Extraits de « Plein vol », poème IV du Sens du Vent
On n’a jamais été portés
Au laisser-allerNotre gravité nous tient
Serrés court
Et dans le peu des choses
Bien obligés
On respire menuDe la vie pourtant
On attend plus
Que la vieC’est là-haut
Que cela se joueLe ciel est tout ouvert
Pour nousNos œuvres à venir
Réduits à ne compter
Que sur nous-mêmes
Peut-être pourrions-nous
Tenter notre chanceProfiter de ces élans rares
Qui nous font quitter terreOn envie les oiseaux de haut vol
Leurs vues dégagées
Leur aisance à recevoir
Les dons du cielOn rêve d’évolutions choisies
De voies enfin souveraines
On a toujours eu
La transparence de l’air
Notre présence comme notre absence
Passent inaperçuesCa ne devrait pas être si difficile
De nous envolerNe nous manquent que les ailes
Rien ne nous retient vraiment ici
Au mieux on joue les seconds rôles
Sous la conduite des autres
On occupe la place du mortLa belle occupation
Les martinets fendent le gris
Sans relâcheNous on n’est pas des flèches
Pour défier la dure loi
De la pesanteur
On dépose nos fatigues
Nos humeurs chagrinesDans nos tours et détours
On cherche un courant ascendant
Une élévation
Qui nous qualifie
Du plein ciel
On espère l’acquiescementUne fois abandonnés
Nos biens ordinaires
Nos fâcheries nos terreurs vagues
On arrive à prendre
Un peu de hauteurOn s’éclaircit
Nous vient une lucidité méridienne
Une agilité à déjouer
Les mots les promesses en l’air
Les martinets voltigent en bande
Leur volubilité fébrile
Agite l’airLe ciel leur est nourriture
Pour nous on le sait
La route est étroite
Parmi les largesses du cielCe qu’on prenait
Pour un infini de possibles
N’est qu’une maigre renouéeOn doit être difficiles
À contenter
On n’aura jamais
L’insolence des oiseauxOn voit bien leur manège
Passée l’heure des vols planés
Des courses poursuites
Ils se reposent sur l’airIls dorment
Dès qu’on veut gagner les hauteurs
Curieusement
On se retrouve encore plus seulsNos heures trouées
Par l’insomnieOn ne doit pas être
Dans notre élément
Éboulis de nuages
Pierriers haut perchésLe temps comme nous
Est lourdLe ciel aussi
A ses fondrièresAu moindre point de rupture
On perd piedTrou d’air
De l’élévation
On connaît les retombéesOn est si peu faits
Pour la légèretéFinalement
On est soulagés
De se retrouver
Les pieds sur terre
Puisqu’il faut nous résoudre
À occuper ici-bas
Une place nouvelle
On la choisit premièreOrgueil nous dit-on
Peut-être
De cette seule façon
Pour nous
La terre deviendra un ciel
Mini entretien avec Cécile Guivarch
D’où vient l’écriture pour toi ?
Je suis une guerrière. Placée en situation d’urgence intérieure, je passe ma vie à sauver ma vie. C’est pour cela que j’écris.
Chaque texte me paraît toujours être le dernier recours possible, la seule réponse à une nécessité toujours aussi appelante. Écrire est un acte d’une inimaginable gravité. Il s’agit de défendre ce qui fait le prix de notre vie : nos insoumissions, nos élans farouches, nos revendications intimes. Ce qui en nous ne se laisse pas faire et se laisse dire si peu.
Dans ces combats, je n’y vais pas de main morte : la main qui écrit, c’est aussi la main qui donne – qui ouvre à la vie. Le chemin des profondeurs n’est pas un chemin de ténèbres, c’est un chemin de lumière. Qu’on se le dise : les lampes et les poètes sont de mèche !
Comment travailles-tu tes écrits ?
Je travaille beaucoup, dans cette solitude qui n’est supportable que parce qu’elle nous permet, en nous ouvrant à nos espaces intérieurs, de les ouvrir ensuite aux autres.
Je n’oublie jamais qu’au bout du livre se tient une personne que je ne connais pas mais dont j’ai, par principe, une haute idée. Avec exigence, j’essaie de me tenir au meilleur : que le lecteur voie, dans cet effort, tout le bien que je pense de lui.
Je corrige et recorrige longuement mes textes. J’aime les phrases qui tiennent droit – sans raideur excessive pourtant. J’essaie d’aller au plus clair (fi des propos impénétrables ou des paroles bisées), au plus dense, au plus serré. Toute forme d’effilochage, d’émiettement ou de délayage me paraît suspecte. En poésie (comme dans la vie) : ni nielles, ni vielles.
Je lis mes textes à voix haute, et veille à pouvoir y respirer sans éprouver la moindre gêne : l’enjeu n’est pas d’obtenir un texte « lisse », mais un texte « juste ».
Quelle est ta bibliothèque idéale ?
Je suis incapable de « garder pour moi » un bon livre – impossible de le ranger sagement dans ma bibliothèque pour qu’il y prenne la poussière : je le prête, il passe de main en main et fait son chemin – très souvent, bien sûr, on oublie de me le rendre.
Pas de drame. La bibliothèque idéale, ce n’est pas une collection de livres, mais bien plutôt les traces de leur passage en nous. C’est une bibliothèque impalpable, qui ne tient sur aucun rayonnage mais qui exerce à plein sa force de rayonnement. L’éclat de tous ces mots, la puissance de toutes ces pensées qui nous ont fait forte impression. Il est ainsi des phrases merveilleusement uniques, des propositions éblouissantes dont je me souviendrai jusqu’à mon dernier souffle – parce que, d’une façon ou d’une autre, elles ont changé ma vie.
J’ai beaucoup d’affection pour les bibliothèques ambulantes, ces « bibliobus » qui véhiculent du savoir et du plaisir jusque dans les lieux les plus improbables … Ma bibliothèque idéale est une bibliothèque en mouvement : elle marche en même temps que moi, m’aère, me nourrit, me fortifie. Les bons livres nous mettent en route : ils assurent notre subsistance – ce qu’on appelle des « vivres ».
Florence Saint-Roch est née en 1965 à Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais – sous un tout autre nom… Après avoir enseigné pendant presque vingt ans dans le secondaire et le supérieur, cette titulaire d’une agrégation de lettres et d’un doctorat a choisi, depuis 2008, de recouvrer sa liberté et de consacrer le plus clair son temps à l’écriture.
Bibliographie
Sous le nom de Florence Emptaz
- Aux pieds de Flaubert, essai, Grasset, 2001
- Le Mangeur de chagrins, Le Riffle, 2006
- Fête des Mères, récit, Stock, 2009, J’ai lu, 2011
- Divorces, récit, Stock, 2011
Sous le nom de Florence Saint-Roch
- Hauts cris, Anthologie Poésie Tarabuste 2013
- Peste noire, extraits, Revue la Décharge n° 160, déc. 2013
3 Messages