Le kaolin de la peau
par les os
de nos côtes
pigmente
les sueurs et les souffles
d’une fissure
friable ocre rouge
à l’intérieur des plis
sécrète du lait de femmel’argile des nerfs
déborde des lèvres
écume ou lie de vin
impureté de la terre
qui se purifiela falaise s’est dissoute
dans le creuset du ventre
strates d’ombres et de braises
prisme d’une douleur
passée au tamis
des contractionsle fossile d’une ride
à la verticale
du nombril
s’est fendu.
Respire la pierre
tremblement de terre
entre les veinesl’ongle raie l’épiderme
où échouent les spasmes
l’espace et la masse de nos corpscrayonnement en rafale
plaisir sinusoïdal
surrection d’une carrière blanche
au milieu de nos ventress’érigent
les vestiges d’un temple
sous nos paupières
nos vertèbres se dispersent
en colonnes éparsesun cheval cabre la pierre
acière sa crinière noirelà où la vie semble s’achever
un battement nous enserre.
La main a glissé
sur la pierre mouillée
elle a dérapé
dans l’entaille du poèmela peau des mots
régurgitée par les vautours
pelote de sang séché
cairn fœtal de vocables mâchés
la main se blesse aux aspérités
s’agrippe au mot falaisetroglodyte
elle appelle elle épelle
la pesanteurascendance d’un cri
au bord de la rime
au bord d’un malaisele vertige d’écrire
résonne contre la paroi
elle pénètre la faille.
Les racines pendent
la craie est à nue
la terre émiette ses strates
millefeuilles de poussières
obscures
le chemin
dans l’espace
à grand peine frayé
la carrière cannibale
la sueur blanche
des hommesOasis de miséricorde
à l’aplomb du soleil
reste
l’arbre suspendu
gisant séculaire
sur les plaies roses
de la falaise
les sirènes de métal
ne blessent plus
la chair trouée
de l’île
la plainte monte
de la ponce arrachéesous la porosité
elle flotte
ses doigts
creusent les pores
pour retrouver les corps.
L’eau lie les plis de la roche
qui écorche la peauinterstices et anfractuosités
se gorgent de liquide salés’érodent les pensées
s’émiettent les nausées
les blessures d’un buisson d’épines
sous-marines
se diluent dans l’océan des rosesles pétales mouillés sont un abri
aux écorchureselle nage entre les pierres
entre les tombes
entre les fleurs.
Abrupt
les mots dans la gorge.
les constellations vertébrales
frappent le ciel
pour inventer une éruption
la cavalcade des cistes
et l’escalade des roncesles pieds brûlent
sous les pierres carnivoresabrupt
le soleil au-dedans en dehors
la soif d’un citron
la chapelle et son ciel de chauxabrupt
les mots dans la forge
pour dire l’inflammation
de l’huile sur le visage
le suaire calciné d’un poèmeabrupt
le cratère de la poitrine
muette respire.
Mini-entretien de Laurence Bourgeois par Roselyne Sibille
D’où vient l’écriture pour toi ?
Pour moi l’écriture vient de deux mouvements de l’enfance. Le premier, la contemplation intense jusqu’à bouleverser le réel pour le rendre à son mystère, comme une pensée magique. Le second, la fabrication artisanale d’objets insolites avec des bouts de ficelle pour transformer et sauver le monde, comme des amulettes.
Le poème est venu, dès l’âge de six ans. J’ai eu très tôt besoin de donner une forme perceptible à ce que j’éprouvais. Puis l’écriture a pris la forme d’un journal jusqu’à l’âge adulte.
Ensuite ce fut, pendant plusieurs années, le recueil de la parole de poètes, en créant des livres d’artistes. Ce fut ma manière de vivre la poésie pendant plus de 25 ans.
J’éprouvais la sensation profonde qu’un poète est avant tout un créateur, capable d’invention – mais je l’imaginais plus sur une base artisanale, dans d’autres domaines que la poésie pure, en l’occurrence la transformation de la matière.
