Du sable sous les yeux,
un reste de nuit crisse
en rabattant le drap du jour.On entend le ciel monter
sur son échafaudage
la voix serrée d’un enfantUn linge humide passé
sur les paupières suffirait
pour retourner le rêve.*
Où que le regard se pose,
l’échange de lumière implose.Tandis que l’œil va et cherche
la proie à sauver des limbes,je tiens au-delà de la fenêtre
l’instant comme un oiseau mort.*
Des murs se dressent contre le vent
alors qu’un chien aboie mollement
aux premières gouttes de pluie.Au bout du ciel j’entends l’écho
filer sur l’embarras des nuages,
je sais ce qui ronge l’orage.Une onde remplace le vent
par une pierre au fond d’un puits,
je sens l’eau éroder la margelle.Je n’ai plus l’âge de sauter
pieds joints dans les flaques,
seulement l’œil qui l’invente.*
Il suffit parfois d’ouvrir la fenêtre,
de tourner ses épaules comme des gonds.On entend alors un grincement délicat,
un vice qui crie dans le corps las.Se dire qu’on a pris de la bouteille,
qu’on aimerait la rendre à la mer.*
On pointe soudain un sourcil
pour évaser la ligne sous l’œil,pour masquer la poche gonflée
de longs voyages immobiles,pour relier les lignes du front
avec les manqués du cœur.*
Ce sourire est un piège,
à ses lèvres on se mord.L’orgueil abat la langue
entre soi et le monde.Rien ni personne ne retient
nos petits foudroiements.*
Extraits de Évaser la ligne sous l’œil, recueil en cours de Christophe Sanchez.
SABINE HUYNH S’ENTRETIENT AVEC CHRISTOPHE SANCHEZ
J’ai découvert ton travail il y a des années de cela, grâce aux Vases Communicants, un beau projet d’écriture lancé par Tiers Livre et Scriptopolis en 2009 (échange de textes et de blogs entre écrivants chaque premier vendredi du mois, ne pas écrire pour mais écrire chez l’autre). Tu écrivais alors de la prose. De quand date ce passage à la poésie et pourquoi a-t-il eu lieu ?Je garde un très bon souvenir de l’époque où les Vases Communicants battaient leur plein. Ces échanges ont été très importants pour moi dans le déclenchement de l’écriture, dans sa recherche même. Grâce à la rencontre avec des poètes qu’ils permettaient, que les blogs littéraires en général à ce moment-là permettaient, peut-être sont-ils un des facteurs qui m’ont amené à ce glissement vers l’écriture de poésie.
Car, en définitive, je ne situe pas bien le moment où je me suis mis à écrire de la poésie. Cela s’est fait lentement et naturellement, dans un souci toujours plus grand d’épurer la prose que j’écrivais alors. Et à force d’épures, la forme poétique est venue à moi comme une évidence.J’avais beaucoup aimé ton livre, Rats taupiers, édité chez les Vanneaux il y a deux ans. J’aimerais savoir ce que les mots « écriture » et « famille » mis ensemble t’évoquent.
Ils m’évoquent le déclenchement. J’ai commencé à écrire grâce ou en cause de ma famille. C’est ma vie de famille qui a fait qu’à un moment donné l’écriture fut une échappatoire aux problèmes que je pouvais rencontrer dans ma vie sentimentale ou plus particulièrement avec mon père, sujet principal de Rats taupiers.
Mais je me suis aussi rapidement aperçu qu’écriture et famille pouvaient être un piège, qu’il fallait s’en éloigner pour pouvoir libérer autre chose. La famille peut vite circonscrire l’ensemble de l’écriture à son seul prisme.Trois mots qui pour toi ont à voir avec la poésie ?
Contemplation, beauté, vie, vérité, simplicité. Zut, il y en a cinq !
Tu fais partie des fondateurs de la revue de création littéraire La Piscine. Quelle est l’importance des revues de poésie à tes yeux ?
Essentielle pour qui cherche à faire connaître ses textes, son style d’écriture. C’est grâce à ma première publication dans une revue que j’ai sauté le pas vers l’édition. Non pas que j’y fus repéré par un éditeur mais parce que cette parution m’a donné l’assurance nécessaire pour proposer mes textes à des maisons d’édition.
Quels sont les poètes, écrivains et penseurs qui ont le plus compté pour toi et pourquoi ?
Pour leur poésie, Jean-Claude Pirotte et Pierre Autin-Grenier par l’entremise de Thomas Vinau. Tous les trois, poètes qui nous causent des « petits riens » de la vie pour en faire de grandes choses, de grands textes. Mais aussi, Dominique Boudou et Brigitte Giraud pour leur sensibilité, que je lis et relis souvent et qui sont devenus aujourd’hui des amis.
Pour les romans, le regretté Philippe Rahmy-Wolff avec Allegra et Béton Armé qui font assurément partie de mes livres préférés.
CHRISTOPHE SANCHEZ, né le 4 mai 1969, vit à Palavas-les-Flots (34). Co-fondateur de la revue littéraire et graphique La Piscine, éditions la Cyprière. Écrit en ligne depuis 2006 sur le blog fut-il.net, publication référencée à la BNF sous le numéro ISSN 2428-7962.
BibliographieL’instant à côté, Poésie, Éditions du Cygne, 2018
Les Gens, Chroniques, Tarmac Éditions, 2018
Sept variations sur le même thème, Poésie, La Centaurée, 2017
Morning à la fenêtre, Poésie, Tarmac Éditions, 2016
Rats taupiers, Récit, Éditions des Vanneaux, 2016
Ta vigne à sang, Tiré à part de la revue FPM, 2016
Dehors, recueil sans abri, Recueil collectif, Éditions Janus, 2016
L’ennui, Recueil collectif, Jacques Flament Éditions, 2016Parutions dans les revues suivantes :
Festival permanent des mots
La Piscine
Revue Métèque
17secondes (numérique)
d’ici là (numérique)
Ce qui reste (numérique)