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Lydia Padellec

mardi 15 janvier 2013, par Cécile Guivarch

extraits de Entre l’herbe et son ombre


« Deux voix se font entendre ici, à la fois proches et différentes. L’une observe le quotidien d’une femme, assise tôt le matin à la table de la cuisine.(…) La deuxième voix explore la naissance du poème dans le silence et la ferveur.(…) » extrait de la préface de Cécile Oumhani.

1.

Tôt le matin
la mère lève les plis
de sa peau
les yeux s’attardent
sur la rondeur
de la lune

Je me retourne sur le poème et respire le blanc entre chaque mot. Le silence m’impose une respiration profonde. Un regard vers l’intérieur de soi.
La lune est pleine. Mon ventre reste vide.



3.

Sur la table traversée
de lumière
l’empreinte de doigts
des enfants
caresse sa mémoire

Me souvenir du premier mot. Celui que j’ai entendu après le cri : était-ce mon prénom ?
De la chaleur humide du fœtus je ne me souviens de rien. Qu’en est-il des mots qui sortent du cerveau ?



4.

Elle s’assoit
le corps lourd
de souvenirs charnels
la paume tournée vers le ciel
dans l’attente
d’une autre paume

L’espace entre les mots et la pensée précède-t-il le geste d’écrire ? Les doigts enserrent le stylo ou tapent sur le clavier. Frénétiquement mon regard suit un chemin de pensées.
Est-ce que je sais à l’avance où me mènent les mots ?



7.

La poterie est lisse au toucher
sa forme tordue rappelle
le mouvement maladroit
des petites mains

un souvenir de pissenlits
s’évapore dans l’odeur
du détergent

Chaque mot est malaxé avec la langue, comme on le fait avec un bonbon. Il se cogne contre les dents. Parfois, il peut avoir un goût amer.



8.

Les rayons du matin
se frottent sensuellement
à chaque objet
un chat invisible et doux
se glisse
jusqu’à son visage

Faut-il caresser le mot pour l’apprivoiser ?



9.

Des silhouettes ondulent
sur les murs
ombres dansantes
elles rient en silence
et la mère rit aussi
dans l’écoute
de la lumière

Les mots viennent comme des vagues traversées de soleil. On voudrait les saisir de la main. On voudrait arrêter le temps.



12.

Tout va si vite
le corps change
au creux des écorces
un an, dix ans, trente ans
et les rides deviennent
racines de la mémoire

Je désespère de la lenteur des mots quand tout dans ce monde ne connait que fulgurance et mort subite. Sait-on encore s’arrêter pour compter à l’infini les flocons qui tombent du ciel ?



15.

Sous sa paupière
la mère voit l’enfant
grandir
et la silhouette qui
s’élance dans l’aube
devient oiseau

A chaque mot le poème grandit.

Son mystère aussi.




Mini entretien par Cécile Guivarch

D’où vient l’écriture pour toi ?

De l’observation du quotidien et de mes semblables, des souvenirs, de l’absence et de la perte, de l’amour et de l’amitié, de mes lectures. Je suis une personne silencieuse qui maîtrise assez mal la parole orale (ou devrais-je dire « la prise de parole »). Je parle avec les yeux et j’écris avec la voix. Il est aussi important pour moi de lire les autres poètes que d’écrire mes propres textes : ces rencontres sont des bornes sur mon chemin en poésie.

Comment travailles-tu tes écrits ?

Je différencie toujours l’écriture du haïku des autres poèmes. La démarche n’est pas la même. D’ailleurs quand je me présente lors d’un atelier ou d’une rencontre, je dis que je suis poète ET haïjin. Concernant le haïku, j’ai un petit carnet qui ne quitte jamais mon sac à main : le haïku me vient d’une manière spontanée en observant les gens et le paysage. Je suis souvent « inspirée » dans les transports en commun. Quand le haïku « résiste », je note l’idée et je le laisse mûrir. Je le retouche assez rarement. Le haïku procède d’un regard vers l’extérieur. Alors que le poème est, me semble-t-il, plus intériorisé. Issu d’une période de maturation plus ou moins longue, plus ou moins inconsciente, le poème surgit et parfois, de manière convulsive, je peux en écrire plusieurs à la suite. Il est également primordial pour moi de « dire » le poème : quand je note plus haut que « j’écris avec la voix », cela signifie que j’écris le poème à voix haute. J’ai besoin d’entendre les mots se défroisser dans mon oreille.

Quelle est ta bibliothèque idéale ?

Marraine d’un petit garçon de quatre ans, je constitue depuis sa naissance une « bibliothèque idéale » où chaque livre de poésie et de contes est dédicacé à son nom. Les « Petits Géants » des éditions Rue du monde ont beaucoup de succès auprès de lui et il connaît déjà par cœur certains poèmes (Vian, Desnos, Cendrars…). Quant à ma propre « bibliothèque idéale », de nombreux poètes se côtoient, souvent des voix en résonance, plutôt « lyriques » et surtout humanistes : pour les « classiques », je citerai Robert Desnos, Sylvia Plath, Anna Akhmatova, Issa, Bashô et Chiyo Ni, Guillevic… et pour les contemporains, Andrée Chedid, Christian Bobin, Salah Al Hamdani, Lionel Ray, Cécile Oumhani, Vénus Khoury Ghata et bien d’autres… On y trouve aussi quelques romanciers : la japonaise Yoko Ogawa, Katherine Mansfield, Stefan Zweig, Virginia Woolf, Edgar Poe et la littérature fantastique en général… Et quelques personnages de théâtre : Hamlet, Dom Juan, Alceste et Antigone. Il n’est bien sûr pas possible de tout mentionner, car la liste des écrivains que j’aime est très longue…

Lydia Padellec est née à Paris en 1976, est publiée dans plusieurs revues (Incertain regard, Poésie/première, N4728, Spered Gouez…) et une vingtaine d’anthologies en France et à l’étranger (Canada, Japon…) dont dernièrement Seulement l’écho (La Part commune, 2010), Nous, la multitude (Le Temps des Cerises, 2011), Correspondances de haïku – France/Japon (bilingue, Biken International, 2011), Enfances, Regards de poètes (Bruno Doucey, 2012). Poète, haïjin et plasticienne, elle crée en 2010 les éditions de la Lune bleue. En résidence d’écriture en 2010-2011 à la réserve naturelle de St Rémy-lès-Chevreuse. Depuis 2005, elle anime des ateliers d’écriture (poésie et haïku) et d’arts plastiques (art postal, haïga) dans les écoles, les médiathèques, les maisons de retraite... Elle a publié La maison morcelée (Le bruit des autres, 2011), La mésange sans tête (Eclats d’encre, 2012), Sur les lèvres rouges des Saisons (éditions de l’Amandier, 2012).

Pour en savoir plus :


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