J’ai pensé la prendre à rebours l’histoire
Lui donner un titreAu lieu de ça, j’ai fouillé le ciel.
Pas un seul oiseau
Le ciel s’est dé-cielé
C’est possible ça ?
Peut-être qu’il est trop blanc comme mon cahier
Ou qu’il aimerait tout recommencer lui aussi.Le ciel est dans ma tête
Au fin fondIl va falloir aller le chercher
La nuit sûrement, c’est là qu’il vient le mieux
La nuit le ciel n’est pas seul, il accueille les étoiles.
Petite fille j’attendais que les étoiles viennent dans mes nuits
Pour tenir loin les désordres.
Pour tenir loin la solitude.
Un jour j’ai embrassé Arnaud.
Je ne sais pas ce qu’il m’a pris.
Mais je l’ai embrassé.
Comme ça, sur un juke box.J’ai mis ma langue dans la bouche d’Arnaud.
En plein après-midi.
Un après-midi où on n’était pas là où on devait être.
ça arrivait souvent.Personne ne se doutait de rien.
Il y avait des jours où on était là où il fallait qu’on soit.
Mais moi je voyais bien qu’Arnaud il était ailleurs.
J’aurais aimé me lever, lui prendre la main, l’amener à moi, en vrai.Je l’ai toujours aimé Arnaud.
Peut-être parce qu’il ne savait pas lui, combien il pouvait être aimé.Il n’a rien dit.
Mais sa langue dans sa bouche a tourné la mienne.
Un tout petit peu.On est rentré sans rien se dire.
Mais on fredonnaitLove will tear us apart Again.
J’ai encore sa langue dans ma bouche
A chaque fois.
Il était une fois.
Les histoires commencent ainsi.
Celles des métamorphoses.Il n’y aura pas de métamorphose.
J’ai déjà grandi.Il était une fois
Il ne s’est rien passé.J’ai vieilli surtout
Vieilli sans veiller.J’aurais aimé veiller sur lui
On se serait é-veillés l’un l’autre.
Une petite robe noire
légère
extrêmement légère
si légère que j’ai oublié mon corps un peu.
Disons plutôt qu’il m’est revenu.
Un corps de femme
même s’il n’a rien d’une femme
mon corps
ça m’a pris du temps de tout enlever.
Mes hanches
Mes seins
Mes cuisses.
Il ne reste rien.
La peau sur les os on me dit.
Pour autant il ne s’est jamais envolé.
mes bras n’enlacent personne
mes mains ne caressent pas.
mon corps est parti.
Il s’est défait
de ne rien faire.
Une robe noire
légère
si légère
encore plus légère que moi.
Je l’ai vue
gracieuse
presque timide, gênée.
J’ai vu mes contours
enfin ma peau la robe.
Ma peau ma robe
a fait frissonner
épouser mes épaules
souligner mes seins
noirs
noirs jusqu’aux genoux.
J’ai dû naître à l’ombre
pour être aussi blanche.
Maman est émue.
Elle pleure de tous ces Noëls passés en famille,
sans regrets non,
une pointe de nostalgie,
un quelque chose qui lui pique les yeux,
ses yeux si petits,
tellement qu’ils ne peuvent accueillir plusieurs émotions à la fois,
tu vois pas qu’elle se brise d’un trop plein.Elle aime bien quand on part à la messe dans la nuit chanter minuit chrétien tandis que tonton Robert s’arsouille en attendant, que la cousine Sacha resserre sa ceinture sur le cran huit pour ne pas montrer son ventre déjà trop rond et que son tendre premier amour lorgne sur sa sœur Angèle, encore toute fine, si délicate, ingénue et bien plus riante que Sacha, Sacha qui devient chiante à chialer tout le temps, Sacha qui ne dit plus rien jamais.
Et ça chante dans l’église,
à pleins poumons sur des 31 talons hauts et cravates,
alors que ce petit con d’Arnaud s’est encore habillé en fille, risquant la 1500ème torgnole.
Pas faute de pas lui dire,
Arnaud joue pas au con avec moi
Arnaud, si tu me cherches tu vas me trouver Arnaud.
