Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Damien Paisant

dimanche 8 avril 2018, par Cécile Guivarch

Extraits de Cri

1

Ce que pèse
la perte

de ne pas être

ou plutôt d’être

ce mendiant
à la main
qui tremble d’attendre
l’autre main

Ce qu’elle pèse

dans ces yeux privés
de lumière

pour voir
l’autre main

à ma portée

Ce qu’elle pèse

dans ce pauvre corps
affamé

toujours affamé

20

Touche
l’intime sanctuaire
du père invisible

Allume
un cierge
de l’intérieur depuis la grotte

Regarde bien
ses parois
abimées

l’insondable
vide

sans lui

la chute
de pierres

comme

une révélation
qui dépasse
la prière

au nom de sa mort

31

S’inscrire
en lune

pour

ne censurer
du noir

que le châtiment
qui frappe
à coups de glaive

S’inscrire
en pleine lune

à l’image du sacrifice mère

dans la douleur sainte
que procure
la vraie foi

celle qui d’abord
ne prête serment

qu’à soi même

38

Reçois
la gifle
du vent
d’automne

Laisse

le sang
habiter
ton visage

tes lèvres
demeurer
silence

Soutiens
l’ombre jour

jusqu’au brasier
du couchant

39

Embrasse

le visage
du matin
fatigué

à t’attendre

Embrasse

son front
plissé

qui titube
de te voir
malade

Embrasse

ses paupières

abaissées
par tes yeux menteurs

Embrasse

son nez

fracturé
par la foudre
que tu as provoquée

Embrasse

les lèvres blanches
du matin sans chaleur

Extraits de Fusion (AïE(iLLEURS))

4

AïE(iLLEURS) __mal de regard __sacrifice inconnu

creuse la mer depuis l’univoque surface

(flottement du corps synonyme de sommeil)

Rêve noir ta présence est ailleurs
je n’ai pas dit se noyer car sans retour est
folie __ coupée du ciel __ beauté à embrasser

j’ai dit boire la source abîme

assez __ pour voir merveille (même grise)

AïE(iLLEURS) __ mal de regard __ encore

assez __ pour y rester…

20

En l’état se trouve le linge
linceul aujourd’hui je compte
les sales heures étouffées de
l’impossible fin si longue que
se refuse l’œil au soleil après
mon rendez-vous raté

Peut-être qu’avec l’étoile matutinale
de quoi faire il y a pour laver l’ennui

____ ______ ______marque douleur

____ ______ ______invisible était le non
____ ______ ______ (état de verglas)

Fermé n’était pas le poing
meurtri du visage illisible __ JE

deviens ramasseur de volis

pleureur à genoux ô saule __ JE
deviens état douleur

pour se voir fondre

____ ______ ______visible sera le oui
____ ______ ______(état de neige)

21

Pour comprendre l’hiver __ dormir

sous des draps en lambeaux se __refroidir
n’est pas mourir __ cap à terre glissante __ tu le tiens

AïE(iLLEURS) __ j’Ai (je vois) __ le mal de mère
assoiffe ma soif __ Aïeul brûlé __ je dors
sous une houle noire __ S’éteindre
n’est pas sans lumières __ Glaïeul __ voilà
à quoi ressemble mon poème __ au moment où je t’
__________ écris

________ ____ __hiver __tiré du glaive


Petit entretien avec Clara Regy

Tu es un très jeune auteur, peux-tu nous dire ce qui t’a conduit vers l’écriture et plus particulièrement vers la poésie ?

Le désir d’écrire est né d’une impossibilité : celle de dire le deuil du père. Il m’a semblé que la poésie était le format adéquat. Car au-delà d’exprimer, de raconter le conflit à travers une histoire, le poème m’a permis, si l’on peut dire, de trouver une voix de réconciliation.
Comment élever, sublimer un quotidien difficile, opérer une distance au réel sont autant de questions que mes premières lectures ont suscitées.
La Lettre à un jeune poète de Rilke a été un premier tournant dans mon processus d’écriture.
La poésie m’offre la possibilité de retrouver une foi et une certaine force vitale pour accepter que vivre est difficile, que les rares moments de volupté en font sa beauté et une raison de tenir le cap.

Quels sont les poètes ou autres artistes qui sont nécessaires à ton quotidien voire à ta vie ?

