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Poésie d’aujourd’hui

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Emmanuel Seynes

vendredi 2 avril 2021, par Cécile Guivarch

Paris perdus

Écouter le temps d’avant
Les ruines, celui juste
Avant cela :    lové entre les
Murs accueillants            le silence
Des solstices
        aux trouées qui réclament
Des têtes
        avant que germe la bascule :
        Ville montre ses os.

Et l’herbe entre.
On la voit, même
Poussée dans une lenteur de livre
Attraper dans le vent
        le chant des piliers bétonneux
        – salement s’y effrite une odeur
        de symptômes

Le fil mène à la note indélébile
        par dessus le tapage :
        Ville a joué.

On voyait dans B. des solitudes frustrées
S’entêter ensemble sous les monticules
                            de revanche
Entre les collines rêches comme
La brique des fours            macèrent
        les choix mauvais.

On en voyait tourner
Forer l’œil avide
Pas le temps pour les proverbes
Ni pour la science crasse :
Les machines elles-mêmes ont fini
                    par sécher.

Il a bien fallu
Que les bouteilles s’arrêtent
Aux points d’une constellation
        déclarent la trêve
Dans la salle de classe on comprend,
Le dernier fut octobre
Pique-nique au lac vendredi – prenez vos vestes
    La craie finit par dire :
J’ai couru, moi aussi, mais j’ai trébuché.

On voyait dans Z. une fécondation
Douteuse de manœuvres
Et de projections
Un peu trop infinies : elle fut
Mort-née.

Mieux : toutes les choses inscrites
Aux portées urbaines
Pour être : sur le point de.
Sur le point : blanc,
Dedans retroussés expulsent du refus
D’être rempli.

Dehors seuls resteront les cercles
Dures corolles des vanités
Entre les moellons qui s’ennuient
Bave prétentieux        un fatras
Une fascination pour le sens l’
A rendu borgne – pas
                            mieux.

On voyait dans N. des appels à la lumière
Des boulevards organiser un ballet illogique
Une poussière aimante comme une manne
Des fruits qu’on tait aux premières brèches
Une ouverture d’acier au ciel athée par décret
On vit ceux qui crachaient des balcons
Les cendres du décompte des jours
Ceux-là et d’autres encore camper sur les places
Agripper jusqu’au sang l’artifice
Le dernier qui resta peignit jusqu’à la fin
Des prophéties bon marché


Entretien avec Clara Regy

Vous posez comme réflexion possible « qu’attendre de l’écriture et de la musique » ainsi ma première question sera sans surprise : que vous inspire vraiment cette proposition qui est « la vôtre » ?

En ce qui me concerne, la musique était là bien avant l’écriture. L’ayant beaucoup pratiquée plus jeune, ce fut une première expérience artistique marquante, car elle mobilisait tout : le corps, les sens, la réflexion. Et l’on pouvait aussi la nourrir de tout : j’aimais découvrir comment par exemple des lectures, des morceaux de vie quotidienne, des souvenirs, pouvaient être mis au service de quelque chose d’aussi éloigné à priori que le travail du son. Étonnamment, je n’ai jamais vraiment été attiré par l’écriture de la musique, peut être parce que j’aimais le côté incarné de l’instrument, auquel j’en suis resté. Il faut d’ailleurs tellement de temps et d’énergie pour simplement apprendre à jouer…

Mais difficile de ne pas enchaîner avec : mais que peut-on donner aussi dans (ou à) l’écriture ?

Justement, je crois être venu à l’écriture pour quelque chose qu’on pourrait appeler « composition ». J’ai d’ailleurs l’impression qu’on devrait dire qu’un poème se compose, bien plus qu’il ne s’écrit. Et c’est dans cet aspect de mise en forme que je trouve de nombreux points communs avec la musique. Beaucoup plus qu’avec, disons, les sonorités de la langue, qui pour moi n’ont pas grand chose à voir avec celles de la musique. Toujours est-il qu’un poème ne s’écoule pas dans le temps n’importe comment, et c’est sans doute ce qui m’intéresse le plus dans l’écriture pour transmettre quelque chose au lecteur.

Quels sont les auteurs -poètes ou non- qui vous ont marqué, inspiré peut-être et dont l’écriture ne vous quitte plus ?

Pour parler de poésie relativement récente (c’est à dire remonter jusqu’au siècle dernier) et ne citer que trois poètes parmi ceux dont l’écriture m’a marqué durablement, je dirais : Pierre Reverdy, Esther Tellerman, et plus près de nous, Cédric Demangeot.

Vous n’échapperez cependant pas à notre question subsidiaire ; si vous deviez définir la poésie en 3 mots, quels seraient-ils ?

Rythme, sincérité, illusion.


Emmanuel Seynes, né en 1982, a grandi entre la Drôme et l’Ardèche.
Une formation de musicien et la pratique continue de cet art l’amène à la poésie, qu’il écrit depuis plusieurs années. Il vit désormais en région parisienne.


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