassement du ciel et de la terrecorps de craie enlacés
dans la disparition du mondejusqu’au fouissement,
____ ____ l’heureuse abolition de tout
Parcelle mise à l’écart des sédiments de l’heure
des fièvres retombées en cercle sur la ville
corps fourbunul lieu dans cet espace
ni balcon pour respirer
ni terre qui serait sûreni vent d’étoile qui viendrait de la mer
pour nous nommer le port
la digue étroite
l’île de chant et de douceurj’ai mal à la douleur
à ce brasier d’angoisse en vrille sur le mondeet si pauvre de mots
____ à tenter de la diresignes que je déploie
comme filet tendu au raz d’un champ de mines
parole de secours reprise sur la peurj’ai dans le cœur un flux amer
qui n’est pas sang
____ ____ mais suiej’ai dans le cœur un poing qui tape
qui n’est pas pouls
mais cri
?
Etre là
assise à même
dans le balancement des herbes blondesêtre là
parmi les nappes de lumière
la robe bleue de l’heureêtre là
sans question
à la lisière de l’instantsoleil griot grappillé aux fenêtres
être là
comme un rien d’ombre
où traîne encore un peu de nuit__ et remettre aux frontières
__ la frappe cadencée des pourquoiil sera temps plus tard
de ramasser le monde
lancé sur le chemin
(dans le pas de Jacques Dupin)
Ecrire
dans l’incantation muette des amères forêts,
écrire sur le pelage ruisselant du chevreuil qui s’enfuit,écrire contre la meute,
contre le doigt posé sur la gâchette,
et l’ombre qui grogne
____ ____ et grandit aux fenêtres,écrire
en défi de carême,
contre ce temps de baiser froid
qui tire ses volets
____ ____ sur le trop-creux du jourécrire
comme on ronge son os,
contre la nuit où s’étouffe une quête d’enfance,
____ ____ sous la lumière crue d’un monde qui la nie,écrire
dans la tumultueuse intempérance des révoltes,
pour harponner la langue à son urgence d’air
et voler au soleil des éclats d’espérance,écrire
____ comme on remonte un fleuveà contre sens
à corps perduécrire malgré tout
et surtout malgré soi,son sac d’os claquant des dents,
son manque de lumière dans l’inconnu du jour
son amour menacé qui dans le vent se coucheécrire
____ d’autres mangeurs d’insomnie y trouveront leur cri
Née en Cévennes, en garde le goût des espaces libres et sauvages. Adolescente, se tourne vers la musique, dont elle fait encore et toujours joyeuse profession. Vit en Provence, arpente la terre.
Un matin du jeune siècle, l’écriture se glisse en douce dans sa vie, et peu à peu y fait son nid. D’abord sous forme de nouvelles, récits, souvent primés et publiés en revue. Puis son écriture invente d’autres paysages, plus poétiques.
Publications concernant la poésie :
- 3 livres d’artistes en collaboration avec Dominique-Pierre LIMON, peintre-graveur (www.limon-dominique.com) :
L’adossée, 2010
Graines, 2010
Falaise, 2010
- Aux éditions Sillages :
Participation aux deux livres anthologiques Corps, 2010 et Palestines, 2012
sillageseditions.com
- Plusieurs recueils de poèmes sont en cours d’achèvement, mais pour l’instant, aucun n’a tenté l’aventure de l’édition.
Mini-entretien avec Roselyne SIBILLE
___
D’où vient l’écriture pour toi ?
Certainement de mon amour des livres, et des écritures des autres !
L’enfance de ma lecture, je la connais. Mais l’enfance de mon écriture, je ne saurais la dater. Je me souviens d’un professeur de lettres au lycée : sa passion de la littérature m’emportait. Je sais que j’ai écrit entre 20 et 30 ans. Je voyageais, j’écrivais. Puis il y a eu un grand silence… occupée ailleurs, autrement. Un jour, l’écriture est revenue frapper à ma porte. J’en ai été étonnée.
Quant à l’instant même de l’écriture, son déclenchement provient souvent d’un état instable, d’un trouble intérieur -perturbation ou émerveillement-, qui me met en mouvement.
Quelque chose me convoque, qui veut venir à la lumière, prendre forme, énonciation. Ce tremblement se saisit de ma langue pour inventer son existence. Je l’écoute, je le suis.
Comment travailles-tu tes écrits ?
Ma ligne de travail est double. D’une part la justesse : me tenir au plus près de ce qui cherche à s’écrire, tirer le fil avec attention, précaution, entendre les bégaiements, les murmures, débusquer l’inaudible, explorer les bas-côtés…
D’autre part la musique. L’architecture musicale -rythme, phrasé, couleur, timbre, équilibre- est le cap rêvé de mon écriture.
Que t’apporte l’écriture ?
La vie m’altère, me bouscule. L’écriture me centre, quand l’ordinaire du quotidien, ou son chaos impromptu, me rogne et m’éparpille.
Ecrire intensifie la vie, révèle la profondeur, donne chance aux manques et aux silences. Ecrire m’augmente. C’est du côté de la joie.
Quel lien fais-tu entre ton écriture personnelle et l’écriture en ateliers ?
C’est effectivement grâce à la pratique d’ateliers, suivis il y a quelques années, que j’ai pu renouer avec l’écriture, alors que je ne savais comment reprendre, après ce long silence. J’ai aimé l’ouverture qu’apporte l’atelier dans sa richesse humaine, son effervescence, sa folle diversité.
L’atelier donne appui, confiance, c’est une source nourricière.
Mais l’atelier ne répond pas au pourquoi/comment écrire. Pour trouver une réponse singulière (sans cesse provisoire) à ces questions, il faut affronter l’écriture en face-à-face, s’aventurer en solitaire dans ses terres obscures… Et donc quitter la protection chaleureuse de l’atelier !
Quelle serait ta bibliothèque idéale ?
L’écriture de Pierre Michon, découverte il y a quelques années, m’impressionne : elle touche pour moi à une certaine perfection en ce qui concerne la concision, l’équilibre. Mais tout autant, j’aime la fête de la langue qu’est l’écriture luxuriante de Christian Prigent !
Aujourd’hui, je lis surtout de la poésie. Je reviens souvent à ceux qui sont mes « grands » : René Char, Jacques Dupin, André du Bouchet, Antoine Emaz…
Mais surtout, j’aime découvrir. La découverte d’une écriture, d’abord étrangère et qui soudain me parle, est un moment magique.
Ainsi, ces derniers temps, ce sont les voix du Moyen-Orient. La force de cette poésie – sa nécessité, son souffle, sa liberté- venant de ces pays où vivre est devenu difficile, me touche profondément.
(Page établie grâce à la complicité de Roselyne Sibille)
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