Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Sabine Péglion

samedi 28 septembre 2013, par Sabine Huynh

____________________Extraits de Ces mots si clairs-semés (inédit)

Tu ne répares pas_____à peine peux-tu_____au fil des
mots_____broder_____quelque étincelle_____à l’ourlet des jours
Que saisir_____de l’instant_____pour abolir la blessure
de ses lèvres_____Son sourire_____déchiré si
prés de la rupture_____Tu ne répares pas

Ton regard cherche_____au–delà_____à transpercer le
mur_____s’accrocher au sien_____pour trouver_____un chemin
Tisse_____tisse_____sans illusions_____les mots sur la
page_____Parler_____chanter_____assembler_____peu importe
Tu inscris_____fil à fil_____la douleur_____qui_____se brise
Sur la trame_____tendue de couleurs_____tu reprises
au mieux_____Tu sais bien que_____rien_____n’occultera la
trace_____L’aiguille se faufile_____insère un arc
en ciel_____Pour quelle alliance_____En quelle espérance

Tu ne répares pas_____Les mailles du filet
que peuvent-elles retenir_____avec ce trou_____béant
Habiles_____les mains_____circulent_____tentent de_____resserrer
le maillage_____Pour quelle_____miraculeuse_____pêche
Partir_____alors_____ne plus revenir_____traverser
l’horizon_____N’est-ce pas disparaître_____Sous la
vague_____la barque_____s’enroule_____le filet dérive
dans le bleu_____du sillage_____Tu ne répares pas

Tu ne répares pas_____le linge_____lacéré
Éphémère_____végétation_____Tu navigues_____au-dessus
des cordes_____balancées_____bien au-delà_____des haies
Laisse_____sans regrets_____la violence du vent
à travers_____les_____déchirures_____vibrer_____s’engouffrer
disperser_____les nuages_____Tu ne répares pas

Tout n’est que_____cicatrice_____sur la peau_____de la
terre_____Tu sais que pour_____semer_____il te faudra
trouver la faille_____obscure_____déposer_____les graines
recueillies_____en ces mots_____avec tant de patience
Accepter_____d’arracher_____au passage_____quelques ronces
Voir_____enfin_____s’épanouir_____ces bouquets_____espérés
Avoines folles_____de lumière_____dentelées_____accrochées_____à la pierre
Se courbant_____s’inclinant_____se relevant_____sans cesse
Multipliant_____au vent_____les rares étincelles

Tu ne répares pas_____Tu façonnes_____Tu transformes
Tu recueilles_____Tige à tige_____Fil à fil_____Maille à maille
Ces mots_____éparpillés_____Quelque ariette_____oubliée
Cavatine légère_____accrochant_____dans ses yeux
un sourire_____un plaisir_____le désir_____d’exister

_________________________« Nous ne savons rien
_________________________nous ne savons rien de la douleur
_________________________la saison amère du froid
 »
_________________________« La mort de Guillaume Apoliinaire », par Tristan Tzara

Apaise-toi
Voici le temps venu
de trouver_____d’accepter
d’autres lumières
vers d’autres terres

____________________Partir en cette absence
____________________A la racine du vent
____________________– Quoi de soi-même
____________________et de la route menée
____________________espérer ? –

____________________Partir au plus profond silence
____________________enfoncer son visage
____________________parmi les algues sombres

____________________Peu importe la nuit
____________________il faut nager plus loin

____________________Partir avec confiance
____________________spirales du soir descendu
____________________s’y dissoudre
____________________pour oublier le jour

____________________Peu importe ce vide
____________________puisqu’il faut s’y résoudre

____________________Est-ce l’infini du bleu
____________________Est-ce la mer soudain
____________________qui t’a pris par la main
____________________pour te parler d’elle ?

____________________– Ta main d’ombre et de silence
____________________par tous les soleils répétée
____________________Vois comme elle tremble encore
____________________et ne peut résister –

____________________La pierre se redresse
____________________et l’éclat sur ton bras
____________________accueille la courbe
____________________d’une aile

____________________à la périphérie du jour
____________________passe l’aile de l’oiseau
____________________sur la face du ciel
____________________ton regard s’y consume

____________________Et s’il fallait_____simplement
____________________recueillir_____au passage
____________________de la griffe du temps
____________________ce que fut ton visage ?

Faire un trou à la nuit

_______________Au crépuscule de tes
_______________paroles s’avancer

_______________Faire un trou à la nuit
_______________Laisser les étoiles
_______________s’évader

Cette parole_____aux a
–bois_____retiens-la_____attrape
–la_____Une_____rumeur_____un
chant_____en bas_____C’est vague_____Et
toi_____C’est où_____là-bas ?_____Dis
moi_____pourquoi_____j’étais pas

là ? J’étais_____là – bas_____Pas
écouté_____Pas_____parlé
Tes pas_____s’en sont allés
Un bruit_____violent_____et le
silence_____Faut_____saisir
cette parole_____qui

se faufile_____entre les
dents_____et les aiguilles
broyée_____cassée_____brisée
c’est – là_____troué_____Toi_____tu
reprises_____tu piques_____files
les mots_____Vers après vers

