_______________Soleil d’automne. N’a plus la foi
aoûtienne. A gagné en tolérance, humilité… Parce qu’il
est loin. _ Loin aussi la mort ce matin. Frisson glacé au
creux du dos : simple sueur. _ Sur un bout de papier tu
notes -ce -frêle -instant. - Trois -minutes -d’éternité…
_______---___Il faisait une petite sensation d’arrêt du
temps ce matin. Réaction -stupide puisque le promeneur
retrouvait -un paysage -auparavant connu - : -mélancolie,
usure des années eussent -mieux convenu. -Mais il faisait
tendrement frais ce matin (la chaleur donne rarement une
impression d’éternité), -le paysage n’avait pas changé, -si
bien - que - toutes - ces - années - passées -(perdues) - ne
provoquaient ni nostalgie ni affliction. Le promeneur nota
cela -avant de- retrouver- la continuité des heures- et des
automobiles sur l’autoroute.
__________________ Jour faible. Avec quoi l’aider ? Il ne se
soulève -pas -comme -le -rideau- du- théâtre- par- la- grâce- d’un
bouton.- Dans- une- heure- ?- Deux- heures- ?- Il- ne- sera- pas
plus- en- jambes.- Il- pèse- sur- nous- comme- un- vieux- chagrin
inconsolé. Ne va pas mourir. Pire. Ne nous aidera pas à y voir clair.
__________La plage me donne toujours l’impression
d’un endroit où le temps -s’interrompt. -« Une plage de
temps ». Conditions : peu de monde, été décadent, soleil
supportable. Ca et là corps immobiles ne suscitant qu’un
désir… vague. -On sent que c’est la fin. -Des beaux jours,
des congés, -de l’insouciance- (apparente). -Pour expier
cette illusion d’éternité, la mer est froide. Très froide. Je
jouis- du- bonheur -de -n’engager- la conversation avec
personne. -Demain, -il- fait- même- encore -beau.
_____________Le ventre de l’avion s’éclaire dans la
lumière. -Blanc. -Comme celui des requins. Le ciel est-il
un aquarium ? Ses squales nagent sans escale d’un bout à
l’autre du -champ de vision. -Sans plus -de bruit -que les
monstres aux ailerons. Sans le moindre coup de nageoire
non- plus. -Quelle- vitre- nous -protège du ciel ?
__________Soir du jardin. Grand couvercle sur les
choses. Jamais vu aussi pas de vent. Peu bon signe. Je
m’oppresse avec déliquescence. -Mon chat ramène un
lézard mort. Vanitas vanitatum. -Tu te couvriras bien
pendant l’orage.
_____________Y a-t-il des aubes chaudes ? Pas assez
voyagé pour le savoir. Ici, froides. Douloureuses. Comme
un coup sur le visage. -Qui passe par toutes les nuances de
l’ecchymose. Devient bleu. -Ce bleu glacé qu’ont les vitres
quand on les touche. -Pour estomper le givre et la buée.
Entretien avec Clara Regy
« L’écriture » est chez toi depuis longtemps. Te souviens-tu du moment où tu t’es senti « poète » pour la première fois ? As-tu une tendresse particulière pour l’un de tes textes ?
Certes, l’écriture vient de loin : « tout gosse », comme on dit, j’adorais ça. Le vrai déclic est venu plus tard, en classe de philo à l’époque, lorsque j’ai fait un exposé sur le surréalisme. Là, j’ai su que j’avais envie et besoin d’écrire « sérieusement ». Cela étant, je rêvais plus d’être « écrivain » que spécifiquement « poète ». Je voulais écrire de tout, des vers, de la prose, du théâtre (je ne m’y mets que maintenant), etc. Diverses choses ont fait que je ne me suis senti à l’aise que dans la poésie, plus particulièrement (grâce à Michaux et Ponge, entre autres) dans le poème en prose, qui me permettait de résoudre (mal) mes contradictions entre le « raconteur » inaccompli, et le poète.
Je n’aime pas relire mes textes parus en livres. Pourtant, je n’en renie aucun. Il m’est arrivé dans mon dernier livre (« Que n’ai-je » chez Tarabuste) de reprendre certains textes publiés dans les ouvrages hélas épuisés du Dé bleu, parce que je m’en sentais toujours très proche.
Sinon, j’ai de la tendresse (?) pour mes « enfants difficiles », je veux dire les poèmes que j’ai mis des années à terminer, à reprendre, à refaire. Et à part ça, il y a un poème (paru il y a de nombreuses années dans la revue « Poésie présente » de René Rougerie) qui exprime mes sentiments ambivalents vis-à-vis de la poésie :
Comme tous ceux qui tournent autour de cette pauvre fille appelée « poésie », je n’ai jamais cherché à savoir qui elle était. Je l’ai haïe, dénigrée, vilipendée : elle m’a fait honte avec sa robe de quatre sous qui n’attire que les chiens. De plus chatoyantes compagnes j’ai rêvé. Mais toujours elle fut là au bord du chemin avec sa gourde pour la soif et la fièvre, son chapelet de clés dont certaines, paraît-il, ouvriraient les portes des prisons. Et il m’en a fallu des doutes et des détours pour m’apercevoir qu’au bout de la route elle était la plus belle, dénudée, et la seule que j’ai aimée.
