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France Burghelle Rey

lundi 14 janvier 2013, par Cécile Guivarch

extraits de Mains

Le tremblement de ta main
______________quand tu m’as tendu la rose des sables

Pourquoi émue me suis-je réfugiée sous le lilas ?
Pour retrouver sans doute le chant des rondes d’enfants

Ton regard bleu
______________qui m’a suivi de loin
et la courbe arc-en-ciel
______________de l’adieu de ton bras

Je suis partie en larmes
serrant cette fleur de pierre



Peser de mon poids ? jamais je n’ai osé imposer mes mains même pour soigner

Je suis celui qui s’efface mais se croit parfait comme le nuage qui laisse au ciel sa place

Oh ! ma crainte quand je cherche le bleu et que dans sa colère la terre avale mes couleurs !



Pour Evan

Forte est ta vie et mains alors tendues de ta mère depuis ton premier souffle

Dors en ce temps qui est le nôtre

Tu vis déjà sous nos regards au travers de nos larmes



Refus aujourd’hui de dormir tu regardes tes mains qui sont encore utiles

Creuser pour ne plus être seul tu te fais un passage

Même si tu vis aveugle



Statue sans mains aux lèvres closes j’habite une maison vide

De moi-même je bute contre les pierres des chemins et boite

Perdu dans des passages obscurs




Mini entretien par Cécile Guivarch

D’où vient l’écriture pour toi ?
Je suis née à la poésie certainement grâce aux mots aimés et appris à l’école primaire, aux prix de vocabulaire, et à ceux d’écriture. Dans ma graphie d’’enfant, avec mes collections de stylos, balbutiait déjà la recherche de la beauté.
Ces mots plus tard seront ceux des langues latines et grecques. Après leur apprentissage parfois ingrat, celles-ci mèneront, à un âge plus mûr, aux joies de la traduction. Et, aux concours de l’enseignement, choisissant par passion la version grecque, j’aurai, par hasard, à chaque fois comme sujet la poésie.
Mon enfance, ma jeunesse se sont rappelés à moi plus j’ai fait travailler ma mémoire, au détriment, sans doute, de l’ellipse et de la concision qui, dans mes premiers recueils, ont défini mon idéal d’écriture, et ont permis, par la suite, la rédaction des douzains plus prolixes du Chant de l’enfance, publié en partie en revues mais, à ce jour, inédit.

Puis la musique liée à l’émotion s’est traduite dans l’écriture de versets et cela fait deux ans que je n’arrive pas écrire autrement.

L’émotion, justement, est authentiquement autobiographique et a baigné ma vie au point qu’elle inhibait sans doute l’écriture et que je ne suis entrée que tardivement à la poésie mais avec « ravissement » comme l’a dit, à son propos, Robert Walser.

Dans mon premier recueil Lyre en double, la présence de certains éléments, de certains mots prouve l’importance de l’enfance et de l’émotion déjà ressentie : le lilas, l’arbre de ma grand-mère et ma fleur préférée qu’on peut retrouver dans Le Chant de l’enfance, cette rose des sables aussi, cadeau faite à ma mère par un cousin à son retour du Sahara, qui est posée, depuis que j’ai parlé d’elle, sur mon bureau, en Bourgogne.
A l’origine de l’écriture, je vois également, comme essentiel, le deuil. Mais il faut aller beaucoup plus loin que le sens propre du mot « deuil » et parler davantage de la « perte ». C’est dans le livre de Martine Broda L’Amour du Nom qu’on trouve la meilleure analyse de ce thème. Plutôt que celle du « moi », le lyrisme pose, d’après elle, la question du désir mais le poème « toujours marié à quelqu’un », comme l’a dit René Char, ne s’adresse pas à des objets d’amour empiriques ou biographiques mais à l’Autre, figure de la perte sans objet perdu, pur manque d’où procède justement tout désir. Et, dès Lyre en double, mon travail poétique est imprégné de ce manque. J’y ai écrit par exemple :

