Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Cédric Bonfils

samedi 15 juillet 2017, par Cécile Guivarch

Se condensent
(première partie du recueil Trêves et Brisées)
(Extraits)

Un peu de rythme

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Des phrases heurtées dans les pensées. Des points de côté d’envie de vivre. Des secousses de métaphores. Quelques échos, dans l’air du soir, d’un mystère dans la chair. Et, sur le bout de la langue, la grammaire d’un rêve.

Des respirations, des murmures, des cris, dans les paroles du vertige. Liaison du silence et du vent, des orages et des voix, des racines et des cimes. Pulsation des mots dans l’arc-en-rêve reliant le bitume et la voie lactée. Recueil des expériences. Celles des oiseaux, des amoureux, des fauves, des fous, des papillons, des écorchés, des reptiles, des enfants, des insectes, des voyants, des nomades. Orthographe des passions. Refrains des météores. Mélopée de l’inconnu qui creuse. Psalmodie courageuse, où la vie perd un peu pied. Chanson de l’insondable.

Un peu de mémoire

Comme un jeu des doigts, des ongles dans la terre. Une manie de môme. Un ouvrage de jardinier sans outil. Avec les cailloux, les vers, avec les racines, les mauvaises herbes, avec les os et les débuts de fleurs. Avec dans les mains un peu d’eau prise dans la rivière du temps. La pensée gratte, remue, retourne, creuse, fouille la mémoire. Elle arrache l’inutile. Elle débroussaille où ça étouffe. La pensée. Avant de semer.

Souffle d’enfance. Être enfant avec l’enfant qui n’est plus. Enfant d’ici et maintenant pour l’enfant à l’au-delà.

De l’instant qui semblait sans consistance, retenir quelque chose qui n’a pas la force d’un sentiment, ni l’épaisseur, plus fine, d’une émotion. Retenir quelque chose sans aspérité ni relief. Quelque chose qui n’aurait même pas un contour – et c’est encore beaucoup dire. Quelque chose de vague, sans couleur ni reflet. Comme quelques secondes qui ne seraient qu’elles-mêmes.

Les réminiscences font parfois la ronde. Elles murmurent des souvenirs de caresses. Elles sentent les flammes où se lançaient des brindilles. Elles pèsent le sable d’une durée qui s’échappe. Elles préviennent des mots qui reviennent. Elles répandent des parfums de fleurs. Elles dessinent des visages. Elles gribouillent dans la terre des joies enfantines. Elles captent des goûts de fruits, rejouent le bruit du pain qui se rompt. Elles résonnent comme des notes rugueuses d’écorces d’arbres. Elles refont le chemin d’une mèche de cheveux. Elles voilent le silence d’une sensation d’obscurité. Elles tremblent un peu quand l’angoisse est plus froide. Elles épongent une larme qui réapparaît. Parfois elles fondent comme des bougies de neige. Elles suivent toujours à la trace les échos de poèmes qu’elles n’oublient pas.

Un peu des joies

L’arbre pleure où la joie n’est pas restée. Ça coule au possible. À l’ailleurs d’un autre sol. Un torrent. Un vertige dans la terre. Les remous du manque en échos. Plus loin, la joie reviendra, des limpides racines dans la faille des larmes.

Ces mots qui comptent, révélant un peu plus de sens, comme ces chemins que font les biches, où les herbes se couchent. Évocations du fond des bois. Ces aurores qui poussent dans la nuit. Ces étoiles qui transpercent le jour. Ce regard qui reste quand tu es seul. Cette pulsation que donne le cœur au chant des oiseaux. Ces promesses sur les lèvres qui voient l’avenir. Cette résonance du large qui vibre sur la peau. Ces cimes où la joie ressemble à un tremblement du ciel dans les feuilles. Ces silences qui n’ont rien à envier aux confidences. Cette chaleur dans la main.

Où les tombes recueillent le début de l’automne, effeuiller l’impatience. Quelques oiseaux divaguent. S’élancent pour un vol imprécis. Des teintes pastelles dans le ciel. Un peu de silence interrompt l’accumulation de déjà vu. Les yeux se reposent où les lèvres se figent. L’immobile aussi est parfois un sourire. Les poumons s’ouvrent à la fuite des fous rires. L’humour a du chemin dans les méandres.

