Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Jean-Pierre Bars

mercredi 30 septembre 2015, par Cécile Guivarch

La première image vient
comme d´elle même
souffle qui porte
un souvenir
une pensée
un sentiment.

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Trace de toi
je ne sais quand
espace ouvert
lumière intime
lieu de terre
et de vent.

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Mes yeux se prennent
et se déprennent
de la matière
comme si s’effaçaient
les distances
entre la plénitude et moi
mais sans raison.

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Passage
je me détache
de la manne
de l’instant.

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Métamorphose.
Douceur
même quand les mots,
les sons, les rythmes
les phrases
semblent agités,
abrupts,
incohérents.

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Tout attise
et retient
l’attention
sur plus de sens.

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Le monde devient poudre
l’espace devient grand.
la terre résout
à rien le temps.

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Bris de l’eau
sur la tempe des vagues
l’eau retient
sa force déclinante
se déchire
meurt en poudroiement.

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J’entends chuinter l’écume
qui se brise,
sans fin ni
commencement.
Geste de l’eau
une et première,
lumière bue
de vent.

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La profondeur
et l’ineffable
meurent en naissant.

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Arche dansante
paroles pleines
qui parlent au vent,
silhouettes flâneuses
pierres blanches
arcs, voûtes, lignes
architecture tendue
fables de la nuit.

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Les sons remontent
comme les truites le torrent
lieu d’une ponte
insolite genèse
de vives de présences
brumes blanches.

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La brume est l’eau,
le ciel.
L’ombre la bleuit de douceur
de tâches effacées
de terre.

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Mes sens
teintés du gris de ciel
des collines pâles
de tâches d’une lumière douce
qui ne peut pas
n´être pas mienne.

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Source
à écouter
à saisir les syllabes
dans un éclat de matin.

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Chaque fois
autrement,
chaque fois une danse,
chaque fois
le silence
une plume d’enfant.


Bio-bibliographie

Je suis né en 1958. Pas vraiment doué pour l’école. J’exerce plusieurs métiers avant de me passionner pour l’art du mouvement (eurythmie). Pratique d’enseignement dans ce domaine une douzaine d’année. Pédagogue Steiner-Waldorf depuis trente ans. Étude universitaire à partir de 37 ans en Lettres modernes jusqu’au DEA. Long séjour en Suisse et en Allemagne. Je vis en Suisse romande depuis peu, professeur de collège Waldorf : Français, Histoire, Géo et autres... près de Lausanne.
La poésie comme activité intime et salutaire, comme saison, comme question, comme dialogue... comme expression de la part secrète, autre et transparente de mon ancrage dans la vie terrestre. La poésie comme recherche, comme chemin et rencontre...
Excepté un poème dans la revue Lélixire n.7, pas de publication papier. Poèmes en lignes dans les revues : Landes, Temporel, Une longue suite de courts poèmes à lire dans lestrompettesmarines, Incertain regard, Recours au Poème, Paysages écrits et Terre à ciel.


Mini-entretien avec Clara Régy

Quelle place pour l’écriture dans mon quotidien ?

Permets-moi de répondre d’abord un peu à côté de la plaque, ou disons, en guignant derrière ce qu’on nomme le quotidien. Ce qui se vit au jour le jour est chargé de tout ce qui a été vécu depuis la naissance et même avant jusqu’à aujourd’hui. Dans ce sens, la première apparition consciente de la nature magique du langage dans ma vie est liée à un souvenir d’enfance autour de neuf ans. La maitresse de classe récitait un poème, le petit garçon que j’étais écoutait et entendait un peu plus que le texte. Le poème parlait en lui et lui-même se disait, « c’est ça que je veux être », mais était-ce lui ou le poème qui parlait ? J’ai oublié le poème, mais je n’ai jamais oublié cette parole intérieure et je crois que c’est là que se trouve la racine de mon attachement au langage en général et à la poésie en particulier.
Plus tard, une autre expérience a eu lieu autour de 26/27 ans et a été déterminante pour l’écriture poétique que je travaille, si on peut appeler cela un travail. C’est la lecture d’un vers d’Yves Bonnefoy dans le recueil « Du mouvement et de l’immobilité de douve ». Je fus retenu dans ma lecture par ces mots « Il fallait que tu parusses aux limites sourdes, et d’un site funèbre où ta lumière empire, que tu subisses l’épreuve ». Là encore, j’ai eu l’impression que ces mots exprimaient ce que je me disais à moi-même. Ils touchaient à un sentiment profond, une sorte d’appel. C’est ce qui a fait de moi un lecteur de poésie, un chercheur dans le langage et cette quête, pour revenir à la question initiale, fait partie depuis quelques années maintenant de mon quotidien.

Et l’écriture ?

