Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Frédérique de Carvalho

samedi 10 avril 2021, par Cécile Guivarch

un cheval galope

le cheval dans le pré
l’oracle de la grange
la poussière

 
dans le poème l’enfant et
les images
des objets morts et
la langue

c’est un cerf qui brame d’une
alliance
lointaine

la corde du rappel bat
la paroi

le cheval bat de l’aile

un mort chaque jour à la table

les morts c’est entendu tirent
par les pieds un enfant égaré

 
la brouette et la barque attelées
de même
joug
cette tendresse
défunte

 
la langue taille un paysage sur
mesure
les grands yeux aveugles des Voyants
de Sumer
sont vivants
quoique morts

 
les images du livre sont les images
en vrai

l’enfant clairon à cheval
sur le mur
du cimetière l’enfant
rebond

 
l’enfant là-bas avec la
gibecière et le
papa

 
l’éclat de cristal la ténèbre
c’était quoi

 
peau rouge à même la peau rouge
l’indigo reste
à peindre

les vieilles histoires sont remisées dans un
bocal
à l’abri de l’air c’est pas moi c’est
l’autre

le verre se brise
sous le poids
(c’était nuit
en hiver)
(ou bien un autre froid)
(qui prenait l’enfant)
(dans ses bras)

 
toute
figure
absente
se
délite
et
revient

le poème sait cela
de mémoire

quelqu’un entre
fugace tignasse et tête dure
il a deux trous rouge au côté
droit
il assoit la beauté sur
ses genoux et la trouve
amère
il croise des noyés
pensifs il trafique les armes au-delà
des déserts il est intact et loin
des troupeaux
il boit de l’or

soudain le dernier coup d’archet dans le port sous les
frontons horribles
des pontons

 
à quelle heure doit-on me transporter à bord

 
il est intact
il ne correspond pas

l’enfant parle tout haut

il retient le
sentiment

il garde la pierre
à aiguiser

l’atelier est dans la grange
comme au grenier
des Roches comme on se
l’imagine la tignasse
penchée sur la magique
étude

 
ici donc la grange déplacée

les tréteaux de l’atelier soutiennent
la table
la chance
du poème

double-infinitif

commencer par

abattre

(les murs)

le ciel immense rétrécit jusqu’au point
de l’impact
bergerie ou bateau
le petit point sur la carte
c’est là

 
un éperdu venise

 
l’enfant cache les morts dans les
images

 
maintenant les images
avec
les objets
de la langue

l’enfant rentre le cheval
dans le poème

 
un fragment détaché

 
dans la pente du champ et sous l’ombre
d’un tilleul
entre
deux soleils le tableau
quelque chose revenir

 
un autre fragment détaché

 
un jaune d’or
se penche
immobile
et le ruisseau descend dans
l’instant
renoncule

 
sinon la figure d’une barque d’où
reprendre
le large
ou se tenir au bord

maintenant
vent passer
pluie tomber
signe blanc
ciel d’écrire

 
maintenant
peau retournée
comme un gant
dans retournement
fabriquer
un geste
d’écriture

 
maintenant
main
langue
enfant
le silencieux
petit
indien
du livre
d’images

 
avec la langue des morts

enfourcher
cheval pré atelier grange livre images
tabler        sur

 
dans le grand dehors
un cheval galope sans le moindre
regret
un cheval galope un rythme
si l’on veut
la frappe du sabot en toucher
idéal
chaque instant fait rupture un pur
détachement qu’a soulevé
le ciel

 
il y a une joie qui n’appartient pas

subitement le meuglement d’une corne de brume
tout le reste
invisible

 
subitement les objets
de la langue
sont
projetés

 
le cheval disparaît sur le champ

l’enfant cache les images

 
la main ne répond
plus
ni les bateaux tant pis une
petite brume suffit pour
pas les yeux

le geste insuffisant de
trouver les images et
de cacher
l’enfant

un cheval galope et
quelque soit
le pré le foin des
granges

l’oracle la poussière

Entretien avec Clara Regy

Ce qui vous a « imposé » d’écrire...