Le sol frémissant des sous-bois respire. Les comètes traversent les confidences des étoiles au cosmos. Les tissus végétaux ont des nuances qui grisent. Les rêves tissent des matières et des ailleurs. Coquillages, étincelles, labyrinthes dans les récifs submergés, braises enfouies, odeurs de ruelles sombres, creux de roches, envols de cendres, bordures d’oreilles, couloirs de pyramides, pollen dans les paupières closes, alcôves secrètes, rives de trous noirs, cabanes de chamanes, lacs vierges dans les grottes, floraisons souterraines... Diffraction des songes dans l’illimité nocturne. L’œil intérieur se promène dans les nervures des ombres.

Aller perdre au bout de la route les tremblements de l’accélération générale. Les crampes des courses inachevées. Les plombs dans nos ailes qu’ont laissés les angoisses. Les couleurs ternes des jours trop usés. La salive des mensonges. Les mots mutilés, arrachés de leur sens. Les factures du coût de la vie. Les adresses de débit de passions illusoires. Les convenances qui pèsent sur nos pas. Les fleurs sans parfum. L’huile des gestes mécaniques. Les barbelés où s’accroche l’élan de nos rêves. L’inutile étouffant. Les cartes des trajets imposés. Perdre au bout de la route, où un regard avance sur le vide.

Une peau-paysage dans la nuit. Avec le grain d’une image un peu floue. Avec son grain de sable, son grain du temps. Avec le grain d’une parole. Avec la moisson des vents. Un grain de lumière, un grain de rêve un peu mat. Avec la moisson des étoiles. Avec un grain de sel, un grain de blé. Avec la moisson des soupirs. Avec un grain de silence, un grain de folie. Avec la moisson des sens. Avec un grain d’ailleurs ou bien l’ailleurs qui s’égrène.

Un peu d’échos du vivant

Le vent se retourne. Les nuages font des plis. L’horizon prend la tangente. Des ondes frissonnantes. Un hiver magnétique. Un instant comme une saison à rebours. Mais l’inconnu a du souffle. Aiguise les arbres pour qu’ils gravent dans l’air des floraisons hallucinées. Ouvre les fleurs en pétales mélodieux. Les oiseaux évoquent demain du bout des ailes. Pépiements et stridulations d’un réveil. Le printemps vibre, pareil à une voix qui ne s’éloigne pas.


Petit entretien avec Clara Regy

Pour ouvrir ce petit questionnaire, peut-être pourriez-vous évoquer les rencontres (humaines ou livresques...) qui ont fait avancer voire naître votre propre écriture ?

Plusieurs rencontres humaines ont beaucoup compté. Trois notamment. Jean-Pierre Siméon. Chacun de ses courriels me donne confiance, m’apprend la patience, m’ouvre des perspectives.
Eric Sarner. L’homme m’a touché. Retenu et si présent à la fois. Un boxeur pacifique de la langue. Tension du réel dans ce que la langue condense. Le rythme comme creuset du sens.
Albane Gellé, j’ai parlé un bref moment avec elle, lors du festival des Langagières au TNP, à Lyon, il y a plus de dix ans. Je n’oublie pas cette sensation qu’elle m’a laissée (je devrais dire « qu’elle m’a offerte ») : aller vers la poésie en se reliant sans cesse à ce qui est là.

Quelques rencontres livresques vécues comme essentielles (il y a en a beaucoup) : celle avec l’exploration fragmentaire et vertigineuse de Radovan Ivsic. Celle avec la rythmique d’une langue-danse de Léon Gontran Damas. Celle avec les langue-corps de Bernard Noël et Danielle Collobert. Celle avec l’humanité foisonnante de Nazim Hikmet. Celle avec la noirceur libératrice d’Alejandra Pizarnik. Celle avec la psalmodie alternative de Christophe Manon.

Avez-vous des rituels, des lieux, des moments, des circonstances que l’on pourrait dire « propices » à « l’écriture » ?

Ils varient, ils ne suffisent pas, j’en ajoute... Ceux du matin (écrire avec les premières notes des oiseaux quand la nuit tâtonne avec le jour, faire une pause sur la route, déposer dans le carnet les surgissements des premiers moments d’éveil...). Ceux du midi (condenser en quelques phrases en buvant un café à une terrasse les détails du lieu vu/ressenti...). Ceux du soir (brûler des mots comme on fait des pompes pour s’endormir plus calme). Et ceux des promenades en forêt, ceux des moments d’attente (dans les gares ou dans les embouteillages). Ceux près des enfants, pendant les pauses entre deux parties de ballon… Et d’autres. Discipline quotidienne pour trouver, cultiver cette présence que je perçois chez Albane Gellé et chez d’autres qui écrivent, que j’apprécie, parfois sans même les avoir déjà vus. Pensée pour Mélanie Leblanc et Julien Boutonnier.

