Que faire du démon
une fois l’aube bue ?
Quels mots, où poser la chair nue ?
Il passe la gorge où le souffle trie
mâche l’ombre auprès du lits’il faut dormir sur le ventre fidèle
l’oiseau aux longues ailes
emporte le cri
Le sang s’écoule rouge et sombre
m’inonde
là pieds nus sur la terre
branchée
enracinée et déjà partiel’élan m’allège et me porte
quelque chose, air et eau
squelette et peau,
me supporte
le mal me traverse
Et les nuages sont longs
ta langue sans prièreen cet instant illuminé
les feuilles repliées à peine
visibles et vertes
le vent agite tout ce qui bouge
vibre sur tout ce qui esttu n’attends pas de réponse
dans ta poitrine ouverte
le soleil s’est logé entier
Puisque dans le ciel le soleil brûle
que derrière les yeux le paysage oublie
j’irai demain
boire à la vague
Mon âme m’a serrée
ce jour de douleur
quand je me suis envolée
elle enveloppait la lame des mots
dans son silence
et j’ai perçu son souffle
Paix sur moi à l’ombre des oiseaux
Paix sur moiCet après-midi le soleil d’hiver
rentre à flots
le verni ébloui rend illisible
le visage du vieux portrait
Distingue le bleu dans les limites
du ciel
Petit entretien avec Clara Regy
Depuis quand écris-tu ? Ou plutôt depuis quand as-tu envie d’être lue ?
J’écris très exactement depuis le 20 février 2013. Un stage d’écriture poétique dans le cadre de mon travail de professeur des écoles… mes élèves écrivaient des poèmes, participant notamment chaque année au concours « Poème express », et je prenais beaucoup de plaisir à les faire progresser et découvrir avec eux la poésie contemporaine, qui m’était auparavant inconnue. Le désir de prendre moi-même le stylo devait grandir, mais je n’en avais pas conscience. Depuis mon enfance je savais qu’un jour j’écrirais, mais j’imaginais que ce serait des romans ! Pourtant, il m’est tout de suite paru évident que la forme poétique, dans sa densité, son abstraction et sa liberté, me convient parfaitement.
Cette date est également celle du décès de mon père et cette concordance a été déterminante pour la passion d’écrire qui a suivi. Mon enfance et les liens délétères que j’entretenais avec mon père – des liens qui m’empêchaient d’ailleurs d’écrire – sont « sortis » en mots serrés, imagés, douloureux mais libératoires. J’ai pensé d’emblée, orgueilleusement, que ces textes pourraient être édités ! Une lecture publique de l’été 2013, lors du festival Les Voix de la Méditerranée à Lodève, m’a convaincue que la force que je ressentais dans l’écriture pouvait être partagée tant les spectateurs présents m’ont encouragée. L’année suivante, au même endroit, j’ai rencontré l’excellente Dominique Sierra qui dirige les éditions de La Tête à l’envers et qui a décidé de publier mon recueil D’Ararat. J’ai alors beaucoup travaillé la cohérence de l’ensemble, cherché un principe d’organisation, et c’est seulement à ce moment-là que le lecteur potentiel a pris sa place car sinon je ne suis pas consciente de sa présence ; cependant quand j’écris je ne suis pas seule, la langue est convoquée, mon image de la poésie, une sorte d’universalité de la notion de beauté…
Tu dis j’écris « la mémoire, la nature et l’amour » ainsi tu sembles déjà répondre à ma « curieuse » question : « si tu devais définir la poésie en 3 mots ? » peux-tu nous en dire davantage ?
Si j’ai commencé en poésie par la douleur, celle-ci n’est plus au cœur de mon écriture ; tout au moins l’irrigue-t-elle sans en être le principe. Le mot « mémoire » reste cependant important pour définir ma poésie : les strates de temps se mélangent, des figures traversent les vers comme des fantômes ou des parties mal connues de mon corps, certaines couleurs subsistent sans que je puisse déterminer leur origine. Mes textes d’amour portent eux aussi l’empreinte du temps qui passe et se mélange, notamment dans la « feuille » (un tout petit recueil) intitulée Les Longues noces. L’amour est d’ailleurs un thème présent depuis les tout premiers textes, et ce malgré ma grande pudeur en ce domaine. Là comme ailleurs je recherche la simplicité et j’essaye de transcrire des moments suspendus au fil d’une émotion que le corps et des éléments naturels transmettent. Quelques poèmes semblent faire allusion à une histoire dont un seul instant est accessible ; j’aime leur adjoindre une tonalité un peu fantastique. Évidemment ma propre expérience amoureuse s’exprime dans ces textes, mais il y a bien plus ; parfois en écrivant je me sens devenir tous les Hommes – enfin plutôt toutes les femmes !
