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Ilann Vogt

mercredi 12 juin 2013, par Cécile Guivarch

Extraits de Baumes

1.
nous resterons sur l’œil
et verticales à l’œil

un couchant

nous avalerons les membres
avec les membres
les mots feront
bois
et la langue des lueurs
nous serons paroles
dans les joncs pâles de la paupière

- nous serons -

nous serons paroles
avant le commencement de la parole
et pierres
avec un gout de pierres
la chair
se refermera sur de la chair
laissant couler le lait avec les arbres
nous répéterons l’œil
avec le regard
nous répéterons notre langue
dans l’ambre de ses mains
nous répéterons la langue
dans le sperme
pour voir sortir là

une fente du vibrant
pour recouvrir l’os sur le miel
réchauffer le membre dans les marais
et les lises
- et -

le teint se couchera

laissant le tronc
avec la sueur
alors la mémoire sera tiède
la langue cendre
et notre regard autour



2.

la chair sera un dire
et verte de baves

nous serrerons avec la langue le blanc
enlevant le jour
d’une lèvre
la chair et l’œil

dresserons des verges

dans de molles paroles
ici la langue a disparu
vidée de jour et d’organe
c’est elle
c’est elle que
nous demanderons à voir
c’est elle
c’est
ce que nous ne cesserons de voir
dans les colonies de lèvres



3.

quelque chose a fait membre
les ventres ont gonflé le soleil
la neige s’est faite terre
nettoyant la mousse
et le regard
dans les placentas d’orges
et dans le bain mauve des panses
nous buvons l’urine

nous ne faisons
nous ne faisons
encore et encore
que voir
que dire
qu’une parole est pleine

qu’une chose est le lent bave
et nous restons un corps
où les rivières nagent de leurs pleins
nous restons ainsi qu’un vol
sur de la chair
saisie
de craie et de lumière




Mini-entretien d’Ilann VOGT par Cécile GUIVARCH

D’où vient l’écriture pour toi ?

L’écriture vient pour moi d’un désir de métamorphose. Ce désir de métamorphose est un désir de transformation, une manière de prendre les choses qui nous entoure, de les nommer, de les dire et dans ce geste de la parole de les transformer en son, en image, en mouvement. Elles prennent alors forme dans l’espace des mots, et se digèrent à travers le poème. Nous voyons ainsi la parole, les choses, prendre forme dans l’entonnoir du poème. Alors dire les choses nous assure de leurs tangibilités. Dans ces dires, il y a la jouissance de la langue, d’enfin donner un nom, un mot (si obscur soit-il) aux choses. Ce dire vient sans doute d’une volonté d’incarnation du corps et de la chair même à travers la langue. Je veux dire le corps n’a, à notre époque, que peu d’occasion de s’incarner, de s’inventer. Le poème forme alors une opportunité, ou la langue peut être un outil de nos propres incarnations.

Comment travailles-tu tes écrits ?

Le travail d’écriture vient souvent perturber une sorte de continuum quotidien, elle vient, urgente, comme un jaillissement de langage, des éjaculations mentales. De là viennent les carnets, cette phase est très brève mais très productive : il m’est arrivé d’écrire une cinquantaine de pages en l’espace d’une journée. Puis vient le travail de relecture, je travaille souvent avec un dictaphone, je relis à voix haute, puis réécoute en corrigeant les passages qui dans l’oralité ne fonctionnaient pas. Cette phase peut être très rapide comme nécessiter une vingtaine, cinquantaine, centaine de relectures jusqu’à satisfaction. J’envisage dans ce processus les répétitions comme faisant partie intégrante de ce travail.

Quelle est ta bibliothèque idéale ?

Sûrement celle d’un parfait inconnu amateur de livres (littéraires ou non). Ma bibliothèque étant, avant tout, constitué de livres que je n’ai pas lu, mais à lire, j’aime penser que les livres agissent en potentialité d’histoire et de forme du langage, j’aime l’idée qu’ils puissent se fermer, et renfermer tout autant d’imaginaires, de voix, qu’il y a de livres. C’est pourquoi les livres restent souvent non lus avant que je ne décide à m’engager dans un ouvrage. Car cette ouvrage renferme sans doute une part d’imaginaire et d’obscurité qui m’est tout à fait plaisante. C’est sûrement pour cela que j’aime voir chez les autres leurs propres bibliothèque, par voyeurisme littéraire certainement, mais aussi car cette bibliothèque renferme certainement des heures passées à lire des ouvrages, elles définissent, dessinent aussi une sorte de portrait de son lecteur qui, à défaut d’être idéal, reste véritable.


Ilann Vogt est poète et plasticien, né à Quimper et vivant à Rennes. Son travail d’écriture a fait l’objet de publications au sein de revues (Triages, N 4728, Gelée rouge) et de lectures dans le cadre du festival de poésie contemporaine de la Maison de la poésie de Rennes. Un de ses recueils, L’éventré, fut mis en scène par le Theater GegenStand à Marburg en Allemagne, où il co-mis en scène avec Prunellia Fuchs Le bateau ivre d’Arthur Rimbaud.


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1 Message

  • Ilann Vogt Le 14 juin 2013 à 12:51, par Anael Chadli

    Tes mots si exacts à faire éclore cette langue qui du sens saigne et dont la saveur se prolonge comme baume à la plaie. Appel à épeler . à épeller la chair intime du monde, et comme cela résonne et répand l’étendue de soi comme braises. Tout alentour au regard s’incarne. Merci Ilann

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