Faites-vous une véritable « différence » entre les « poèmes à lire » et les « poèmes à dire » ? Ce sujet semble vous inspirer...

Ce sujet m’accompagne, me travaille. Je n’ai pas de réponse précise que je puisse résumer. Plutôt des questions. Comme on laboure une parcelle. Mais je dirais qu’il y a probablement dans la langue une possibilité d’écrire un même texte pour la bouche, le souffle, les poumons, la voix et pour les yeux, les surgissements d’images mentales, les liaisons entre vues, visées et rêves.

Éclairez-nous sur la place que prend votre poésie (et la poésie en général d’ailleurs), lors de vos ateliers d’écriture auprès de ceux que vous nommez ainsi « d’autres vies que la mienne » ?

Lors d’ateliers d’écriture, j’évoque le moins possible mon propre trajet d’écriture. Il est très rare que je propose aux participants de lire un texte que j’ai écrit. J’efface ma pratique. J’anime des temps de partage. J’écoute, j’accueille, je propose… Je cherche à relier les personnes que je rencontre à des recherches, des expériences, des tentatives, y compris celles qui me touchent moins, font moins sens pour moi (nos goûts, nos préférences, attention censure !). Je cherche à faire vivre les ateliers comme des espaces de croisement entre des trajets de langage des poètes, poètesses et des personnes qui se lancent, essaient, découvrent. Je cherche comment être cosmopolites, métissés dans notre rapport à la langue. Ouvrir. Aller vers Jacottet autant que Guillevic autant Demangeot. Vers William Carlos Williams autant que Tsvetaeva autant que Taha Hocein. Je cherche du dialogue, de la résonance, de l’écho. Parfois je propose une piste d’écriture aux participants que j’ai préparée en bibliothèque avec un texte en rebond après quelques mots échangés pendant la pause ou une question inattendue ou une plaisanterie a priori banale (en atelier, par moments, l’humour camoufle la lucidité quand elle semble trop crue, trop vive). Ca dialogue en permanence. Ca doit vivre et vivifier.

« Et pour terminer le jeu : « poésie » en 3 mots...si vous le voulez bien. »

Alors trois mots comme trois mouvements irriguant l’écriture/la lecture :

Attention
Imprégnation
Composition


Né en 1979, Cédric Bonfils a suivi un D.E.U.G. de philosophie, exercé différents métiers (animateur, conteur, pigiste, bibliothécaire, formateur). Il a participé à l’atelier d’écriture théâtrale de l’école Jacques Lecoq à Paris, animé par Michel Azama, de septembre 2002 à juin 2003. De 2003 à 2006, il s’est formé au sein du département d’écriture dramatique dirigé par Enzo Cormann à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre (E.N.S.A.T.T.) à Lyon. Il écrit, lit beaucoup, anime des ateliers d’écriture, de théâtre et de lecture à voix haute, ainsi que des formations dans les mêmes domaines pour des professionnels de l’éducation, de la culture ou de l‘animation. Il travaille régulièrement avec des personnes fragilisées, confrontées à l’isolement, la précarité, la maladie, pour chercher avec elles comment elles peuvent s’emparer de la lecture, de l’écriture et faire entendre leur relation au monde. Il écrit des pièces de théâtre, dont deux sont éditées par les éditions Espaces 34, ainsi que de la poésie et de la prose. Quelques textes publiés dans des revues web ou papier (Le capital des mots, Dissonances, Tiers-livre, L’infusion, La cause littéraire…) Il partage sur son blog Le divers et l’absolu un fil d’écriture explorant une relation possible entre le fragment et la recherche poétique.

