Extraits de Les saveurs de l’herbe fraîche jamais coupée (inédit)
1.
J’ai tissé un pacte
avec le peuplier
à compte d’étoile
vie de poussière
où l’écume s’étire
entre les arbres morts
achevés
irrespect de l’homme paisible
dans la nature qui fait naufrage,les soupirs s’entassent
dans l’ombre convulsée
des paupières de sel,
les rivières cherchent l’air
une main dans la braise du vent
et lorsque je vois ce monde qui tourne
comme une éponge sale,
ma tête explose.
2.
Je ne veux pas prendre part
à la conquête de l’argent
du pétrole
de l’or
mais seulement de l’argile
qui se modèle sous les cicatrices
de nos doigts tendusj’écrase ma cigarette aride
dans le cendrier du temps
et la lune bédouine
rugit de douleurles nuages se sont défaits
sous la sécheresse des brouillards,
mes pensées pédalent en orbite
sous la crasse des plastiques,
formes pleines
maculées de boue
l’éthique s’égratigne
contre les parois de la terre
répudiées par l’aubele mucus de la menthe cherche un recoin où éclore
et dans le chaos ambulant
quadrillé du monde
j’absorbe le trajet volcanique
du thym.
3.
J’épelle l’eau
source après source
sous les échardes
des mers migraineuses,
là où chaque mot brûle
dans l’alphabet de l’écosystèmeles forêts pleurent les nappes phréatiques
qui tournent à videl’azur marche
vers les apartés verts
en proie à l’asthme
des sols potablesj’épelle l’eau
source après source
comme un verset
plein de soleil.
4.
Les grenouilles recyclent leurs songes
vers la marée haute
parée d’échasses
pour respirer vers le cielà quoi bon nager
dans la surface concentrique
des bords carrés
où les pensées s’entêtent
de buissons
tachés de folie.certains jours
tu ramasses l’espoir
à bout de souffle
tu le recouvres de douceur
avant de l’enfiler
dans des chapelets de nature
que tu presses
contre ton cœur.
5.
J’absorbe la mousse pressée
ma langue lape la sève des promesses
tisseuse de rires
dans le susurrement des pins
ma lampe s’effiloche
dans l’âme des linceulsquand l’humain prend le dessus
sur les bruissements des loups
coule le zéphyr dans les hameaux de brique
et regorge la paille dans les paillettes de l’airle courant des effluves dégarni
perd sa chevelure de satinun pied
pas à pas
dans l’océan,
se dégrafe.
6.
Peu importe ce que tu choisis de faire
ou d’être,
la nature te ramasse
mélange tes chemins
puis réveille l’humanité en toila rencontre de l’autre
ou de l’ailleurs
est à la portée
des saisonsla campagne brunit
dans les hélices
des éclairs
et
peu importe qui tu es,
on se retrouvera
au coin de l’avenue
quand les poudres de tes gestes
continueront de recouvrir
et de respecter
toute forme de vie.
7.
Même les fleurs
ont perdu l’âme des choses
l’eau se brise
sous les grognements intempestifs
des billets
-poignées de dollars-
à qui voudra recueillir
l’or bleu
des espaces à venirles pierres se perdent
dans les gorges sèches
paralysées dans le cielon entend les oiseaux
qui suffoquent
et on cherche la trace
des restes
pour en faire des chemins
et boire
l’automne
sous son ombre glacée.
8.
La banquise arctique
et celle du manteau neigeux
de l’hémisphère Nord
au printemps
continuent
de rétréciron perçoit les gémissements
rassasiés
et la pelouse noire
du crépuscule
où broient les incendiesl’énergie fossile
tourne à secles tsunamis
court-circuitent
la sagesse
en équilibre
du brin d’olivier.
9.
Je veux respirer l’amour
quiI
N
O
N
D
Enotre écosystème.
Entretien avec Clara Regy
Vous usez du même terme : « engagement » pour définir vos deux -comment dire- « professions », « passions », la médecine et l’écriture, pouvez-vous nous expliquer ce lien qui vous semble si évident ?
Pour moi, il existe un lien indéfectible entre ces deux engagements : l’humanité qui est mise au centre de la médecine ou de l’écriture. Par humanité, j’entends être humain. Placer l’être humain au sein de ces deux passions. En médecine, à travers l’empathie. Se mettre à la place de l’autre. En poésie, à travers son rapport au monde. Explorer ce qui anime l’être humain (émotions, sensations, sensibilité) mais aussi ce qui le caractérise dans son rapport à ce qui l’entoure.
Pour moi, tout l’espoir du monde réside en cela. En nous tous. Tant qu’il y aura de l’humanité, il y aura de l’espoir.Votre inspiration tient-elle du quotidien, de vos rencontres tout autant qu’à ce désir de nommer certains évènements, à venir, contre lesquels l’on se doit de réagir ?
Mon inspiration vient effectivement de plusieurs sources. Tout d’abord, j’ai un rituel poétique. Je commence chacune de mes journées en lisant quelques vers de poésie. Ainsi, ma journée s’annonce déjà radieuse et mon cœur est rempli de beauté dès le matin.
J’essaie d’être attentive aux choses qui m’entourent. Que ce soit la nature ou les gens. Comme dit Jean-Pierre Siméon, la poésie est un état d’être au monde. Il ne s’agit pas seulement de l’écriture. Ma grand-mère, qui s’arrêtait pour sentir les roses, caresser le basilic et respectait même les fourmis, était l’une des plus grandes poétesses du quotidien pour moi, même si elle ne lisait jamais de poésie. La poésie ne se lit pas seulement, elle se vit !
