Bruits de terre – Journal d’hiver
décembre (extraits)
Bruits de terre – Journal d’hiver
|
Entretien avec Clara Regy
Vous écrivez de la poésie, mais « vous venez du roman », l’expression est elle-même bien curieuse… Pouvez-vous nous dire, ce qui pour vous les unit, les sépare et tout ce que cette question vous amène à penser ?
Et donc, quelle place la poésie occupe-t-elle dans votre vie d’auteur(e) ?
Alors que j’étais en thèse, donc très loin pour moi de la créativité, je suis revenue à l’écriture par la poésie. D’abord pour l’impression de liberté qu’elle me donnait, dans le jeu avec la syntaxe notamment. Puis j’ai écrit un premier texte, fait de très courts chapitres, que j’ai malheureusement tenté de faire publier comme un roman – atypique – mais dont je me rends compte aujourd’hui qu’il correspondait sans doute davantage à de la poésie. J’ai testé beaucoup de genres, même le théâtre, mais c’est finalement un roman qui a été mon premier texte publié.
Dans l’écriture, j’ai toujours privilégié le travail de la langue, comme matière, sur l’histoire. Je n’ai pas de facilité pour inventer ou construire des narrations. En revanche je sens la langue comme quelque chose de beaucoup plus solide, un terrain « sûr » pour moi, même si le propre de la poésie est de la faire vaciller, de la réinventer. Depuis un an, le retour à la poésie s’est imposé de manière exclusive, presque comme un état de conscience modifiée. J’étais en état de poésie. Les phrases, les images me venaient spontanément, particulièrement quand je me promenais. Je m’arrêtais sans cesse pour noter. Primait le rythme, et, par la poésie, je cherchais à relier une émotion ou une sensation à la langue, sans aucun filtre. Ni souci de narration, ni tentation d’intellectualiser. Le rapport à l’écriture était beaucoup plus intuitif, physique, que lorsque j’écrivais un roman.
Mais j’entends aussi la poésie dans un sens très large, le sens étymologique de poiêsis, fabrication-création. C’est pour moi l’état de créativité.
Vous chantez, votre écriture vous semble-t-elle porter les traces de cette pratique ?
Oui, par l’importance du rythme dans les phrases, de la ponctuation. Je n’ai pas ponctué mes poèmes à l’écrit, mais j’avais une ponctuation orale en tête. La poésie s’est aussi imposée comme un désir de lire (à haute voix) mes poèmes. Je sentais exactement comment je voulais les dire, alors que lire des extraits de mes romans me semblait relever davantage d’un travail de comédien. Ce qui n’empêche pas que cette lecture à haute voix exige beaucoup de travail, puisque j’ai découvert à quel point il fallait que j’incarne les textes, mais aussi que chaque texte raconte une histoire, même minimale. Il y a une saveur des sons, et une énergie à maintenir jusqu’au bout. C’est vrai aussi pour le chant.
J’ai toujours chanté, mais c’est par le travail d’enregistrement de poèmes que je suis retombée sur quelques enregistrements « sauvages » de chansons oubliés. Cela m’a donné envie de faire de nouveaux enregistrements, cette fois aboutis, avec la même exigence que pour l’écriture. Ils s’ajouteront à mon expression artistique finalement assez éclectique, pour un site futur…
De ce point de vue, la poésie fait en quelque sorte le lien entre l’écriture narrative et une expression plus incarnée encore, par le chant, où le rythme, la voix, l’émotion, sont primordiaux.
Votre « inspiration » je reprends l’un de vos termes prend sa source, ( !) -au moins en partie-dans la nature, pouvez-vous nous en confier davantage ?
J’habite une partie du temps à la campagne, et je ne cesse de m’émerveiller de la nature. Mon dernier récit, non publié, était dominé par l’observation des oiseaux. L’un de mes passages préférés dans mon premier roman, La silencieuse, est un chapitre entier sur une chenille, une sorte d’épopée du minuscule. La poésie a été l’occasion de mettre la nature au cœur de mon écriture, un vrai bonheur ! J’aime par ailleurs que la poésie « travaille » le quotidien. Il me semble que c’est un art du regard aussi, de l’écoute, une présence accrue aux choses, un sens de la beauté, même inhabituelle. Une « trouvaille » au sens des troubadours.
Quels auteurs (poètes ou non) sont essentiels à votre vie ? Vous pourrez bien sûr, nuancer la réponse…
J’ai été très marquée par Michaux, Plume ou Poteaux d’angle. Certaines phrases de ce dernier recueil m’ont soutenue dans des moments difficiles, comme « Va jusqu’au bout de tes erreurs (…) » ou « Faute de soleil, sache mûrir dans la glace ».
En écrivant, je me suis rendu compte à quel point mes lectures anciennes m’avaient nourrie. Je lis peu quand j’écris, car j’ai besoin de rester dans ma « voix ». Ce sont donc des réminiscences, des images, des rythmes, des bouts de vers, « l’ombre penchante » d’Aragon, « le temps qu’arbre défeuille » de Rutebeuf…
Mais si je devais ne retenir qu’une œuvre (ou deux !), ce serait l’Iliade et l’Odyssée. Dans l’épopée se rejoignent d’ailleurs la voix, la poésie et la narration…
Homère et Michaux, donc !
Et notre question subsidiaire : si vous deviez définir la poésie en 3 mots quels seraient-ils ?
Liberté, incarnation, émotion.
Née en 1969, Ariane Schréder partage aujourd’hui son temps entre Paris et le Loiret.
Normalienne et agrégée de Lettres modernes, elle a d’abord enseigné la littérature avant de se lancer elle-même dans l’aventure d’écrire. Elle a publié deux romans. Bruits de terre est son premier recueil de poésie.
Bibliographie :
- La silencieuse, éditions Philippe Rey, 2013 (prix René Fallet, Prix national Lions de littérature, Prix Folire, Prix des lecteurs corréziens)
- Et mon luth constellé, éditions Héloïse d’Ormesson, 2018 (Prix Merlieux)