SUDS (inédits et extraits de Feuilles du nord, L’échappée belle, 2021)
« On conçoit généralement les voyages comme un déplacement dans l’espace. C’est peu. Un voyage s’inscrit simultanément dans l’espace, dans le temps, et dans la hiérarchie sociale. » Claude Lévi-Strauss
Sous les manguiers du collège
Le géographe cherche l’ombreUne fumée blanche passe
Et inonde la courDes tourterelles quittent
Plusieurs fois
Leur habitat céleste
À la terrasse
Au bout de la terre
La légère caresse
De la lumière
Et du vent
Main féminine
Qui devient familière
Le puits souffre
Au cœur de la lumière
De midi
Le sol sent le caramel
Et la paille
Au bout du pays
Quel cœur trouveras-tu ?
Un paysage de brousse
Et des vaches tranquilles
En bord de route
Citadelles imaginaires
Qu’on découvre à mesure
Des regardsL’étranger s’aventure
Il contemple les villes
Et leurs petits commerces
Mosquée de la mer
Travaillée par le vent
Et l’iode
Et la pluie
Qui résonne le matin
Entre les aboiements
De quelques chiens galeux
Avant le règne blanc
D’un autre jour d’été
UNE PEINTURE
« Dans ces acacias
en fleurs après
l’orageÉtymologie
de la lumière »Larmes Qamar - Stanislas Cazeneuve, éditions de La Crypte
C’était un paysage de haute friche, un jardin ombragé, et une maison pour y vivre. Revoir chaque page d’un grand livre raturé. Y repasser, observer la lente progression de la rivière, et son regard au bord, comme au bord de mots. On y reconnaissait la même ombre brune, où dormaient les poutres et le mobilier. Et la reconnaissance charriait les vases, les écumes, à mesure qu’on l’occupait.
Je me souviens d’un soleil d’automne, très jaune, qui venait raviver le bureau, et nourrir des plantes luxuriantes.
Le soleil d’automne, sur la toile, était une lune. Et elle ne représentait ni intérieur ni saison. Simplement une nuit, indéfinie, qui suggérait l’Orient. Et un chemin à suivre entre les pierres, et les gouttes d’eau.
On l’empruntait parfois comme une routine solitaire. Mais une fois sous le ciel, on siégeait là dans des pas anciens comme les lézardes. Autant de marques que faisaient blanchir les hésitations de la langue, celle que l’on croit sienne et celle qui devient livre, et que les pensées creusent à marée haute.
Cette image pouvait aussi bien faire penser à l’Afrique de l’Ouest. C’était peut-être en raison de la toile, qui semblait brunie comme la terre après les feux de brousse. Je l’associais sans savoir exactement pourquoi à ce continent. Peut-être n’étais-je pas du tout sur la piste.
J’allais avoir pour travail de mettre en page un manuscrit dans cette maison. Cela supposait de vivre avec au moins quelques heures pour le travail d’édition. Je l’avais déjà apprivoisé en Ariège, je ne retrouvais là que les échos de la pièce où je l’avais lu. Le ventilateur sur son pied fragile faisait circuler l’air malgré tout étouffant. Et c’était là travail de « rivière » pour les mots que le vent déposait parfois entre les lignes, où laissait à la langue, qu’on n’ose plus ralentir.
J’étais content d’assister à l’homme et l’œuvre. Le bord du fleuve, c’était aussi cette rive là, du bout du continent. Des ramures orientant le regard dans la grandeur du ciel. Et un grand disque de lune, lisse et immobile, dans l’apesanteur d’une nuit presque blanche.
La forme de la végétation évoquait les ombres chinoises. J’avais l’impression d’un vieux conte de là-bas. Ne manquait plus qu’une barque pour longer la rive calme, et bousculer les eaux. Ce serait un pêcheur peut-être.
Et des grenouilles répondraient au passage de l’homme. Il suffirait alors de se guider au clair de lune, par ces vers de Li Bai :
Des jardins anciens ne reste qu’une terrasse désolée où
croissent des jeunes saules,
Le chant clair des cueilleuses de châtaignes d’eau ne passe le printemps
La lune, qui aujourd’hui brille encore sur le Fleuve de l’Ouest,
Autrefois éclairait les courtisans du roi de Wu.Visitant les vestiges de la terrasse Su - Li Bai
Sur notre terre exilé, Orphée, L
Mini-entretien avec Martin Wable par Clara Régy
Tu es très jeune, mais écris-tu depuis longtemps ? (même si la question peut sembler curieuse...).