Un certain nombre d’artistes sont nécessaires à mon quotidien. Tout d’abord, les poètes « de l’intériorité » me touchent : parmi ceux qui m’ont marqué, il y a eu Charles Juliet, qui a été un révélateur sensible en raison de son histoire, du dépouillement et de la simplicité de son écriture univoque, mais non moins riche ; Roberto Juarroz, pour sa philosophie sur la mort, son exploration du néant, le double mouvement (haut/bas, bas/haut) de son écriture qui interroge l’éphémère et la contradiction des choses, et enfin Mathieu Bénézet qui a été un révélateur plus prégnant encore. Il l’a été par son approche avant-garde : une liberté dans le langage, un équilibre entre une forme désarticulée et un fond articulé autour de soi, sans vérité ni mensonge. Il est, à ce jour, pour moi, celui qui répond le mieux à ce que j’attends de la poésie : un style qui n’impose rien au lecteur ni ne le perd, une manière d’écrire qui trouve un pont entre un lyrisme sans facilité et un travail exigeant sur la langue .
Par-delà, des poètes comme Roger Munier, Pierre Reverdy, E. E. Cummings, Matthieu Gosztola ou Anise Koltz accompagnent également mon quotidien, tout comme certains textes d’Alain Suied, Paul Celan, Gérard Bocholier, Guillevic, Antoine Emaz ou Jean Pierre Siméon. En dehors de la poésie, le travail expérimental et singulier du dramaturge Claude Régy sur le silence, la solitude, la lenteur, « le désespoir comme forme de vie », qui invite le spectateur à se nourrir du vide, dans un voyage hypnotique, me touche. A ce propos, en tant qu’acteur, j’aimerais à terme pouvoir assembler poésie et théâtre par un travail qui associe celui de Claude Régy et celui des performeurs comme Charles Pennequin par exemple. Par mon travail d’acteur aussi, je me sers d’un texte ou d’un film pour travailler le traitement des mots ou de l’image : en quoi l’incarnation d’un personnage ou la présence d’une couleur, d’une lumière trouvent-ils leur source dans la poésie, bien que le projet de cette dernière soit antagoniste ou différent, comparé à celui de l’acteur, du metteur en scène ou du peintre ?
Pour en revenir aux auteurs, je découvre en ce moment Paul Auster et Maurice Blanchot qui ont écrit sur le moteur de l’écrivain, thème éminemment essentiel pour moi, dans le paysage de la littérature. J’aimerais aussi lire ou relire plus de romanciers et de philosophes comme Samuel Beckett, Fedor Dostoïevski, James Joyce, Vladimir Jankélévitch ou Emmanuel Lévinas. Par ailleurs, Pierre Soulages, en peinture, et sa lumière du noir, m’interpellent également. Enfin, la musique est très présente dans ma vie : rock progressif, musique classique et contemporaine, plus rarement jazz et rap.

Tu as été édité très récemment, qu’est-ce cela représente pour toi ?

C’est un événement marquant, les premières sont toujours particulières. Cela symbolise une naissance et le « résultat » d’un long travail. Mais la publication n’est selon moi ni une fin, ni un projet en soi. J’écris pour être lu, bien sûr. Néanmoins, mon objectif est d’être poète avant d’être reconnu. Il me semble important d’évoquer également le décalage existant entre la critique et le travail de l’écrivain, qui, à mon sens, consiste à ne pas avoir de jugement sur la vie, les autres… D’où la question suivante : comment prendre ses distances vis-à-vis de cela, en quoi la critique nourrit-elle la sincérité et la générosité du poète vis-à-vis de lui-même et de son prochain, et ce pour ne jamais cesser d’écrire ?

As-tu d’ores et déjà des rituels d’écriture ? Y-a-t-il des événements, des moments, qui déclenchent cette « nécessité », ainsi que tu la nommes ?

Le mot rituel est peut être un peu fort. Néanmoins, cette nécessité se déclenche lors de mes lectures : les bons poètes — ou du moins ceux que je considère comme tels — écrivent pour moi et par là-même un transfert s’opère. La musique, elle, vient préciser certaines images. Il y a d’ailleurs des morceaux que j’écoute en boucle durant l’écriture. Cela se rapproche du rituel, n’est-ce pas ? D’autre part, ce n’est plus vraiment le cas en ce moment, mais la nuit a longtemps été propice à cette nécessité. Enfin, et c’est là le point le plus important, la nécessité trouve son origine dans le sentiment d’impuissance que j’éprouve régulièrement. Cela m’amène à partir du présent et à le prendre comme fil conducteur. Cela m’amène également à toujours plus de vulnérabilité, d’incertitude, de no control sur le monde et les êtres. Je pense que la poésie ne sauvera pas le monde, elle l’éclairera : les poètes ne sont pas des prophètes, juste des passeurs.

Si tu devais définir la poésie en trois mots, quels seraient-ils ?

Je crois que définir la poésie est chose vaine tant il existe de voix singulières et différentes pour l’exprimer. Je peux, cependant, brièvement vous donner les trois souffles qui font mes poèmes : sincérité, vie et parole. La sincérité est un peu le pilier de mon écriture : ni mensonge, ni vérité à part la mienne. Je convoque mes émotions à travers mes propres images. La vie est un élément central, l’origine de l’acte d’écrire est peut-être le plus difficile.
Reiner Maria Rilke en parle très bien dans sa Lettre à un jeune poète. Je crois que la vie est bien supérieure au mot culture et à tout ce qu’il recouvre. Ce que me fait le chant d’un oiseau, une poignée de main, l’odeur et la vue d’une anémone, le regard d’un chien… cela dépasse pour moi ce que pourrait m’évoquer une œuvre quelle qu’elle soit. Et la parole est une synthèse de tout cela. La musicalité, le rythme dans la forme se précise avec l’expérience que je fais, de l’intériorité et des sens que me procure le quotidien.


Damien Paisant est né en 1984. Il a démarré un travail autour du deuil en 2016.
Plusieurs de ses poèmes sont publiés dans des revues comme Recours au poème, Traction Brabant, A l’index, Arpa ou Comme en Poésie entres autres.
D’autre part, est né Absent Présent, son premier recueil, aux Editions Abordo.
Il est par ailleurs comédien.

Son actualité poétique et artistique :
www.damienpaisant.fr

Bibliographie

  • Absent Présent (extraits), A l’index, Traction Brabant, Traversées, Phoenix, Recours au Poème, Nouveaux Délits, Comme en Poésie, Filigranes, Poésie Première, 17 secondes, Lichen (revues & blogs), 2016-2017.
  • Absent Présent (recueil), Editions Abordo, 2017.
  • Par ici (deuil in progress) (extraits), Cahiers de Poésie, L’Ours Blanc, Infusion, Lichen (revues & blogs), 2017.
  • Eclats-Révolte (extraits), Revue Arpa, 2017-2018.
  • Fusion (extrait), Revue Ecrit(s) du Nord, 2018.

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