Peux-tu vivre un jour sans écrire ?
« Nulla dies sine linea » ? (Pour reprendre la formule héritée de ce bon vieux Pline l’ancien.)
En fait, je passe des tas de jours sans écrire (écriture « créative », s’entend), pour des raisons pratiques (des tas d’autres choses « à faire ») et parce que ça m’emmerderait énormément « d’écrire » tous les jours. Certes, si je voulais pondre « Guerre et paix », il me faudrait m’y mettre sans doute un peu chaque matin. Mais Dieu (ou ce qu’on voudra) ne m’a pas donné hélas de talents de romancier. Alors, j’aime (et redoute) le dilettantisme de la poésie, les intermittences de « l’inspiration ». La discipline et l’effort ne sont pas mon truc. Ecrire doit rester un plaisir, un désir (toujours un peu reporté), pas une obsession.
Toutes tes activités, y compris ton rôle au sein de la Maison de la Poésie de Poitiers (dont j’aimerais bien que tu parles d’ailleurs, si tu veux bien) t’en laissent-elles vraiment le temps ?
Je fais beaucoup (trop) de choses qui me prennent 90% de mon temps, et la maison de la poésie compte bien pour 75%. Elle est partie d’un malentendu, d’une erreur, et je n’en étais pas partisan, sachant qu’il n’y avait aucune volonté culturelle de la municipalité pour une telle existence, et que donc nous n’aurions jamais un lieu, un budget, une activité comparables aux maisons de Nantes, Rennes, Grenoble, etc. Malgré tout (envers et contre tout, plus exactement), le projet a persévéré, nous avons été longtemps nomades, nous sommes toujours une petite équipe de 5 personnes, tous bénévoles (notre budget tourne à moins de 9000 euros par an ! Pas d’argent pour créer des postes de secrétariat, ou organiser des résidences, ou avoir une belle « maison » rien qu’à nous… Tout cela est expliqué dans la plaquette anniversaire 2006-2016 que l’on peut trouver sur notre site internet).
Ces regrets et frustrations étant formulés, nous avons bien travaillé (et je ne suis pas d’un naturel porté sur le contentement !) : 44 poètes français invités, 54 poètes étrangers (de 24 pays différents) de début 2006 à fin 2015, hommages aux grands poètes morts, partage de la poésie avec tous les publics par des lectures « à thème » ou non, en des lieux divers et variés, et en collaboration avec des associations de toute nature. Nos manifestations sont suivies d’un repas convivial avec les invités et les spectateurs/auditeurs qui désirent rester, ce qui accroît notre réputation (justifiée) de convivialité.
Mais pour en revenir au temps, oui ça me bouffe souvent le temps que j’aimerais consacrer à l’écriture (et je ne dis rien des heures passées aux dossiers administratifs !), mais, comme je l’ai signalé dans la question précédente, je n’aimerais pas avoir 100% de mon temps à écrire. Et puis faire découvrir à des gens « qui n’y connaissaient rien » que des poètes d’aujourd’hui peuvent leur parler, les toucher, est une grande satisfaction.
As-tu ce que l’on pourrait nommer des « rituels » d’écriture ?
Pas vraiment. Ce qui compte est que j’aie du temps devant moi, de la disponibilité d’esprit, et « l’envie de m’y mettre ». A 80%, j’écris, je note (premier jet – à la main, donc) la poésie dehors, dans mon jardin (face au soir, au ciel, ou au matin) ou lors d’une balade solitaire (autrefois avec mon chien) dans la campagne, ou la nature (quelle qu’elle soit – même en ville). Après, tout de suite, je transcris ce « premier jet » sur la machine à écrire (aujourd’hui, l’ordinateur).
Pour tout autre type d’écriture (nouvelle, théâtre, etc.), je me mets directement derrière l’ordinateur. Solitude, silence. Pas de musique, juste le staccato de mes doigts sur le clavier.
Quels auteurs (poètes ou autres) peuplent ton quotidien ?
Il y en a (il y en a eu) beaucoup. Baudelaire, qui n’est pas un grand poète novateur en forme, à l’inverse d’un Rimbaud, mais qui (on sent rend compte avec l’âge) brasse une telle angoisse d’humanité dans ses textes. Je garde aussi toujours une immense tendresse pour Reverdy et Apollinaire (qui savait écrire comme Verlaine et comme le plus moderne des modernes).