Par ailleurs, étant très active dans le « monde poétique », je participe régulièrement à des salons ou des festivals. Là aussi, je trouve que le mouvement poétique est très inspirant dans l’énergie de création collective dont j’aime faire partie. C’est ce que nous essayons de transmettre notamment avec notre association de poésie L’Appeau’Strophe, avec des amis artistes et poètes comme Niklovens Fransaint, Zacharia Sall et Aude Lasserre.
Enfin, la poésie est indissociable pour moi de l’engagement politique. Cet art doit être vivant et dénoncer. Savoir parler, défendre l’humanité et protester quand les lois fondamentales de l’être humain ne sont pas respectées. Je n’ai pas hésité, grâce à l’initiative de poétesses gang, à m’emparer de mes mots pour réagir contre l’extrême droite en France ou quand il a été question à un moment d’annuler l’invitation de la Palestine au Marché de la Poésie de Paris en 2025.Quels auteurs (poètes ou non) font vraiment partie de votre vie ?
Les auteurs qui m’inspirent et m’ont inspirée sont multiples.
Je dirais déjà Mahmoud Darwich, c’est grâce à lui que je suis tombée dans la poésie. Tombée car je ne m’y attendais pas. Ma mère m’avait offert son anthologie en me disant « je suis sûre que ça va te parler ». Je me souviens de ce bouleversement poétique qui m’a traversée. J’étais en classe de première, au CDI du lycée, j’ai récupéré le livre de mon sac et je me suis mise à le lire. Là, c’était l’explosion poétique en moi. Ce jour-là, j’ai su que la poésie ne me quitterait jamais.
Pour citer d’autres auteurs, je nommerai Etel Adnan et Andrée Chedid. Le rythme des mots, la sensualité, la beauté, mais aussi l’engagement qu’elles prônent. Je relis régulièrement leurs recueils comme une bible dont on ne se lasserait jamais.
Aussi et toujours, dont je ne me lasse jamais : François Cheng, Christian Bobin et Jean-Pierre Siméon qui ont atteint l’état de grâce poétique pour moi.
Il y aussi le romancier Laurent Gaudé, dont je dévore chaque ouvrage dès qu’il sort. L’humanité qu’il transmet dans ses lignes me touche profondément.
Sinon, j’aime beaucoup découvrir la poésie contemporaine, notamment des poétesses et poètes que je rencontre lors des festivals et des salons. Leur poésie adoucit vraiment mon quotidien. Je partage d’ailleurs les découvertes poétiques sur mes réseaux sociaux (instagram et facebook).Et enfin la question subsidiaire : si vous deviez définir la poésie en 3 mots quels seraient-ils ?
Beauté, Engagement, Partage
Peintre, romancière et poétesse franco-syrienne, Nour CADOUR est née en 1990 en France. Elle exerce également en tant que médecin. Engagée dans la poésie, elle remporte la mention spéciale du jury du concours international de Poésie en Liberté en 2014 dans la catégorie « étudiants de France » et devient membre du jury pour eux. Elle a co-créé avec de jeunes poètes montpelliérains l’association de poésie « L’Appeau’Strophe » qui vise à promouvoir la poésie et la rendre accessible à tous. Un des objectifs de la compagnie L’Appeau’Strophe est de mettre sur scène la poésie en l’associant à d’autres arts (musique, danse contemporaine).
Son premier roman L’âme du luthier est publié chez Hello Éditions en février 2022 et est finaliste du prix du livre Europe et Méditerranée 2023. Son premier recueil de poèmes Larmes de lune est publié chez L’Appeau’Strophe Éditions en septembre 2022 (prix de la fondation Saint-John Perse, 2022 et prix Jacques Raphaël-Leygues de la société des Poètes Français en 2021). Un second recueil Le silence pour son est paru en janvier 2023 aux éditions L’échappée belle (finaliste du prix Fetkann Maryse Condé). En décembre 2023, Le bleu de la mer s’est enfui, paraît aux éditions Les Carnets du dessert de lune et fait partie des recueils finalistes du prix Le Bellovidère. En février 2024, un premier recueil de nouvelles paraît Nos doigts noués entre deux cils éditions L’échappée belle.
Sa poésie aime tourner et se faire entendre lors de festivals de poésie notamment, souvent accompagnée par des musiciens et des danseurs contemporains avec qui elle développe des projets réguliers de création. Leur dernier projet de création « Larmes de lune » peut être visualisé via le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=a29v14jMNcISite internet : https://www.nourcadour.com/
Bibliographie
Roman publié
- L’âme du luthier, Hello Éditions, Janvier 2022, finaliste du prix du livre Européen et Méditerranéen 2023
Recueil de poèmes
- Recette de renaissance, L’Appeau’Strophe, mai 2024, poésie de Nour Cadour et dessins de Camille Ly,
- La grâce du geste, L’Appeau’Strophe, mars 2024, poésie de Nour Cadour et photos de Mélanie Challe,
- Le bleu de la mer s’est enfui, Les Carnets du Dessert de lune, décembre 2023
- Le silence pour son, L’échappée belle éditions, janvier 2023, finaliste du prix Fetkann Maryse Condé 2023
- Deux arbres dansent, Éditions Papiers Coupés (livre d’artiste), décembre 2022
- Larmes de lune, Éditions L’Appeau’Strophe, septembre 2022,
- prix de la fondation Saint-John Perse, 2022
- prix Jacques Raphaël-Leygues de la société des Poètes Français en 2021
- lauréat du prix « Nouvelles voix d’ici » de la maison de la Poésie Jean Joubert à Montpellier
- finaliste du concours Poètes sans Frontières, 2022Nouvelles
- Nos doigts noués entre deux ciels, recueil de nouvelles, L’échappée belle éditions, janvier 2024
- La toile, nouvelle finaliste du Prix Hemingway, 2020