" L’arc-en-ciel s’est courbé /
pour saluer ton départ /…
Cimetière sous mes bouquets /… J’ai longé les caveaux…« Lionel Ray confirme cette idée dans L’atelier des poèmes qui suit Syllabes de sable quand il conclut, après avoir parlé du » tu « et du » toi « quasi systématiques dans l’œuvre de Paul Celan » et de l’écoute, propre au lyrisme d’un « interlocuteur absent », en disant « Le poème ne dit rien d’autre que l’irréparable, l’ineffaçable perte  ».
Et il s’agit bien, en définitive, d’un rapport du poème à l’amour impossible. Le deuil, autobiographiquement ancien, serait dépassé et on aurait bien plus exactement, pour reprendre, à propos de ce qu’elle appelle le haut lyrisme, une définition de Jacqueline Risset, en germe dans Lyre en double et exprimée encore dans mes versets en cours, « une perte avec laquelle ( le lyrisme ) se tient dans un rapport d’horreur et de joie  ». Une perte qui dépasse le sujet lui-même, qui est bien le problème essentiel de la condition humaine.
Et je dirai, pour conclure, que ce deuil permanent est certainement associé à la résilience que favorisent les mots.
Ainsi ai-je écrit dans Le Bûcher du phénix :
« Je suis sidéré par le marbre de l’amour des mots / Quand ma langue – ma mère me parle mon bleu devient de l’or » avec, dans ce dernier vers, les couleurs du symbolisme qui ont marqué ma jeunesse étudiante.

Comment travailles-tu tes écrits ?

J’écris spontanément en vers pairs mais cherche à les faire boiter, à introduire l’impair sans le craindre car si la perfection est le « seuil » rassurant, « l’imperfection est une cime », comme nous le dit Yves Bonnefoy.
En même temps que je malmène le mètre, je m’efforce de casser la syntaxe et aimerais aussi trouver un nouveau langage, sans oser m’abandonner trop aux mots avec lesquels j’entretiens un rapport de facilité.

J’ai entendu un jour Guy Goffette dire à France Culture : « le vers m’est donné »- rappelons que Paul Valéry a écrit : « Les dieux donnent le premier vers  » - et j’ai compris que c’était mon cas car j’écris souvent d’un seul jet mais, forte de l’idée que seule la modestie fait progresser, je remodèle mes textes à la recherche de leur structure et de leur rythme propres, à la recherche également de chaque mot le plus juste possible. Forte de l’idée aussi que peut se tarir la source de l’inspiration. Ainsi lorsque se passent quelques jours où je ne produis pas, je m’inquiète aussitôt et essaie de continuer à trouver au moins le temps de lire des extraits de recueils ou d’anthologies.

La devise que j’ai mise en tête de mon blog « de la musique avant toute chose », bien que rebattue, n’en est pas moins essentielle. Tard dans ma vie je me suis découverte musicienne quand, dans le rythme de la marche - si importante pour beaucoup de poètes comme André du Bouchet, Robert Marteau - en traversant le bois de Vincennes pour aller travailler, je composais des textes que j’associais spontanément, de façon synesthésique, à un air.
Je rappellerai, enfin, à propos de la magie de l’inspiration, l’expérience de Rilke qui écrit sa première Elégie « sans aucune intervention de sa part ». Et ce phénomène, comme bien des poètes certainement, je l’ai souvent éprouvé.

Quelle est ta bibliothèque idéale ?
Ma dette envers les poètes contemporains, par conséquent, est immense. Ils sont, après Mallarmé, Apollinaire, Eluard et d’autres maîtres encore, les chefs d’orchestre, qui plus que le « la », m’ont donné toute la musique. Celle qui couvait en moi depuis longtemps inhibée s’est enfin mise, grâce à eux, à jouer.

Tous les auteurs que j’ai lus, dans un fébrile butinage qu’on pourrait me reprocher, ont souvent été pour moi des modèles mais leurs mots ont fait naître les miens et peut-on me reprocher d’avoir été, et d’être toujours à ce point, une goûte-à-tout ? L’émotion suscitée par la lecture de poèmes me met comme en état de grâce. Je crée, ai-je écrit « sous la dictée d’un ange ».