Bibliographie

  • 2017 Publication du poème Les points de l’éperdue dans la revue web L’infusion.
    Publication du poème L’écoute des colibris dans la revue web L’infusion.
  • 2016 Publication du poème Parler l’instant dans la revue web L’infusion.
    Publication du poème L’inspiration du courage dans le coffret 1 du Double mixte par les éditions Jacques Flament.
    Publication de la nouvelle Ailleurs est quelqu’un dans le revue web L’infusion.
    Publication de la nouvelle Asphodèles dans la revue papier Dissonances.
    Publication de la pièce Votre regard aux éditions Espace 34.
    Texte dans la sélection « coups de cœur » 2015 du comité de lecture du Théâtre de la Tête Noire.
    Publication de trois poèmes dans la revue web Le capital des mots (Vers le grand ouvert, Poème envolé et Dans quelle nuit dormir ?)
    Publication de la nouvelle Nina et moi dans la revue papier Kiatu.
  • 2015 Publication de la nouvelle Ma beauté, se dit-elle dans la revue papier L’hôte.
    Création de Puisque nous ne sommes pas des anges et Regarder les corps (textes brefs) en région P.A.C.A.. Mise en scène d’Alexandra Tobelaim. Production de la Compagnie Tandem.
  • 2014 Publication du poème Jouir, tenir dans la revue papier Dissonances.
    Publication de la nouvelle Le sens de la journée de demain dans la revue web Nerval, fictions et littérature sur le web (sur le site Tiers-livre animé par François Bon).
    Lueurs, textes poétiques inédits pour le duo Songes (C. Bonfils et J. Jasmin).
    Fils du dragon, enfants de la lune, texte commandé à l’auteur par la compagnie Paris-Concert, librement inspiré de l’histoire familiale de Marie-Anne Tran, interprète principale de la pièce. Mise en scène d’Anne Barlind. Représentations à partir de janvier 2017 en région parisienne.
  • 2013 De la ville, des vies, des amours, mis en scène par Pascale Oyer, production de la compagnie de la Yole, représenté au Château des rochers à Nogent sur Oise. Ce texte est une commande de la compagnie de la Yole, écrit à partir d’entretiens avec des habitants de la ville, menés avec Pascale Oyer. Texte publié par Alna éditions.
    Publication de trois poèmes inédits dans la revue web Le capital des mots.
    Création du blog Le divers et l’absolu : travail d’écriture sur différentes formes de fragment poétique, notamment inspiré du Poids du monde de Peter Handke et de la notion de « poème-éclair » chère au poète Guillevic.
  • 2012 Je dirai seulement tout, texte finaliste pour le prix de l’Inédithéâtre organisé par les éditions Lansman, le Théâtre de l’Est Parisien et l’association Postures, publié par Alna éditions.
    Un quart d’heure et une chance, pièce brève publiée par Alna éditions.
    Préface à la pièce Heures de nuit, d’Edgar Chias, publié par les éditions Le miroir qui fume.
    Le sillon de nos vies (inédit), portraits d’anciens cheminots écrits pour l’exposition éponyme réalisée avec le photographe Jean Frémiot, à la suite d’interviews réalisés par l’auteur auprès d’habitants de la commune de Longueau (80).
    Deux nouvelles publiées par la revue web La cause littéraire.
    Journal mental d’un plasticien au travail (inédit) Texte dit en public par l’auteur, accompagné en musique par Jérôme Jasmin à la Soupe à l’art, exposition organisée par l’association Hors cadre.
  • 2011 Quatre voix debout (inédit), pièce brève écrite avec un groupe de femmes du quartier Elbeuf (Amiens – 80), lue en public à l’Espace Jacques Tati (Amiens).
  • 2010 Quand on aura le temps (inédit), pièce écrite avec les enfants du voyage de l’aire de Saveuse (80), lue en public au Safran, à Amiens (80), lors du festival Ma parole.
    Sans titre de… (inédit), ensemble de courtes scènes écrites dans le cadre d’ateliers d’écriture et d’expression dramatique avec des femmes et des enfants de quartiers populaires d’Amiens (80), lus en public au Safran, lors du festival Ma parole, organisé par l’association Cardan..
  • 2008 Sept voix dans la guerre (adaptation de lettres de poilus), mis en scène par Pascale Oyer, représenté aux Archives départementales de l’Oise à Beauvais (60) et au Théâtre du Chevalet à Noyon.
  • 2007 Trop compliqué pour toi mis en scène par Simon Delétang, représenté à l’E.N.S.A.T.T., à Lyon (69) et publié aux Editions Espace 34 dans l’ouvrage collectif intitulé Le monde me tue.
  • 2006 Pan-les-mains-rouges (inédit), mis en scène par Florian Dos Santos, représenté au Nouveau Théâtre du Huitième à Lyon (69) lors du festival Je est un autre.
  • 2005 Rêver est plus prudent (inédit), mis en scène par Michel Raskine, représenté à la Comédie de Valence (26).
    Course de fond (inédit), lu en public au Festival de la Mousson d’hiver destiné aux jeunes générations à Pont-à-Mousson (54).
  • 2004 Une fuite (inédit), lue à l’E.N.S.A.T.T. par des comédiens permanents du Théâtre National Populaire, à Lyon (69).

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