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Dominique Boudou

dimanche 23 février 2014, par Cécile Guivarch

Extraits de dans la durée des oiseaux

Tu viens d’entrer dans un temps de murs blancs, avec le vide pour durée. Tu dois puiser en toi l’eau et le pain, le sel et le sucre. Sauver ton corps couché sous la lumière où ta mère t’a brûlé. Retrouver la mesure du sang et de la peau. Loin des signes rongeurs d’enfance. Par la fenêtre fermée, un petit rectangle de toits et de voitures joue comme un paysage.

Un rêve de guerre traque tes yeux battus quand tu te réveilles. Ses ombres épuisent tes jambes dans la tourbe du jardin et le café prend le goût des dents creuses. Aucun soldat n’y chancelle au bord du vide. Aucune mitraille dont tu pourrais te saisir pour continuer le jour avec nos mots. Le ciel reste debout par-dessus les toits, dans un soleil plat. Seule une rumeur sourd et mes mains coupées la laissent gronder en tes plaies. C’est la mort qui étouffe un cri, là où ton ventre ne saignera plus jamais.

L’enfance des lignes jointes entre les pierres. Dans les corridors où veillent les chats. Sur les dalles infinies des pas perdus. Marcher dessus t’effraie encore. Le ciel tomberait et ce serait ta faute. Tu allèges ta faim pour alléger ta marche. Tu cherches en toi une impossible transparence. Qui lèverait tous les mystères. L’amour dans le lit de la mort. Leur odeur de suint sur la peau. Une durée si lourde que j’en perds mes mains.

Tu prends le temps de la nuit aux mots. Quelques vieilles silhouettes traversent tes yeux. Le jour les ferait pleurer. La nuit protège leurs larmes sur la marge du papier. Une fièvre, dis-tu, te mène au silence rouge d’une cigarette. Tes mains courent au devant des phrases. Loin du rond de la lampe, une goute d’eau dans l’évier te tient en alerte. C’est maintenant que la langue se joue. Tu la dépouilles. Tu la couches en toi. Et les silhouettes désignent des visages perdus. Une soeur. Un père. Un amant. Saisir leur instant fragile à la lisière de l’aube. Parler encore et encore de la neige et du sable. Disparaître enfin sous tes paupières, quand l’évier se tait.


Mini entretien avec Cécile Guivarch

D’où vient l’écriture pour toi ?

Voilà bien le mystère. Je ne peux que l’approcher de loin. Mon histoire personnelle a probablement joué un rôle. Mon enfance en retrait dans un monde campagnard dont je n’avais aucune clé, à commencer par celle de la langue. Mais il n’y avait aucun livre à la maison, pas même le Bottin puisque « nous » n’avions pas le téléphone. J’ai découvert l’existence des livres à l’école communale. Je ne me souviens pas d’y avoir appris à lire. En revanche, je me souviens d’avoir résumé Lassie chien fidèle en ce1 ou ce2. Je n’avais rien compris à cet exercice. Je m’étais mis à écrire de mémoire tout ce que je savais du roman. Au bout de combien de pages le maître m’a-t-il dit d’arrêter ? Je l’ignore. En fait, c’est au collège que j’ai écrit mes premiers vers. Et c’est là aussi que je me suis vraiment jeté dans la lecture, toutes sortes de lectures. Je n’ai pas arrêté depuis. Il est possible aussi que l’écriture me vienne de mon père que je n’ai pas connu. Il a écrit des centaines de lettres à ma mère qui était marraine de guerre alors qu’il se battait comme légionnaire en Indochine puis en Algérie.

Comment travailles-tu tes textes ?

Je travaille à la façon du peintre qui passe plusieurs couches. J’ai commencé Dans la durée des oiseaux en 2005 et je passe encore des couches. Mais avec l’ordinateur, la page étant toujours propre, j’oublie les reprises, les grattages, les retouches. Mon but est toujours d’enlever le trop. D’où des livres courts, très courts. Pour la poésie ça va, mais pour les romans, c’est plus dangereux, ça donne souvent un résultat sec. Entre le peu et le trop, le chemin est semé d’embûches, d’ornières.

Quelle est ta bibliothèque idéale ?

Je n’en sais rien. Je suis un lecteur pathologique et la bibliothèque que nous avons construite, Brigitte Giraud et moi, a une existence autonome. Il faudrait pouvoir la réduire à, mettons, trois ou quatre cents livres. Alors, elle serait peut-être idéale. En poésie, je garderais Rimbaud et Lorca, Follain, Cadou, Guillevic. Plus une poignée de contemporains dont Emaz et Llamazares. En romans, beaucoup plus, il faut prendre en compte aussi la SF et la littérature policière ou noire. Je garderais aussi quelques livres d’art : Bacon, Goya, parmi une dizaine d’autres, pas plus. Et enfin il y a les dicos, en français et en espagnol. Robert 1 et 2, le Girodet des pièges de la grammaire... Et puis et puis... comment savoir...


Je suis né à Paris en 1955 et je vis à Bordeaux depuis quarante ans. Après des études cahotiques en langues vivantes, je me suis fait instituteur et ne m’en plains pas trop, finalement.

Bibliographie

Roman :
Un grand silence, éditions le Bord De L’eau, 1995, prix Charles-Brisset
Les boîtes noires, éditions Gallimard, 1999

Essai :
L’école et la danse des ours, éditions le Bord De L’eau, 2004

Poésie :
Fragments pour une dormeuse, éditions Opales, 2001
Quand ta mère te tue, éditions Pleine Page, 2007
Battre le corps, éditions Le Nouvel Athanor, 2013

Anthologie poétique :
L’année poétique, éditions Seghers, 2008
L’athanor des poètes 1991/2011, éditions Le Nouvel Athanor, 2011
Enfances, regards de poètes, éditions Bruno Doucey, 2012

Traduction :
Zapatos de andar calles vacías/Pas perdus dans des rues vides, traduit du poète espagnol Raúl Nieto de la Torre, éditions Pleine Page, 2008


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