CHANSONS DE GESTES (extraits)
Étonnés de nous ressembler tant
Comme dans les pantomimes
Des gestes de tendresse et d’effroi
Se tenaient en équilibre
Le souffleur dans sa cage en bois
Criait feu
Et nous nous souhaitions bonne route
Pédalions tête en bas
Sur une bicyclette invisible
*Troublé par ta disparition
Cela s’est réfugié
Plus profond dans la gorgeEt cela vibre tourbillonne
De poussière
De wagons bringuebalantDe chemins rocailleux
Dans l’ordre croissant de nos âges
Des traits tracés sur le mur
Des dates une mesure
Nos pas engourdis par le froid
Notre corps tout entier
Qui rapetisse se rabougrit sous la toise !
Trottiner pour le plaisir
Faire le tour du monde en penséesProtéger l’olivier du gel
Enrouler la balançoire
Autour de l’arbre
Avant l’été
Passer le doigt sur le papier
Pour que les lignes s’écrivent
Et nous réchauffent
Arriverons-nous bientôt ?
Un homme enfonce sa tête
Sous une cape noire
Il craint qu’elle ne chancelle
Et qu’il faille la ramasser
La tenir comme une offrandeIl faut aller vite et esquisser
Ces scènes
Ces signes qui s’effacent
Un bruit
Des cercles d’eau qui s’éloignent
Se rapprochent de nous sur la bergeNotre péniche est amarrée
Pleine de livresEt la pierre dans notre poche est trop lourde pour ricocher
Silence
N’appelez pas les tailleurs de l’esprit
Leurs gestes tentent d’effacer
L’odeur de nos draps salisEt des prières s’épinglent
Sur les murs
Recouvrent ce qui nous brûle
Si l’on pouvait donner à boire
À ces mots qui tintinnabulent
Se récitentSe transforment en peintures naïves
*
La largesse du jour
L’œil collé
Au judas
A la meurtrière
Fente verticale
Trou de fusil
Pouce et index qui se rejoignent
En un rond
Pour plaisanter
Affirmer que l’on a vu
Ce qui n’était pas visible
Caché enfermé
Grandissaient cet étouffement
Cette peurL’impression d’être un tambour à pluie
Une pierre fouettée par le torrent
Au réveil
Ses habits ses papiers
Étaient recousus posés sur le manteau de la cheminéeIl essuyait le livre qu’il avait lu
Versait de l’eau sur les fleursLe lait se mêlait à la langue
Et il jouait avec son râteau et sa pelle
En une manière de scribe
L’avait-on rassuré ?
Son visage et le son de sa voix
Appartenaient à la vibration de l’airVers qui tendait-il le front la nuque ?
La passe était étroite
Et des impressions fugitives
Au détour des mots l’effrayaientDes noces de marbre
Un entrefilet de mémoireCaché
Dans les roseaux
Trahi par le ventQu’on écoutait siffloter de peur
Et se serrer très fort
Une planche en bois
Des oreillers des draps
EmpilésLa maison s’était réfugiée dans l’arbre à linges !
Et des photos s’essoraient sur les branches
Une alcôve un nid
Des sentiers qui montaient en spirale
La peau du tambour brulait de l’intérieur
Et l’on posait sur l’arbre à vif
Des bouts d’écorce
Pour le protéger
*
Assurément cela s’est passé
Sans chant d’église sans stèles ni chaises de prières
Sans odes à notre dame du lacPlouf comme le bruit d’un crapaud dans un haïku
Dans le silence d’un étangC’était le bruit de ses pas qui descendaient dévalaient
Un escalier en pierres
Avec des éclats de verre de vitraux
Des cris à peine étouffésEt tombé de tout son long
Son corps en avant à plat
Impossible à tirer même avec cordes et lasso
Cloué dans un champ d’orties
Avec les brulures les sanglots d’un orang-outangAssurément il fallait cette absence
Ce désir et ces heures pour caresser son visage
Et enfin s’endormir
Accrochée à l’aiguille du couchant
La vision n’était plus la mêmeLes jambes les bras remuaient malgré eux
Et le bruit du carillon irritait
Dévaler
La pente à tombeau ouvert
Sans espoir
Pivoter juste au bord
Sur la pointe des piedsLe sens lui échappait
Mais cela était moins sombre
Sans cymbales
Tournait tournait
Jusqu’à ce qu’elle cesse
S’envole cette voixEt nous murmurions encore ! encore !
Comme une prière une demande enfantine
Trop long trop long était
Cette attente cette lévitation
Ce vol suspenduIl préférait un plongeon
Un saut de l’ange
Et que les mots cèdent
Dans le vide près du bord
Entretien avec Clara Regy
Une première double question toute simple qu’est-ce qui vous a conduit à l’écriture et vous a donné ensuite, l’envie d’être lu ?
Je ne sais pas trop ; je ne peux pas dire que l’écriture était ma priorité pendant l’enfance et l’adolescence ; ce qui me passionnait surtout était le sport : lire le journal l’Équipe, jouer au foot, au rugby, au tennis. Peut-être que le fait de bafouiller un peu, de ne jamais finir réellement mes phrases, sans que je veuille garder quoi que ce soit secret, m’a conduit à écrire. Il y a sûrement d’autres raisons : je pense à un professeur de français qui nous faisait choisir et réciter un texte chacun son tour devant la classe. Cela m’a conduit à apprécier la langue surtout classique puis ensuite à lire beaucoup et notamment de la poésie. J’ai ressenti ensuite quelque chose d’inattendu à écrire, qui est devenu peu à peu important pour moi.
Comment vient l’écriture, avez-vous des rituels ou laissez-vous certains évènements, certaines observations vous inspirer ?
L’idée « d’un monde observé » peut surgir à la lecture des textes que ce questionnaire accompagne... Pas de rituels bien précis, plutôt le quotidien et le monde qui m’entoure, mon travail à l’hôpital avec l’écoute, le besoin de la parole des autres ce qui explique peut-être mon envie récente d’être lu ; il y a une sorte de balancier entre des impressions fugitives mais fortes. Et le besoin de chercher un lien, des correspondances.
Quels sont les auteurs (poètes ou non) qui occupent votre univers quotidien ?
Un peu tout mais de moins en moins de romans, d’essais maintenant surtout des écrits qui ressemblent à des carnets, un journal de bord et bien sûr la poésie, des auteurs surtout contemporains qui me sont proches et me font ressentir voir autrement.
Enfin la question habituelle, - mais avec cette consigne particulière : être très spontané- quels sont les 3 mots qui définissent la poésie pour vous ?
-Chemin, maison, air...
Né en 1953, je travaille comme médecin hospitalier et mes écrits sont très récents. Les liens entre ces deux pratiques sont surement profonds mais pas complètement éclaircis.
J’aimerais croire qu’elles ont creusé des sillons et m’ont nourri dans la vie et la parole des autres.
Poèmes dans différentes revues (Traversées, Arpa, Verso, Comme en poésie,Traction brabant, Lichen) depuis 2017
Deux recueils :
- Le parvis des ombres chez Encres vives en 2018
- Le paravent des jours chez Inclinaison en 2019