C’est seulement depuis une dizaine d’années que j’écris à nouveau.
Comment travailles-tu tes écrits ?
Aujourd’hui je dirais que je travaille mes écrits comme je vais cueillir des champignons. Je pars avec une odeur de sous-bois puis je pénètre dans la forêt, j’aiguise mon regard, je me perds, je suis attirée par les plus vénéneux, devine les plus secrets… je change un mot, remue l’humus, je respire, j’efface, je suis concentrée, seule, je cueille, je saute une ligne puis rentre à la maison ; je contemple ma cueillette, je trie, lave, cuisine, j’écris….
Oui, j’ai besoin d’une intense concentration mêlée de fulgurance, une image me saisit et les mots s’articulent, se désarticulent autour, comme pour la nourrir.
Quelle part occupe la poésie pour toi au quotidien ?
J’essaie que chaque geste ait sa part poétique et je sais que le moindre mouvement peut être à l’origine d’un poème, sans savoir lequel sera à la naissance du poème.
Le corps, la sensation sont là à chaque instant en amont de l’écriture.
Comment fais-tu le lien entre ton écriture et tes créations de verre ?
Je répondrai par la parole d’un poète :
« Je pense quelquefois que si j’écris, c’est, ou ce devrait être avant tout pour rassembler les fragments, plus ou moins lumineux et probants, d’une joie dont on serait tenté de croire qu’elle a explosé un jour, il y a longtemps, comme une étoile intérieure, et a répandu sa poussière en nous » - Philippe Jaccottet
Les mots surgissent en moi tels des inclusions, des entailles, des failles, des fulgurites, des griffures, des pépites, des cristaux, des tessons, des traces d’herbes ou d’êtres disparus.
Le verre par ses jeux de transparence, est pré-texte, géologie translucide, sombre ou lumineuse pour révéler la profondeur incluse dans les mots.
(Pour des photos de quelques créations de verre : http://www.livredeverre.fr/)
Que t’apporte l’écriture ?
J’écris un poème avec le soupçon qu’en l’écrivant quelque chose va se passer, une chose étonnante, quelque chose qui peut tout rassembler, qui peut tout transformer.
J’écris aussi pour pénétrer encore plus profondément dans la poésie et lire en résonance d’autres écritures, d’autres poètes, d’autres voix.
Quel auteur est fondateur pour toi ?
Herberto Helder avec Le poème continu
Luc Dietrich avec Emblèmes végétaux
Pierre Reverdy avec Flaques de verre
Sylvie Fabre G. avec Corps subtil
Quelle est ou quelle serait ta bibliothèque idéale ?
Une bibliothèque en forme d’archipel où chaque livre en appelle un autre, avec des îles encore inconnues à découvrir. Des livres d’art, de philosophie, des livres d’artistes, des revues où on pourrait retrouver : Bachelard, Pline l’ancien, Sappho, Noël, Tsvetaieva, Akhmatova, Tarkovski, Plath, Dorion, Huot, Bisutti, Pasolini, Germain, Du Bouchet, Jaccottet, Dubost, Rouzeau, Emaz et tant d’autres poètes contemporains.
Quels sont les trois mots que tu associerais le plus volontiers à celui de « poésie » ?
Eclair - Racine - Corps
Présentation bio-bibliographique
Plasticienne et poète, Laurence Bourgeois crée dans son atelier « écrits poétiques de verre et papier » une œuvre singulière où dialoguent matières ?, transparence et poésie.
Elle a réalisé une centaine de livres d’artistes avec de nombreux poètes contemporains (dont Michel Butor, Tahar Bekri, Patrick Dubost, Roselyne Sibille, Angèle Paoli, Sylvie Fabre G, Jean Marie de Crozals... ) ?.
Elle est cofondatrice de l’association la voix du poème qui propose des ateliers d’écritures ?, des expositions ?
et des lectures en musique. Elle co-anime une émission mensuelle sur Radio Pays d’Hérault Les Arpenteurs Poétiques.