Arnaud, je vais te le faire filer droit ton cul Arnaud,
droit dedans je vais te le mettre si tu comprends pas.
Arnaud il a pas compris.
Il est venu quand même.
Il est venu à la messe juste pour faire chier sa mère avec sa robe de fille Arnaud,
il est arrivé en retard exprès Arnaud,
il la regarde bien droit Arnaud à sa mère,
Arnaud il chante à tue tête,
on comprend rien de ce qu’il chante Arnaud,
il crie,
il hurle Arnaud,
ce qu’il chante n’a rien à voir avec la messe avec la nuit avec plus rien.
Arnaud il se fait foutre dehors, la mère elle chante encore elle me prend la main elle me dit reste ici, tais-toi, il ment,
ma mère ses yeux ils sont grands colère
ils ont vu ma mère elle sait pour Arnaud ma mère elle sait très bien son cul tous les soirs papa
il le mange papa
il s’en sert toutes les nuits maman
elle sait mais elle chante maman
plus fort plus fort que tout le monde
que tout le monde n’a rien vu rien entendu maman
elle fait des nœuds avec mes mains qu’elle tord maman
arrête j’ai mal maman ça coule ploc ploc ploc maman
arrête Arnaud maman
qu’est-ce qu’il a maman Arnaud
tes yeux maman rien ne coule de tes yeux maman
pas une seule larme dans la nuit ni demain tout à l’heure le nœud coulant d’Arnaud papa
ne fera rien papa
ne dira rien que Arnaud cette petite salope n’est pas son fils maman
dis-lui qu’il dit n’importe quoi Arnaud
il est où demain maman Arnaud
ça saigne partout maman Arnaud
il est rouge maman,
maman c’est moi Arnaud,
je suis le Arnaud fille de papa maman,
j’ai rêvé que tes yeux étaient si grands qu’ils pouvaient entendre mes nuits
maman.
Entretien avec Clara Regy
- Quelle place pour l’écriture dans ton quotidien ?
Disons que tout est prétexte à l’écriture, écrire me permet de rendre le monde lisible, alors du tout petit matin au soir s’agitent des instantanés, des phrases, des humeurs ou un regard plus orienté quand il y a un texte en cours qui nécessitera du silence, du temps, des retranchements, la pensée est davantage tournée vers cela et encore que, il y a toujours quelque chose qui vient dévier. Une question de supports aussi, et ils sont multiples, un texte en devenir qu’il faudra poser quelque part, puis à l’inverse le réseau social très immédiat que j’utilise souvent comme un objet, un labo à gimmick avec des obsessions du quotidien, des retards, des relations sociales humaines etc, (pour moi c’est aussi de l’écriture), le blog qui apaise un peu les choses, même s’il reste très désordonné. J’écris partout et un peu tout le temps, c’est très foutraque mais ça finit toujours par s’organiser. Longtemps j’ai écrit quasiment tous mes textes sur les notes de mon téléphone, sur des mails archivés en brouillon par commodité (puis je n’avais pas d’ordinateur mais ça va mieux : j’ai craqué et mon banquier aussi), j’évite les carnets, ils me font peur, quand ils sont trop beaux j’ai l’impression que je vais les gâcher, du coup, j’en rachète un nouveau, puis un autre puis un autre etc. J’écris à longueur de temps, je pose les choses quand je le peux, dans chaque interstice du quotidien.
- Mets-tu la même part de toi dans tes textes et dans tes « cartes postales » si drôles ?
Oui, totalement. Le format de la carte est une contrainte et un grand terrain de jeu, mon sport à moi, un ping pong. Des humeurs, des affinités de musique et de littérature, parfois un simple jeu de mots est à l’origine, alors je cherche ce que je peux détourner et comment, le point de départ est un détail qui me fait rire (Menton pour les Bogdanoff), une réaction à l’actualité, elles peuvent être très spontanées, parfois elles le sont beaucoup moins. Elles sont nées un peu à la va vite, je les ai travaillées davantage au fur et à mesure, faire en sorte que tout corresponde avec le handicap de ne pas savoir dessiner, ce qui bien souvent me pose une contrainte supplémentaire. Elles me permettent de dire beaucoup : l’émotion, le rire, l’absurde, le beau, le manque. Par exemple je ne sais pas parler des livres qui me touchent, mais avec les cartes je peux. C’est comme un cadeau de ce que j’ai reçu en lisant. Les cartes c’est vraiment moi, oui, mais tout autant que les textes. Elles me permettent d’être vraiment dans le décalé, là où dans l’écriture, je ne le suis pas encore.
