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Richard Roos-Weil (juillet)

mercredi 15 juillet 2020, par Cécile Guivarch

CHANSONS DE GESTES (extraits)

Étonnés de nous ressembler tant

 
Comme dans les pantomimes
Des gestes de tendresse et d’effroi
Se tenaient en équilibre

 

Le souffleur dans sa cage en bois
Criait feu
Et nous nous souhaitions bonne route
Pédalions tête en bas
Sur une bicyclette invisible

 
*

Troublé par ta disparition
Cela s’est réfugié
Plus profond dans la gorge

Et cela vibre tourbillonne

De poussière
De wagons bringuebalant

De chemins rocailleux

 

Dans l’ordre croissant de nos âges
Des traits tracés sur le mur
Des dates une mesure
Nos pas engourdis par le froid
Notre corps tout entier
Qui rapetisse se rabougrit sous la toise !

 

Trottiner pour le plaisir
Faire le tour du monde en pensées

Protéger l’olivier du gel

 

Enrouler la balançoire
Autour de l’arbre
Avant l’été

 

Passer le doigt sur le papier
Pour que les lignes s’écrivent
Et nous réchauffent

 

Arriverons-nous bientôt ?

Un homme enfonce sa tête
Sous une cape noire
Il craint qu’elle ne chancelle
Et qu’il faille la ramasser
La tenir comme une offrande

Il faut aller vite et esquisser
Ces scènes
Ces signes qui s’effacent

 

Un bruit

Des cercles d’eau qui s’éloignent
Se rapprochent de nous sur la berge

Notre péniche est amarrée
Pleine de livres

Et la pierre dans notre poche est trop lourde pour ricocher

 

Silence

N’appelez pas les tailleurs de l’esprit

Leurs gestes tentent d’effacer
L’odeur de nos draps salis

Et des prières s’épinglent
Sur les murs
Recouvrent ce qui nous brûle

 

Si l’on pouvait donner à boire

À ces mots qui tintinnabulent
Se récitent

Se transforment en peintures naïves

 

*

La largesse du jour
L’œil collé
Au judas
A la meurtrière
Fente verticale
Trou de fusil
Pouce et index qui se rejoignent
En un rond
Pour plaisanter
Affirmer que l’on a vu
Ce qui n’était pas visible

 

Caché enfermé

Grandissaient cet étouffement
Cette peur

L’impression d’être un tambour à pluie
Une pierre fouettée par le torrent
Au réveil
Ses habits ses papiers
Étaient recousus posés sur le manteau de la cheminée

Il essuyait le livre qu’il avait lu
Versait de l’eau sur les fleurs

Le lait se mêlait à la langue
Et il jouait avec son râteau et sa pelle
En une manière de scribe

 

L’avait-on rassuré ?
Son visage et le son de sa voix
Appartenaient à la vibration de l’air

Vers qui tendait-il le front la nuque ?

La passe était étroite
Et des impressions fugitives
Au détour des mots l’effrayaient

Des noces de marbre
Un entrefilet de mémoire

Caché
Dans les roseaux
Trahi par le vent

Qu’on écoutait siffloter de peur
Et se serrer très fort

 

Une planche en bois

Des oreillers des draps
Empilés

La maison s’était réfugiée dans l’arbre à linges !

Et des photos s’essoraient sur les branches

 

Une alcôve un nid

Des sentiers qui montaient en spirale

La peau du tambour brulait de l’intérieur

Et l’on posait sur l’arbre à vif
Des bouts d’écorce
Pour le protéger

 

*

 

Assurément cela s’est passé
Sans chant d’église sans stèles ni chaises de prières
Sans odes à notre dame du lac

Plouf comme le bruit d’un crapaud dans un haïku
Dans le silence d’un étang

C’était le bruit de ses pas qui descendaient dévalaient
Un escalier en pierres
Avec des éclats de verre de vitraux
Des cris à peine étouffés

Et tombé de tout son long
Son corps en avant à plat
Impossible à tirer même avec cordes et lasso

 

Cloué dans un champ d’orties
Avec les brulures les sanglots d’un orang-outang

Assurément il fallait cette absence
Ce désir et ces heures pour caresser son visage
Et enfin s’endormir

 

Accrochée à l’aiguille du couchant
La vision n’était plus la même

Les jambes les bras remuaient malgré eux

Et le bruit du carillon irritait

Dévaler
La pente à tombeau ouvert
Sans espoir
Pivoter juste au bord
Sur la pointe des pieds

Le sens lui échappait
Mais cela était moins sombre
Sans cymbales

 

Tournait tournait
Jusqu’à ce qu’elle cesse
S’envole cette voix

Et nous murmurions encore ! encore !
Comme une prière une demande enfantine

 

Trop long trop long était
Cette attente cette lévitation
Ce vol suspendu

Il préférait un plongeon
Un saut de l’ange
Et que les mots cèdent
Dans le vide près du bord


Entretien avec Clara Regy

Une première double question toute simple qu’est-ce qui vous a conduit à l’écriture et vous a donné ensuite, l’envie d’être lu ?

Je ne sais pas trop ; je ne peux pas dire que l’écriture était ma priorité pendant l’enfance et l’adolescence ; ce qui me passionnait surtout était le sport : lire le journal l’Équipe, jouer au foot, au rugby, au tennis. Peut-être que le fait de bafouiller un peu, de ne jamais finir réellement mes phrases, sans que je veuille garder quoi que ce soit secret, m’a conduit à écrire. Il y a sûrement d’autres raisons : je pense à un professeur de français qui nous faisait choisir et réciter un texte chacun son tour devant la classe. Cela m’a conduit à apprécier la langue surtout classique puis ensuite à lire beaucoup et notamment de la poésie. J’ai ressenti ensuite quelque chose d’inattendu à écrire, qui est devenu peu à peu important pour moi.

Comment vient l’écriture, avez-vous des rituels ou laissez-vous certains évènements, certaines observations vous inspirer ?

L’idée « d’un monde observé » peut surgir à la lecture des textes que ce questionnaire accompagne... Pas de rituels bien précis, plutôt le quotidien et le monde qui m’entoure, mon travail à l’hôpital avec l’écoute, le besoin de la parole des autres ce qui explique peut-être mon envie récente d’être lu ; il y a une sorte de balancier entre des impressions fugitives mais fortes. Et le besoin de chercher un lien, des correspondances.

Quels sont les auteurs (poètes ou non) qui occupent votre univers quotidien ?

Un peu tout mais de moins en moins de romans, d’essais maintenant surtout des écrits qui ressemblent à des carnets, un journal de bord et bien sûr la poésie, des auteurs surtout contemporains qui me sont proches et me font ressentir voir autrement.

Enfin la question habituelle, - mais avec cette consigne particulière : être très spontané- quels sont les 3 mots qui définissent la poésie pour vous ?

-Chemin, maison, air...


Né en 1953, je travaille comme médecin hospitalier et mes écrits sont très récents. Les liens entre ces deux pratiques sont surement profonds mais pas complètement éclaircis.
J’aimerais croire qu’elles ont creusé des sillons et m’ont nourri dans la vie et la parole des autres.

Poèmes dans différentes revues (Traversées, Arpa, Verso, Comme en poésie,Traction brabant, Lichen) depuis 2017

Deux recueils :

  • Le parvis des ombres chez Encres vives en 2018
  • Le paravent des jours chez Inclinaison en 2019

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