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Poésie d’aujourd’hui

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Florence Noël

samedi 19 juillet 2014, par Cécile Guivarch

Extraits de Fourbure

les champs – vus de la route -
damassés de labours de
semis raz d’éclats jade
de quenottes de bourbiers
délités d’eau car les humeurs
y percolent
alliance de densité
entre ce ciel lourd et cette bombance
spongieuse du sol
si collante au regard
que les yeux pataugent
sans faim

car l’on regrette soudain le mouvement de naître là
ébruités, l’eau nous disperse
la capuche rabattue sur la joue
les bourrasques nous enseignent le large
ses promesses d’îles sans froidures
et sans cette tendresse quand vient l’adieu aux givres
tout nous dit de partir sauf la terre qui s’offusque
qu’on brise la patience due à son percement

l’on dit que ce sang
c’est la pourpre de la chair en devenir
je réponds qu’il n’en est rien
je m’écoule chaque mois longuement
sans chair et sans devenir
le corps percé d’un fleuve
charriant le secret millénaire
des Eves

closes ces lèvres basses
sur le champ carmin d’une bataille
sans cadavre
lutte sanglante dans un vase
qu’on cache sous ses jupes

ils disent impurs – ne le disent plus –
le pensent : rien à combattre
c’est là l’immense liberté des hommes
donner, ne rien porter
et méconnaître les déchets
de la mécanique du désir

l’hiver patiemment désosse la chair du vif
ne laisse que
la nervure pacifiée

ne lace que
la fragilité

où nous nous retenons
de disparaître totalement,

par-dessous les saisons


Mini entretien avec Clara Regy

D’où vient l’écriture pour toi ?

Quand on parle des origines, on touche toujours à quelque chose de complexe qui dépasse les notions de temps ou de lieu. L’écriture vient de toujours chez moi, et de partout, comme issue d’une forme ambiante de transmission. Ma mère écrivait pour elle-même, puis cessa, puis repris, puis cessa à nouveau. L’éveil vient de là. Mais toute question sur l’origine touche à celles du mythe et de l’archétype. En moi, l’écriture nidifie, dans mon corps. Derrière la question de l’écriture, il y a ces récits premiers (vrais, fictifs, rêvés) qui traversent nos enfances, les tramages implicites, les émerveillements ou les désolations. Chercher à savoir d’où vient l’écriture, c’est comme analyser la mécanique de l’amour. Le jour où l’on parvient à dire pourquoi on aime quelqu’un finalement, on pose la clôture qui nie l’essence même de l’amour : son indicible, son éternité, son insondable, sa nature éminemment libre, changeante et renouvelable. Il m’apparaît que l’écriture n’est qu’une des formes que prend l’amour en moi.

Comment travailles-tu tes écrits ?

Dans la patience et la sédimentation. Comme l’eau de source est issue d’un long et souterrain chemin au travers de roches, de sables, a été purifiée par une descente aux aveugles et mutiques tréfonds et a puisé son jaillissement dans des pressions telluriques, de même je suis une scribe de ces atermoiements. Je ne suis pas extrêmement prolifique En plus je déteste me répéter. Je trouve déshonorant d’user de recettes et d’écrire ainsi au kilomètre. Mais je crois que chaque source a son chant. Trouver un chant, un rythme, une pulsation donne lieu à un texte, un ensemble. (en Belgique nous avons un mot pour ces rivières qui courent dessous le sol : des chantoirs) Je travaille sur l’intime vérité. Une alliance entre ressenti et ouverture. Je travaille sur l’empathie, l’épiphanie. Et donc, c’est d’abord un travail sur ma personne-même. Pour « Fourbures », j’ai foré la blessure, j’ai cherché à en extraire le sens ainsi que le non-sens de nos souffrances même relatives. Après, je retravaille sur le son, le balancé, le rythme, l’oralité, la lisibilité, la justesse. Je me sens servante du verbe.

Quelle part occupe la poésie pour toi au quotidien ?

Comme je le suggérais ci-dessus, la poésie précède l’écrit. En ce sens, en être séparé, c’est une souffrance. L’éloignement d’un objet aimé et essentiel à l’expression de ce qui rend mon regard ou mon agir ou la course du monde belle et articulable pour mon entendement. Sans cela, éloignée de cela, quelque chose dépérit réellement en moi. Je la trouve donc dans le monde, par la contemplation principalement. Et dans divers écrits. De poésie, que j’achète, lis, sur divers supports ou écoute. Mais aussi et très souvent d’ailleurs, dans la prose lorsque l’auteur écrit réellement de la littérature. J’aime la partager, créer des synergies, la découvrir, la déguster, révéler l’humain derrière, la ré-incarner. Et la faire se répondre à des œuvres plastiques ou esthétiques qui sont une autre forme de poésie. De là l’envie de faire vivre la revue littéraire et artistique DiptYque.

Quelle est ou quelle serait ta bibliothèque idéale ?

Celle où chaque heure de lecture serait une éternité. Peuplée d’êtres de chair, évidemment. Et dont le catalogue n’aurait aucune limite à ma curiosité. Un endroit beau comme l’amour. Et dans un coin, un espace pour y écrire.

Quels sont les trois mots que tu associerais le plus volontiers à celui de « poésie » ?

entrailles
chant
éveil


Née en 1973, à Ciney, en Belgique entre les vallées verdoyantes, les prés, les champs, les bois et les pâturages. Ecrit de la poésie depuis que les actes de lire et d’écrire se sont intriqués dans son corps. A animé des ateliers d’écriture pour des adultes et des adolescents, ainsi que sur des sites de poésie, fait partie de comités de lecture d’écrits-vains, de Francopolis, participé à des recueils de nouvelles ou de poésie, sur papier ou en ligne (Gros Texte, Pas d’ici pas d’ailleurs, D’ici là, Incertain Regard, Pages blanches, Microbe, Inédit nouveau, Nouveaux délits, Le Spantole, écrits-vains, Francopolis, pleut-il, …) Est l’animatrice et l’éditrice de la revue littéraire et artistique papier DiptYque à l’élégant format carré qui compte à ce jour une centaine de collaborateurs.

Blog : http://pantarei.hautetfort.com/
http://diptyque.wordpress.com/


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