- As-tu des rituels d’écriture ? Lieux, objets, moments particuliers ?
C’est davantage une question du déroulé du quotidien. Le seul moment réel où je peux écrire sans m’inquiéter d’autre chose c’est le matin, le matin très tôt (d’où les retards en fin de compte puisque le temps est quand même limité et que je déborde toujours un peu). Je regrette énormément que tout ce que j’écris la nuit (très étonnamment toujours parfait, drôle ou à la tonalité juste) m’échappe totalement après mon réveil, je serais bien plus efficace si mon double travaillait non pas contre mais pour moi. Je rêve de temps, ça n’arrive que très peu. On vient de me proposer une résidence entièrement consacrée à ça : écrire. Aussi bien, je ne pourrai pas écrire une seule ligne, mais je sais que ce temps-là, sera précieux.
- Quels sont les auteurs qui font vraiment partie de ta vie ?
Je ne saurais pas le dire. Des auteurs qui correspondent à un moment de vie, des accompagnants symboliques, des révélateurs, un peu comme les parfums qui lorsqu’ils ressurgissent, font renaitre un peu de ce qu’on a été, ils ont laissé en moi une empreinte, un goût des mots, un regard, des possibles. Certains je n’y touche plus, j’aurais trop peur d’avoir trop grandi. Ceux qui comptent ce sont ceux d’aujourd’hui. Tout bêtement parce qu’un jour j’ai découvert qu’il y avait des auteurs vivants, là, à côté de moi, autres que ceux qu’on place en tête de gondole partout, ce sont mes tiroirs de lecture, je vais chez eux pour les lire et j’accorde un regard attentif au leur lorsqu’ils sont tournés vers les autres. J’ai des accompagnants sur ma route, deux ou trois auteurs autour de moi qui immanquablement auront dans leur boite mail, un nouveau texte en cours ou pas. C’est très précieux, j’ai confiance en leur regard. J’ai verrouillé très longtemps l’écriture, s’il n’y avait pas eu quelqu’un sur ma route qui un jour m’a dit que « j’écrivais » et que ce j’écrivais s’appelait poésie, sans cet élan, peut-être que je serai là encore, à bien murer les mots, les phrases et surtout la place que peut tenir l’écriture dans ma vie.
- Quels mots pourrais-tu associer à celui de poésie ?
Détournement, déviation, possibles, interstices, compagne, refuge, la poésie c’est ma fenêtre, un état d’esprit, une façon de pouvoir regarder le monde dans un minuscule quand il est trop grand, dans un immense quand il est trop petit. La poésie, c’est un peu mes armes pour désarmer, un frontispice avec musique et humour.
Isabelle Bonat-Luciani envoie des cartes postales aux écrivains vivants, morts ou pas encore nés, écrit ses admirations comme ses agacements, se sert de facebook comme d’un laboratoire poétique où ses retards, ses lettres au « Cher toi » et ses rendez-vous avec son banquier sont autant de leitmotiv au service d’une écriture riche, imagée, qui aime déployer les stéréotypes pour mieux les dynamiter.
Isabelle Bonat-Luciani a publié en revue (Métèque, Remue.net, Ce qui reste, Autour des Auteurs…), elle tient un blog « l’un dans l’autre » http://isabonat-luciani.blogspot.fr, elle vole aux riches pour donner aux pauvres, ne craint pas la kryptonite, est plutôt punk, rédige parfois les biographies de groupes de rock à guitare, vit, respire, et espère bien publier plusieurs livres (autant voir grand) dans les temps prochains.
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