J’aspire à un dialogue avec tous les poètes et, par exemple, pour parler de francophonie, avec ceux du Canada et du Liban.

La lecture des nouveaux lyriques français, Richard Rognet, Lorand Gaspar, André Velter et beaucoup d’autres m’ont inspiré le premier titre de ma trilogie, Lyre en double et c’est en découvrant Syllabes de sable de Lionel Ray que j’ai osé employer, après lui, le « tu » introduit par nos auteurs contemporains, en le systématisant par la nécessité du double qui est en moi.

Et ce matin, avant de répondre à cet entretien, j’ai encore relu un texte du magnifique André Laude.

France Burghelle Rey Poète et critique littéraire Prix national Blaise Cendrars
Née en 1952, je vis à Fontenay-sous-bois et, certifiée de Lettres Classiques, enseigne à Paris.
Marquée par l’œuvre et la personnalité de Jean Cocteau, j’ai fait ma maîtrise sur le Visible et l’Invisible dans son œuvre puis mon DEA sur la théorie moderne de la création.
Au début des années 70, mon frère, Philippe Burghelle-Vernet, a participé avec Gérard Pfister, qui en est toujours le directeur littéraire, à la fondation de la maison d’édition Arfuyen.
Ecrivaine de l’ombre, j’ai souvent repris l’étude et l’écriture mais sans jamais publier. Ainsi de 1997 à 2004 ai-je écrit trois romans et un recueil de nouvelles après avoir laissé en friche un certain nombre de poèmes et de chansons ( paroles et musique ).
La poésie semble bien mon mode privilégié d’expression car j’ai toujours recherché la concision et l’ellipse à la limite du silence. Mais le besoin impératif de musique, règle d’or, à mon sens, de l’émotion poétique, explique la rédaction récente de douzains sur l’enfance puis de versets en cours qui tentent de chanter.
Elle représente aussi pour moi mise à distance et don à l’autre comme on peut l’entendre dans les titres de mes deux premiers recueils : Lyre en double (env. 70 textes) et Odyssée en double (30 textes) qui paraîtra dans son intégralité sous le titre Le Marcheur bouleversé (100 textes). Ils forment un triptyque avec : L’Un contre l’autre : Gegenüber (100 textes) qui a été salué notamment par Georges-Emmanuel Clancier, Anise Koltz, ( en finale du prix Max Pol-Fouchet ) Bernard Mazo, Yves di Manno ( Flammarion ) et les éditions Corti.
Je suis membre de l’Association des Amis de Jean Cocteau, de l’Association Hélices Poésie fondée en 1994 par Emmanuel Berland, du P.E.N. Club français, de la Nouvelle Pléiade.
son blog

Recueils :

  • Tentatives et cris ( inédit )
  • Odyssée en double, Encres Vives, coll. Encres Blanches, 2009
  • La Fiancée du silence, Encres vives, coll. Encres blanches, 2009
  • L’Un contre l’autre : Gegenüber, en finale nationale du prix Max-Pol Fouchet 2009 ( inédit )
  • Lyre en double, Interventions à haute voix, 2010
  • Le Marcheur bouleversé ( inédit )
  • Le Chant de l’enfance ( inédit) , Les Tesselles du jour ( inédit )
  • L’Orpailleur, Encres Vives, coll.Encres Blanches, 2010
  • Le Bûcher du Phénix, Encres Vives, coll. Encres blanches, 2010

Livres d’artistes :

  • L’Or de ma mémoire en collaboration avec le peintre Georges Badin ( mouvement Textruction), Livre pauvre, coll. Aboli bibelot, Daniel Leuwers, 2009
  • L’Or bleu et Tableaux du temps en collaboration avec Georges Badin, collection Mémoires, Eric Coisel, éditeur, 2010, A cette distance des reflets, en collaboration avec Max Partezana, 2011.

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