Depuis 2009, elle écrit des poèmes. Sous la surface lisse des mots, elle fait surgir une géologie parfois tragique, sombre ou lumineuse, douloureuse et libératrice.
Elle a publié un recueil en 2015 ? : Feu Blanc aux éditions du Petit Pois.
Ses poèmes font partie de plusieurs œuvres de collaborations entre poètes et plasticiens. Elle a ?écrit le texte de Ainsi le pli, ed. la voix du poème ? - 2014 ?
?et a fait l’illustration pour Le bruit des cailloux ? (texte de Coralie Poch) , ed. la voix du poème - ? ?20 ?15
?Ses textes figure ?nt ?
dans plusieurs anthologies ? poétiques ? Petite anthologie poétique en cœur d’Hérault, 2011 ; Archipel 1, 2013 ; Archipel 2, 2014 ; Archipel 3 , 2015
« Voir feuille jointe », 12 poètes et 12 plasticiens, 2015.
Deux notes de lectures pour découvrir Feu blanc aux éditions du Petit Pois - 2015.
Le poème unique de Laurence Bourgeois - en ses vastes laisses défrichées - est un feu liquide qui incendie tout l’espace de sa lecture, une immense lame de fond incandescente submergeant tous les rivages du lieu et de l’être. Son poème - l’unique tremblement de ses fièvres - est parcouru d’un chant de Sibylle : rien n’arrête son or, le liquide souverain et lumineux de sa parole incendiée. D’avant un déluge, l’origine prend corps et feu dans le ventre de l’œil, dans l’ Eden et après de sa question. Là tout se noie dans une fournaise blanche, tout commencement vacille sur son cri, à la racine de l’âme, et l’Inconnu ressuscite.
Jean Marie de Crozals, le 12 octobre 2015
Une ligne.
Une ligne entre deux points (ce pourrait être la terre et le ciel, ce pourrait un ventre de femme et le monde), une ligne et c’est le chemin de l’eau, de l’air et du feu, c’est le chemin des mots.
« ne vois-tu pas la faille / sous le seuil qui tremble / l’origine vacille / avant de franchir la ravine »
C’est ce qui peut arriver de mieux à une ravine : être franchie. Même si c’est un « paysage ouvert en deux ».
Ce n’est pas une ligne, c’est un vecteur, dans une géométrie, une géologie de matières et d’éléments, l’écriture de Laurence Bourgeois rampe, se glisse, écarte les racines et traverse sèves, résine, sucs et sédiments, tout un « paysage craquelé » qui s’ouvre encore plus, car une force écarte les obstacles, une énergie qui sait également l’immobile. « un silence voyage, de ventre de femme en ventre de femme »
On s’arrête, et là on entend ce qui suinte, ce qui pleure et cherche l’air et l’eau.
Elle se tient là, entre la feuille et le « liquide cosmique » sous le « portail du ciel ».
De l’infiniment proche à l’immense, une ligne, un double vecteur, ce qui circule et Feu blanc témoigne de ce qui brûle, jusqu’à la « caresse des algues ».
Le poème Tu es inconnu cristallise sans doute dans le recueil le point ultime de Feu blanc.
Car c’est ici que le double vecteur révèle l’essence du poème : une corde tendue, aimante, entre l’intime et l’absolu. Une corde que Laurence Bourgeois fait vibrer par ce qui l’anime et qui fonde son écriture ; le son de la vie, le chant d’une mère, la note très nue de l’humanité. Ici apparaît une présence, un visage.
La ligne tendue de l’écriture, la vitalité des visions qu’elle porte opèrent une transformation sensible, dans le creuset de la force d’une tendresse et d’une révolte. Les éléments et les matières en sont le substrat tangible.
A lire Feu blanc, on franchit la ravine.
Jean-Marc Barrier, le 22 octobre 2015
(cordesse.typepad.com/lessditionsdupetitpois)
(Page établie grâce à la complicité de Roselyne Sibille)