c’est l’élan d’amour qui m’a « imposé » d’écrire, j’avais 10 ou 11 ans, j’étais amoureuse, j’ai donc écrit « un poème » dédié au dénommé « Laurent » (oui, là, c’était un garçon) avec, pour faire comme je croyais poème à ce moment là, des rimes finales en « en », je me souviens du premier quatrain : l’amour nous prend / il nous attend / perdre son temps / c’est imprudent /...
bon… voilà !

et il y a de même élan le geste du vivre « coûte que coûte ». vivre la part cachée. celle qui n’a pas voix au chapitre. celle qui se tient dans le paradoxe d’un désir fou de vivre et d’un désir fou de mourir. je ne sais pas bien expliquer cela. un désespoir forcené arrimé à un désir absolu de vivre en entier (le coup de pied au fond de la piscine ou la fenêtre de Peter Pan selon les jours). dans ce nœud, écrire était mon arme secrète. et mon seul lieu de passage.

mais longtemps je n’ai osé rêvé d’écrire pour de vrai, c’est-à-dire pour l’autre.
j’ai rempli des carnets. des cahiers. j’en retiens le bonheur du geste. et le soulagement du texte. en octobre 2010 un incendie dans mon bureau (que j’appelle mon bateau)(parce que c’est un bateau) m’a libérée d’un mètre cube de carnets entassés. choc et délivrance inouïe. un tas de cendres. la page blanche. enfin.

à part l’incendie et sur ce chemin d’écrire, je dois beaucoup à « terres d’encre » qui est l’association que j’ai co-créé et que je co-anime avec ma compagne. grâce à terres d’encre, je pratique depuis plus de vingt ans la création d’ateliers, de stages, de formations (à l’animation d’ateliers d’écriture comme aux récits et analyses de pratiques professionnelles). quand le travail devient : lire, prendre des notes, réfléchir, trouver et proposer des cheminements d’écriture, les accompagner et les réfléchir avec leurs auteurs, les partager et… écrire…
… cela ne ressemble plus trop à ce qu’on appelle généralement un travail… cela n’empêche pas le travail mais cela induit la joie !

avec « terres d’encre » nous avons aussi créé et animé une rencontre annuelle de poésie contemporaine pendant 18 ans (« les Petits Toits du Monde ») et cela aussi a été décisif dans mon écrire ; la rencontre fréquente de poètes, d’artistes, d’éditeurs, les liens venus de là, les livres qu’ils ont ouverts, les pistes qu’ils m’ont permis, sans le savoir je pense, d’ouvrir et de suivre. un vrai cadeau.

voilà, ça c’était pour « l’histoire »…

Quelques rites...

quelques « rites » maintenant ou bien plutôt juste des façons de faire :

toujours le besoin de sentir que je peux écrire partout n’importe quand, donc j’ai toujours avec moi carnets et stylos. pour les stylos, je ne me sépare pas de mes trois stylos-fétiches avec une prédilection pour la plume d’un petit Mont Blanc dit « Bohême ».

cette écriture là c’est plutôt une écriture du « dehors ». une écriture de marche et de paysage. cette écriture se fait par bribes, par bouts de phrases, des choses qui me traversent quand je me fonds en paysage. montagne et océan sont mes deux pôles, la forêt et la lande les relient. arbres, vagues, crêtes, pentes, estrans, lacs, tourbières. d’autres géographies encore. avec les bêtes qui les habitent. le grand peuple muet et souvent invisible et qui me parle. (comme de vous à moi.) (ça c’est depuis l’enfance).

l’écriture à la table et devant l’ordinateur, c’est là que l’écrire se fait. le carnet est un espace étroit. la page sur l’écran peut être infinie. elle permet d’avancer. de revenir sur ses pas. de reprendre. de rebrousser chemin. de bifurquer. d’élaguer. de regarder devant. c’est aussi une façon de marcher. immobile. mais, pour marcher vraiment, il me faut toujours un peu du dehors aussi. donc quasi toujours la fenêtre ouverte du bureau-bateau chez moi, en pleine nature à flanc d’une petite montagne du sud-est, en lisière de forêt, ou bien c’est la portière ouverte du « camion » qui est ma grotte mobile (ma « barque » dit Isabelle Sauvage) où je vais parfois pour écrire au bord d’une rivière ou en littoral ou en montagne, etc.
je suis très touchée par ce qu’a dit Dylan Thomas de l’ atelier :
it’s « a womb with a view » / c’est « une matrice avec vue ». je comprends tant cela.