Oui j’écris depuis longtemps, cela n’est pas si curieux car il y a de jeunes auteurs (qui débutent) d’un âge mûr et des auteurs mûrs d’un plus jeune âge. Et il y en a aussi qui murissent très vite leur écriture et d’autres dont le progrès est très long. Je me permettrais de me situer parmi ceux qui murissent à moyenne allure en ayant commencé tôt.
Tu parles de l’importance des lieux, sont-ils toujours réels ou bien parfois rêvés ?
Les lieux sont d’abord réels, et l’idée dans plusieurs projets c’est de montrer qu’il y a plus de choses à dire sur ce réel que sur l’imaginaire, parce qu’il est plus grand et plus vaste. C’est en tout cas un point de départ sur lequel se baser dans l’écriture.
Partir à la recherche de ce qui habite la terre, de ce qui la fonde, ce qui la forme c’est ouvrir de nombreux champs du langage et finalement il est amusant de voir qu’on en a jamais assez dit. Les médias dont la profession est de dire le réel le font parfois trop vaguement, les codes de la profession l’exigent. L’information est aplanie, elle se veut objective mais se retrouve bien souvent pauvre de contenu. Les scientifiques aussi ont leurs codes de la profession et s’inscrivent dans des aventures qui peuvent être difficiles d’accès. Dans le monde du documentaire, où chez certains écrivains il me semble qu’on touche à quelque chose de plus essentiel dans le développement de ce réel vécu, et qu’il devient plus intéressant et convaincant de s’informer de ce qui se passe sur Terre.
Mais il y a une limite à tout ça qui est qu’il faut de l’imagination pour développer tout ce réel. L’imagination d’abord de toute personne qui écrit et sollicite ses connaissances de la langue, de ce qu’elle sait de choses déjà apprises, médiatisées, mais aussi l’imagination de souvenirs plus immédiats du réel. La géopoétique est la dialectique entre ces deux concepts du réel et de l’imaginaire/la rêverie.
Le poète pour toi semble davantage tenir de l’artisan plutôt que de l’artiste ? Est-ce bien cela que tu veux (nous) dire ?
Dans certains projets c’est une idée dominante. Mais afin de le comprendre il faut d’abord se débarrasser de la dévalorisation de l’artisanat qu’on pose d’entrée de jeu. Les deux mots se réfèrent à la même chose mais là où la distinction est importante c’est que l’artisanat nous dit beaucoup de choses non pas seulement dans l’œuvre mais aussi autour de l’œuvre, au sujet d’une culture, d’une localité bien souvent, et de l’interaction du produit avec son milieu.
Finalement en terme de significations, en terme de richesse d’informations qu’un objet artisanal suggère je préfère bien souvent cette conception là d’un poème pour avoir la qualité de nous ouvrir vers toujours autre chose, et de n’être pas comme une impasse, un lieu fini et isolé en face duquel il nous faut contempler ce qui est le produit désintéressé de tout réel, invoquer nos émotions, et rebrousser chemin. L’artisanat a cette fonction de connecter les choses qui me plait a priori bien comme ligne d’horizon dans certains projets. L’idée est donc bien de dire un peu cela, (mais pour le reste je ne suis pas chercheur ni spécialiste des questions).
Quels sont les auteurs qui te semblent essentiels ?
Il sont nombreux et sont comme des territoires chacun d’entre eux où il s’agit de se situer ou non, et dont il faut choisir les modalités que la métaphore peut proposer ensuite comme le climat, les reliefs, la langue, etc.
Mais pour parler d’évidences il y a des auteurs comme Mahmoud Darwich, Yves Bonnefoy, Kenneth White bien sûr et des plus jeunes comme Tom Nisse, Antoine Wauters, Maël Guesdon, François Graveline. Il y a aussi dans les auteurs très classiques Platon, Rûmi, Julien Gracq. Rien de surprenant.
Peux-tu définir la poésie en 3 ou 4 mots, même si cela s’avère difficile ?
Et non je crois que je ne pourrai pas, ce n’est pas autre chose qu’un genre littéraire qui compte des milliers de titres, autant de frontières, des choses passables et d’autres très bonnes. Cela fait plus de 10 mots !
Bio-bibliographie
Martin Wable est né en 1992 dans le nord de la France et vit actuellement dans les Landes. Travaillant dans l’édition, il est aussi créateur avec Pierre Saunier de la revue Journal de mes Paysages, d’inspiration réaliste.
La Pinède , éditions maelstrÖm, 2012
Prismes , éditions de La Crypte, 2014
Snobble , éditions maelstrÖm, 2015
Géopoésie (Prix de la Vocation), Cheyne éditeur, 2015
Un aquarium sur le toit , (coécrit avec Patrice Duret), éditions Le Miel de l’ours, 2016
(Page établie avec la complicité de Roselyne Sibille)