Rafistolé ? Jamais
Entier_____Seulement bri-
–sé_____cœur en morceaux ?
il s’est cassé_____t’as pas
pu_____lire_____t’as pas su dire
Entre_____les lignes de

nos vies_____Rien à comprendre
Rien_____à vendre_____C’est quoi
ces cris ?_____C’est quoi_____la vie
À vendanger_____les vignes
– le vin ne sera plus
tiré –_____les grappes noires

écrasées_____Mais il faut
boire_____ce vin si âpre
Raisins trop verts_____Enfants
vos lèvres_____dures et vos
blessures_____Dents agacées
verres_____cassés_____savoir

en rire_____et sur_____la page
enfin_____inscrire_____en
fil de rêve_____broder
la soie_____d’une lumière
qui vacille_____surgit
s’élève_____et s’éparpille

Extraits de l’entretien de Sabine Péglion avec Daniel Repoux (directeur des éditions Sous La Lime), figurant dans le CD (plage 36) accompagnant le recueil Traversée nomade (mars 2013), retranscrit avec son amicale autorisation.
N.B. : Les questions de D. Repoux sont déductibles des réponses, elles ne figurent pas dans le CD.

On peut écrire parce qu’on aime le geste, le silence, parce que la page devient une amie, recueille les confidences, apaise. En ce sens, « est-ce que j’ai toujours écrit ? », oui, j’ai écrit très tôt, c’est vrai, c’est un geste précoce. J’ai retrouvé un journal que je tenais, j’avais 8 ans, mais écrire, en ayant conscience d’un acte créateur, je dirais, depuis la fin de mes études, vers 20 ans. Pourquoi ? Parce que tout acte créateur passe par la nécessité de constructions, de règles à partir desquelles on trouve sa voix ; une réflexion dans l’adéquation ou dans la transgression, mais qui n’est jamais gratuite.

Pour écrire il faut du temps. Ecrire ou vivre disait Duras et c’est lié pour moi à la lecture, qui amène à l’écriture.

[...]

J’écris partout, n’importe où, sur des petits bouts de papier, plutôt la nuit entre 3 et 4 h., pour le silence, pour le calme, pour la concentration que cela suscite en moi. Parfois une phrase me réveille, je la note, j’ai plein de petits bouts de papier que je perds, que je retrouve, je n’ai pas de règles vraiment, de rituels, par contre, j’ai toujours un crayon, du papier et puis très vite un écran pour pouvoir travailler sur un espace, sur le vide, sur la page.

Pourrais-je me priver d’écrire ? Ne pas écrire, dans le sens exigent du terme, est souvent dû au manque de temps pour construire, pour écouter intérieurement, mettre en mots, en forme, mais me priver d’écrire, je ne sais pas, parce que écrire est inhérent à soi même, on porte, en soi ce désir, on en vit, on en souffre parfois. C’est une nécessité, c’est un point d’ancrage, c’est une conscience d’être…

Peut-être parce que dans écrire, il y a rire, il y a cri, c’est un éclat, c’est un écueil, c’est inéluctable.
Ecrire est un bonheur, plus rien ne subsiste que le chant recherché, le mot espéré, le mot juste que l’on poursuit, mais c’est aussi une souffrance, un continuel écartèlement. On essaie de partager des mots, on les cherche, parfois ils vous échappent.

Ce sont des instants privilégiés mais, en même temps, des instants où l’on se sent ailleurs, différent, des instants qui nous manquent. C’est en quelque sorte vivre un paradoxe constant.
On perçoit souvent, trop souvent la vacuité, l’insuffisance de l’écriture. Vacuité, insuffisance, par rapport aux autres, par rapport à la souffrance que l’on voit, pourtant on poursuit, on se dit que là gît l’essentiel, ce qui donne un sens à la route. C’est aussi une pensée obsédante, envahissante.

[...]

L’écriture, surtout l’écriture poétique tient de la fulgurance, elle tient de la maîtrise, de l’écoute intérieure, du silence, elle devient vite indispensable.

On aimerait pouvoir écrire tous les jours mais on n’a pas souvent le temps. Parfois quelques minutes que l’on vole aux autres, au rythme habituel, parfois ce sont des heures qu’on arrive à extraire du rythme habituel, mais on peut créer aussi sans que tout s’inscrive sur une feuille. Souvent, je m’aperçois que le poème s’élabore et se construit, peu à peu, même dans des gestes quotidiens, des gestes très prosaïques, de jardinage, de cuisine et, au moment où on s’assoit, les mots viennent beaucoup plus facilement, plutôt que de rester assise figée à son bureau face, à son écritoire.
[...]
Qu’est-ce qui est à l’origine d’un poème ? Qu’est ce qui nous inspire, nous fait rêver ? Ou qui suscite ce travail intérieur ? Cela peut être un regard porté sur les êtres, sur les choses ; une émotion le plus souvent qui soudain livre une image, un rythme. Cela peut être une lumière, une rencontre.
Certains poèmes sont nés d’une contrainte, je pense à une contrainte qui était extraite d’un vers de Yannis Ritsos : « Tu ne répares pas, tu rectifies une imperfection de l’être » et ce « tu ne répares pas » était assez obsédant, jusqu’à ce qu’il devienne poème.
Un poème peut naître d’un vers qui éclôt en soi, dont on ne peut se défaire tant qu’on ne le reprend pas pour aller vers… on ne sait pas...
Parfois le poème se veut dialogue avec un peintre, un sculpteur, avec ses œuvres, ce qu’elles font naître en soi.
A l’origine du poème une inspiration multiple, mais toute création ne peut surgir que dans une recherche personnelle intérieure, liée à une émotion.