dire aussi qu’il y a toujours des livres à proximité lorsque j’écris (quand je n’écris pas aussi d’ailleurs) ;
André du Bouchet est toujours du voyage. et Rimbaud.
et, en vrac, les plus présents sont Antoine Emaz, Thierry Metz, Valérie Rouzeau, Ludovic Degroote, Nicolas Pesquès, Eric Sautou, James Sacré – mais c’est terrible de lister comme ça et de laisser de côté Françoise Clédat, Cédric Demangeot, Franck André Jamme, Gérard Haller, Anne Carson, etc…. j’ai envie d’égrener ma bibliothèque car à chaque livre je pourrais dire « ah oui, celui-là »… donc je m’excuse auprès des oublié.e.s de « la liste » et que je relis tant.
et avec la poésie, des essais « théoriques » toujours près de moi aussi : Jean-Christophe Bailly, Georges Didi-Huberman, Michel Collot, Henri Maldiney, Jean Oury, Yves Bonnefoy, - bref !
et un peu de prose ; Julien Gracq, Claude Dourguin, ou bien Michèle Desbordes, ou bien Claude Simon ou bien…

dire enfin que quand j’écris je ne lis pas. je suis en compagnie des livres. et de temps en temps je lis un vers ou deux ou bien une page. pas plus. mais les livres sont là . en soutien. en amitié.

Vous évoquez aussi : « la langue » essentielle à l’expression, l’écriture, que pouvez-vous nous livrer sur la « vôtre », -même si la question se montre difficile- ?

et maintenant… « la langue »…ou plutôt ce que je peux essayer de dire dans ce que j’en comprends. ce n’est pas facile ce regard retourné vers comment s’écrit ce qui s’écrit.

de tous les temps le poème ou ce que je lisais comme tel dans ce que j’écrivais. je veux dire le rythme-le vers-le souffle et de fait plutôt le souffle / coupé. sans doute, je le crois, relié en direct avec la main qui possède l’histoire et ne se souvient de rien que lorsqu’elle écrit. par jets coupés. par fulgurances et par arrêts. sur image. ou dans l’image. l’image-mots ainsi coupée nette laisse voir, du moins je l’espère, l’autre image-mots, celle de derrière. le poème un peu comme une échelle (ici, la verticale fait le récit) et plusieurs strates à chaque barreau (l’horizontale donne à voir). tout cela passe par la langue qui pour moi, essaie de donner voix à chaque mot. et à chaque rencontre de mots. ainsi faisant, la plupart des strates échappent et ne se lisent qu’après. ça, c’est toujours l’étonnement. claque ou merveille. on ne sait jamais d’avance. tout se passe sur le champ.

et puis il y a eu pour moi une autre forme d’arrêt sur image avec les deux livres parus en 2020.
l’un, « Nous revient », me semble être « le dernier » d’une série de livres publiés par Michel Foissier de Propos2éditions. je veux dire le dernier d’une série au souffle coupé toujours dans le corps physique du poème, par le vers tailladé donc.
l’autre, « barque pierre », publié par les éditions isabelle sauvage, me semble être un lieu d’articulation entre le vers tailladé et des bouts de prose rythmés, comme le vers, par le souffle (son et rythme) mais plus long le souffle, moins arrêté, plus coulant, allant vers la phrase.

la sortie de ces deux livres, à six mois d’écart, et tous les deux investis par moi, je ne peux ni ne veux le nier, d’un affect et d’un émotionnel très profonds, a été bouleversante. me détacher de l’un et de l’autre m’a été très difficile.