Mais il y en a des tas d’autres. J’aime aussi beaucoup découvrir des choses nouvelles, être surpris. Souvent, j’aime des passages dans des livres d’écrivains que par ailleurs je prise moyennement : c’est le cas dans Vol de nuit de Saint-Exupéry, quand l’aviateur Fabien, à cours d’essence, est perdu la nuit dans la tempête, mais monte vers un trou de ciel immaculé au milieu des étoiles. Ce passage m’émeut toujours aux larmes. Dans Le passage aussi de Jean Reverzy (romancier trop méconnu), quand Palabaud apprend qu’il « a un gros foie », comprend qu’il va mourir, et erre dans Papeete « comme un enfant giflé loin de sa mère ».
Mais mon auteur « de chevet », même si je ne le relis pas tous les jours, c’est Pascal.
Et pour terminer quels mots te semblent les mieux choisis pour nous confier ce qu’est la poésie pour toi ?
Je ne suis pas trop un « mystique » de la poésie, je veux dire un de ceux qui pensent et disent que la poésie éclairera toujours le monde, qu’on en aura toujours besoin, que les poètes continueront à être des « phares », etc. « L’économie de marché » qui règne aujourd’hui sur le monde (et sur le monde des lettres aussi, hélas) n’a pas besoin de la poésie. Sa marginalisation de plus en plus grande m’inquiète beaucoup : j’ai peur que nous entrions dans une époque effroyable pour la liberté et pour l’esprit.
Or la poésie a besoin d’exigence. Non « d’hermétisme » ou de niveau de culture, mais d’exigence créatrice. Dans un poème, chaque mot doit compter. Plus encore que dans tout autre art d’écriture, la place et le choix des mots sont capitaux. Définition possible (il y en a des milliers d’autres) : « la poésie devrait être un art du langage où chaque mot serait indispensable ». Et tout cela pour diffuser chez le lecteur ou l’auditeur une émotion, elle, ineffable…
Je n’aime pas les biographies. Résumons : né en 1947 à Montmoreau (Charente). A travaillé de 1975 à 2007 à la bibliothèque universitaire de Poitiers. Depuis fin 2005 président de la Maison de la Poésie de Poitiers. A commencé à vouloir écrire sérieusement dès 1965 (découverte du surréalisme). Puis influence de Ponge, Michaux, W.C. Williams, les objectivistes américains, etc. Trouve son expression (poème en prose) vers 1978 et rencontre à cette période François de Cornière, Louis Dubost, René Daillie, Georges L. Godeau, etc. Continue… (Passions autres que la poésie : le théâtre, le chocolat et la course automobile.)
Bibliographie
Théâtre :
- Je n’ai jamais pris l’autobus (Editions de l’Aiguille, 2014)
- D’Eux (Editions de l’Aiguille, à par. 2017)
Nouvelles :
De légers signes de la main (Atelier du gué, 1981)
Château fable (L’Escampette, 2011)
Poésie :
- Pour solde de tout conte (Le Dé bleu, 1981)
- En chemin (Solaire / Fédérop, 1985)
- Saisons sans réponse (Cheyne,1986 – Prix Roger Kowalski -Ville de Lyon 1986)
- Plus d’un âne s’appelle Martin (Verso, 1988)
- Le tour de la question (Le Dé bleu / Le Noroît, 1990)
- Laisser fondre lentement (Rougerie, 1994)
- Un ciel trop grand (Le Dé bleu, 1994 – Prix du Livre en Poitou-Charentes 1995)
- Raison garder (Le Dé bleu, 1999)
- Ciels de miel et d’ortie (Tarabuste, 2000 – Prix Louis Guillaume du poème en prose 2001)
- Carnet de têtes d’épingles (Carnets du dessert de lune, 2002)
- Ciels de miel et d’ortie II (Tarabuste, 2006)
- Le Beau rôle (Wigwam, 2009 )
- Tourner la page (L’Escampette, 2009)
- Tourner la page - traduction en arabe par Maram Al-Masri (Damas : Attakwin, 2011))
- Carnets de têtes d’épingles (réed. rev. et augm. - Carnets du Dessert de Lune, 2011)
- Ciels de miel et d’ortie I, II et III (réed rev. et augm. - Tarabuste, 2011)
- Rien ne sert de mourir (Gros textes, 2014)
- Tourner la page – trad. en espagnol par Cristina Madero (Mar del Plata : Editorial Martin, 2015)
- Que n’ai-je (Tarabuste, 2016)
* Participation par textes ou chroniques à une soixantaine de revues et d’anthologies.
* Traductions de textes en tchèque, arabe, anglais, espagnol, allemand, turc…
* Une plaquette réalisée en 2007 par le Centre du Livre et de la Lecture en Poitou-Charentes (visible sur www.calameo.com) Et une vidéo (2009) fimée par Les Yeux d’Izo (visible sur le site du Centre du livre en Poitou-Charentes (www.livre-poitoucharentes.org) et sur Daily motion.)
* Invitations aux Rencontres de Prague, aux Lectures Internationales de l’Hopkins Society en Irlande, au Festival International de poésie de Trois-Rivières (Québec), au Festival International Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée (Sète)…