C’est venu peu à peu vers 30 ans, sporadiquement, un peu avant aussi, et c’est encore ainsi aujourd’hui. J’écris par intermittence, avec de longues pauses réflexives méditatives sur le langage, la vie, les facultés humaines... Mes saisons d’écriture sont l’automne et l’hiver. C’est pendant cette période de l’année que viennent les inspirations et cet état étrange où un dialogue s’instaure comme de soi-même avec le tout-venant des choses dehors et dedans, un calme aussi, intense, un état de la sensibilité, du sentiment et de la pensée qui tout à coup prennent une autre dimension. L’ordinaire dans ces moments-là devient sensible, se met à résonner comme quelqu’un. Pour le dire en bref, j’écris sous le coup de l’inspiration et elle ne vient qu’à certains moments de l’année. Il semble d’ailleurs que ce soit le cas aussi pour mes publications en ligne. Si je peux me permettre un soupçon de publicité, les lecteurs curieux peuvent lire cette année plusieurs de mes poèmes dans les revues Paysages écrits et Temporel de cet automne de même que dans Recours au Poème en novembre. Les textes dans la première ont été écrits un mois avant ceux que vous publiez ici, ils sont de la même veine.

Les rituels d’écriture ?

Non, je n’ai rien de ce genre. Il m’arrive d’écrire aussitôt après une lecture ou pendant, des images viennent en échos ou en transparence avec ce que je lis, des mouvements de phrases ou de mots, je note ici ou là avec ce que j’ai sous la main. Souvent, une image me vient « entre la table et la fenêtre » lorsque je me lève pour allez fumer dehors. Mais ça n’a rien à voir avec un rituel. C’est comme ça, si l’image ne vient pas, je n’écris pas. Si le désir n’est pas là, je n’écris pas.

Les poètes qui comptent pour moi ?

Pfff ! Je me promène dans la poésie et je m’arrête là où quelque chose me retient, que je trouve étonnant, curieux, incompréhensible mais touchant. La poésie de Yves Bonnefoy a beaucoup compté au début et m’a incité à lire pas mal d’auteurs classiques et contemporains. J’ai aimé Gustave Roux et Jaccottet, je replonge régulièrement dans les poèmes de Lorand Gaspar ou ceux de Jean-Claude Renard. J’ai découvert des auteurs de langue portuguaise dont je me sens proche par la sensibilité et le ton : A. Ramos Rosa et Judice par exemple. Je ne peux pas me passer de cure ponctuelle chez Eluard dont j’aime la clarté et la légèreté. Mais il y en a bien d’autres. Je suis plus un lecteur de poèmes que d’œuvres. Un ou deux vers peuvent me retenir assez longtemps. Depuis quelques années je lis en ligne aussi, mais je n’ai pas vraiment la mémoire de noms. Il y a aussi beaucoup d’autres lectures : Reverdy, Chedid, James parfois, Jean Grosjean, Juliet et bien d’autres encore, c’est assez difficile en fait de répondre à cette question. J’ai l’impression de n’avoir pas dit le centième de ce qui compte.

A quoi j’associe, non pas le mot mais la poésie elle-même ?

Aux forces de l’enfance avant tout, mais redécouvertes dans la maturité et soignées comme un enfant justement, avec tendresse, délicatesse, confiance et abnégation ; à la liberté que l’on conquiert sur soi-même, sur la peur surtout, la peur de vivre, la peur des autres... un sentiment de l’infini présent dans les petites choses de la vie, à la dignité humaine, à l’humain tout simplement parce qu’il vit dans la parole, trop souvent, sans le savoir ou en l’ayant oublié. Parfois je me dis : on parle et on écrit « dans les autres », qu’on le veuille ou non, et non pas seulement pour eux, mais pour être, ensemble. Dans ce sens, il est difficile d’écrire n’importe quoi.

En fait c’est très sérieux tout cela, non ?

Oui, c’est sérieux, mais ce n’est qu’un fragment d’image de qui je suis, de ce que je ressens et de ce que je vis, un reflet de rivière, un peu de ciel dans un peu d’eau. Mais tu sais aussi bien que moi que l’autre face du sérieux, c’est la clownerie. Ça aussi fait partie de mon écriture et de ma vie, et c’est peut-être parce que je vis et travaille avec des enfants. Avec eux, la gravité intérieure prend des formes insolites qui ressemblent à des embardées dans des paysages de printemps plus qu’à la majesté froide et puissante des cathédrales. Dans la poésie que je travaille, les deux sont mêlés. Le profond, si tu veux, et le léger. J’ai à l’esprit le mot d’un ami qui disait un jour que l’on peut exprimer simplement des choses profondes et profondément des choses simples. Je me promène entre ces deux rives, je tente un équilibre. Si le funambule ne prenait pas ce qu’il fait au sérieux, et dieu sait le temps et la peine qu’il prend pour se rendre capable de faire trois pas au dessus du vide, il ne serait pas plus qu’une mouche au milieu du monde. Mais s’il réussit, il franchit des abimes et tous ceux qui le regardent les franchissent avec lui. Les autres savent qu’il y a des funambules dans le monde. Et peut-être que cela suffit.


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