la conséquence visible de cet arrachement a été que j’avais perdu « ma voix », je veux dire que je ne la connaissais plus. elle ne venait plus dans ma main. comme une voix greffée dont la greffe n’a pas pris. ou une voix hybride, stérile car elle empruntait à la fois à la voix de « barque pierre » et à la voix de « Nous revient ». elle n’était plus ni l’une ni l’autre et aucune des deux n’était plus possible. assez vertigineux comme sensation car on ne sait pas quand cela va revenir ni comment ni si cela va revenir. peut-être que c’est bouche close. et ça c’est l’angoisse.
pour parer l’angoisse j’ai continué à écrire mais c’était toujours des commencements. les suites déraillaient vite. je m’enfermais et me renfermais, j’avais vraiment perdu ma voix. J’étais en train de muer, littéralement.
et puis, en février dernier (21), j’ai commencé quelque chose dont je sens qu’il est peut-être un « réel » commencement puisqu’il m’a permis , d’un coup, d’entrer dans « ma » voix de maintenant. qui est bien sûr la même, en différent. disons que je la reconnais.
j’en suis là, on verra si cela se poursuit… et si cela se poursuit comme ça ou autrement ?

Subsidiaire question

maintenant, votre question subsidiaire, la poésie en quatre mots…
euh………………
la voix (est) la voie

Je suis née en janvier 1957. C’était l’hiver la guerre l’Algérie. mon père était militaire. avec tous les déménagements qui s’imposent et rien de vraiment différent. quelque chose comme un vase clos. un monde séparé « du monde ».

Jusqu’à 77 l’âge punk et devenir éducatrice PJJ puis enseignante spécialisée en SEGPA.

Jusqu’à 92 « la » rencontre amoureuse. Quitter paris et sa banlieue. Faire une pause. Poser ses valises dans les Alpes de Haute-Provence. D’abord un village. devenir formatrice pour adultes « en situation d’illettrisme ». ou dits « exclus » puis formatrice en atelier d’écriture.

1998. quitter le travail « extérieur ». venir habiter une ancienne bergerie isolée en lisière de forêt et à flanc de petites montagnes. En retrait. Au cœur. Planter des arbres. vivre avec une tribu animale.
co-créer avec ma compagne Mireille Irvoas l’association « terres d’encre ». se consacrer au processus de la venue de l’écriture et à son accompagnement chez les autres. Ateliers, stages de création littéraire, stages de marche-écriture et présence en paysage, formations (éducation spécialisée, psychiatrie), voyages géopoétiques, rencontres de poésie contemporaine (« les Petits Toits du Monde »). Plus de séparation entre le temps du travail et le temps du vivre.

Depuis 2014 je commence à donner plus de place à mon propre cheminement d’écrire.
Michel Foissier de Propos2éditions m’a fait confiance de suite et a publié mes quatre premiers livres. L’équipe des éditions isabelle sauvage m’a offert l’opportunité d’une résidence longue qui a donné lieu à la publication du livre cinq.
Je dois beaucoup à ces éditeurs – là - à leur travail « impeccable ». et généreux.

Bibliographie

  • Des aubes et des aubes, livre d’artiste avec Thierry Le Saëc, La Canopée, 2011
  • Julien, livre d’artiste avec Jacqueline Merville, collection Le Vent refuse, 2013
  • (journal du) cheminement parmi, propos2éditions, 2014
  • poésie, midrash : points (rouge), ouvrage collectif, Fidel AnthelmeX, 2015
  • Paysage première, Approche, textes nus, 2015
  • Déménager l’enfance, propos2éditions, 2016
  • Un peu de montagne tombée, livre d’artiste avec Odile Fix, 2017
  • 3 Montagnes & 2 océans, propos2éditions, 2018
  • La part nue, avec Marthe Omé, éditions du Frau, 2020
  • Nous revient, propos2éditions, 2020
  • Barque pierre, éditions Isabelle Sauvage, 2020

Quelques textes parus dans les revues : Dans la lune, Triages, Neige d’août, La Canopée

Une page avec des extraits de ses livres dans Terre à ciel


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