[...]
Avant tout, je crois qu’au plus profond de soi existe un désir de partage. On voudrait que ces mots rencontrent un lecteur potentiel, sinon on arrêterait d’écrire.
[...]
Nombreux sont les poètes qui m’ont accompagnée, qui m’accompagnent toujours, vers lesquels spontanément je me dirige ou je me dirigeais car j’avais l’impression qu’ils avaient atteint une perfection. Il faut savoir pourtant s’en détacher car elle peut devenir stérilisante ! Les poètes qui m’ont habitée, m’habitent encore, évidemment Baudelaire, Apollinaire, Saint-John Perse, Eluard, bien sûr Philippe Jaccottet, Yves Bonnefoy et tant d’autres… mais on ne s’inspire pas de poètes ou de poèmes. Certainement ma découverte de Philippe Jaccottet, mon travail de doctorat sur son œuvre m‘ont permis d’accéder à une écriture que je cherchais de façon plus confuse, mais il faut aller plus loin en soi.

[...]
On ne peut pas écrire si on n’a pas lu, en cela je me sens très proche d’Aragon ; c’est vrai je n‘ai pas cité Aragon et pourtant j’y retourne souvent surtout sur les derniers poèmes, là c’est un immense poète.

Il faut se libérer des modèles pour trouver sa voix ; une fois qu’on a construit son univers, il faut essayer de prendre confiance dans ce qui naît au fond de soi-même et le laisser éclore avec justesse, essayer de trouver dans notre langage cette âme, ce souffle, cet espace dont parle Jean Joubert, « des mots qui portent en eux leur place ».

[...]
Je pense toujours à cette phrase que Valéry développe dans Ego Scriptor, il parlait de Malherbes qui disait que la différence entre la prose et la poésie tient de la différence entre la marche et la danse : quand on écrit en prose, on va tout droit on sait où on va, on a un but ; c’est comme la marche. La poésie : on danse, on forme, on construit un univers mais on n’a pas un but précis. C’est peut-être cela ce qui m’attire dans la poésie. Cet espace que l’on arpente, que l’on donne aux autres et dans lequel on va rêver.

Bio

Née en janvier 1957 à Monaco, Sabine Péglion vit en région parisienne, où le fil de la vie l’a menée voici près de trente et un ans. Des études de lettres à Nice et un doctorat sur l’œuvre de Philippe Jaccottet à la Sorbonne lui ont permis de concilier écriture, poésie et enseignement.

Outre des recueils de poèmes, elle a publié plusieurs textes dans des revues sur papier et en ligne, telles Poésie Terrestre, Voix d’encre, Interventions à Haute voix, Encres vagabondes, Les Lettres françaises, Étoiles d’encre, Ficelle, Les carnets d’Eucharis, Virgules et Pollen, Terres de femmes, Francopolis et Mouvances.

Sabine Péglion a participé au Festival de Houlgate en Août 2012, et au premier festival de Yaoundé (Cameroun ) Festi 7, en décembre 2012. Elle collabore régulièrement à des livres et expositions d’artistes, ainsi qu’à des collectifs de poésie. Elle anime des ateliers de poésie.

Bibliographie

Poésie / recueils :

Traversée Nomade, Paris, Editions Sous La Lime, 2013
Derrière la vitre, Soligny-la-Trappe, éditions V. Rougier, 2012
Australie, notes croisées, dessins de J. Bret, Paris, livre d’auteurs, 2011
Danse, deux regards poétiques sur des croquis de danse, en collaboration avec B. Moreau et J. Bret, Paris, livre d’auteurs, 2008
Métamorphoses, Nogent, éditions Hélices Poésie, 2005

Anthologies :

Les voix du poème
, Editions Bruno Doucey, 2013 (l’anthologie de référence du Printemps des Poètes)
Instants de vertige, Éditions Point de fuite, 2013
pas d’ici, pas d’ailleurs, Éditions Voix d’Encre, 2012
Enfantaisie, Éditions Sous la Lime, 2012
Côté femmes, D’ un poème l’autre, Anthologie voyageuse, poèmes réunis par Zineb Laouedj et Cécile Oumhani, Éditions Espace Libre, Paris/Alger 2010
Poètes pour Haïti, sous la dir. de Dana Shihmanian et Khal Torabully, Éditions L’Harmattan, 2010.

Participation à un livre d’art :

(Préface et poèmes) Ramiro ARRUE, peintre Basque, Éditions Maria de Isasi, juin 2011


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