Le troisième mot, « nature », plus qu’un thème définit mon rapport aux mots. La beauté du monde naturel est la matière du poème dans la mesure où ses éléments constituent une partie importante de mon vocabulaire et de mon imaginaire. Quand je marche ou que je contemple un paysage les impressions s’emmagasinent quelque part ; il faudra les « digérer » et qu’elles s’imprègnent de mémoire, se mêlent à des souvenirs, des bouts de phrases lues ou entendues, des images de films qui m’ont marquée… pour que le poème survienne. Je n’écris donc jamais « sur le vif » mais toujours avec la nature, qui apparaît souvent indissociable de mon propre corps.
Tu évoques le plaisir, ou peut-être pour toi l’évidence de la lecture à haute voix. Par quels moyens fais-tu vivre cette transmission orale ?
J’ai toujours aimé lire à haute voix parce que c’est l’occasion de rendre audible, et donc de partager, la beauté de la langue. La langue est d’abord sonore, c’est d’autant plus vrai en poésie. Ce plaisir de la lecture à haute voix se concrétise quotidiennement dans mon métier puisque je suis maintenant professeur de français. Je vérifie à chaque fois le pouvoir quasi hypnotique de la voix en train de lire un beau texte ; à cette dimension du plaisir se joint d’ailleurs la meilleure compréhension du sens du texte, et ce n’est pas là un moindre bienfait. Il ne s’agit pas d’un sens littéral, qui serait le même pour tous, car je pense que la voix laisse libre en donnant à entendre, aux deux sens du terme. Lors des lectures pour l’émission de radio « Les arpenteurs poétiques » (à écouter sur le site de la radio RPH) mes amis et moi-même cherchons le rythme et l’articulation les plus à même de convenir à chacun des textes, mais peu d’intonation – la poésie ne se lit pas comme le théâtre.
J’ai régulièrement l’occasion de donner des lectures en musique, pour faire connaître mes poèmes ou ceux d’autres auteurs. Il me semble alors que mon corps entier appuie ma voix ; je deviens l’incarnation d’un texte, non seulement les mots, le souffle, mais aussi les non-dits et toutes les intrications de sens, tout cela tendu vers les spectateurs. Dans ce don je m’efface et pourtant je vis ces moments-là de façon intense.
Et paradoxalement y-a-t-il des auteurs que tu préfères « lire en silence » ? Et quels sont ceux ( les mêmes et les autres) que tu aimes qui te guident qui te « parlent » ?
J’écris à haute voix mais lis silencieusement les recueils que je possède. Il est en effet trop fatigant et trop frustrant d’oraliser lorsqu’on découvre un texte. Je le fais cependant parfois, quand je soupçonne que sinon trop du poème serait perdu, ou quand il me plaît beaucoup. Mes goûts vont en tout cas du côté des poèmes dont le rythme et les sonorités sont importants, même si ces aspects sont insuffisants à faire la qualité du texte ; la force d’interpellation des images, que je trouve plutôt dans la poésie lyrique, prime en effet sur tout le reste.
Adolescente, Les Contemplations de Victor Hugo m’ont bouleversée – il me faut préciser qu’en-dehors des poèmes de l’école primaire, je ne connaissais rien de la poésie : c’était donc ma première rencontre poétique, une rencontre particulièrement sonore puisque de ces textes que je ne lis plus guère, le rythme ample de l’alexandrin m’est resté en mémoire. Comme expliqué plus haut, j’ai découvert la poésie contemporaine avec mes élèves ; c’est dans ce cadre que j’ai lu Pas revoir de Valérie Rouzeau : une révélation. La poésie peut exprimer si intensément la douleur et la joie, si librement ce qui fait notre humanité ! Depuis d’autres auteurs ont pris place dans ma bibliothèque : chez les « classiques » français Guillaume Apollinaire et René Char ; Mahmoud Darwich mon préféré entre tous, Yves Bonnefoy et Emily Dickinson, mais aussi Vénus Khoury-Ghata, Antoine Emaz, Gabriel Okoundji, Catherine Boudet, Roja Chamankar, Vanda Miksic… et il reste tant de poètes à découvrir !
Noée Maire vit dans la Vallée de l’Hérault, près du lac du Salagou et des collines de garrigue. Ses poèmes cherchent à dire l’intime, les mouvements de la mémoire - entre oubli et souvenance - et la sensibilité du corps au monde naturel, au sens où la lumière impressionne la pellicule photographique. Sa langue poétique, resserrée, s’écrit en mots simples. Ses poèmes apparaissent dans les revues Décharge, Le Journal de poètes, Souffle, Recours au poème, Terre de Femmes et dans les ouvrages collectifs publiés par la voix du poème éditions : Voir feuille jointe, Bord de l’autre et Les Longues Noces. Son recueil D’Ararat est édité par La Tête à l’envers.