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Murièle Modély

lundi 20 octobre 2014, par Cécile Guivarch

1

Il est dit que je dois creuser le trou indéfiniment
je mets le doigt dans la gelée, ma tête a des allures de fruit
rouge
safrané
d’un beau bleu électrique
j’ai longtemps infusé au large de l’Afrique
il reste dans la boîte, sur mes épaules
des odeurs, des saveurs
la bouche ouverte, l’île
au fond du récipient sous les pelures
la coulure des pigments et le noir basaltique

2

Le doigt
trace sur la page
sur ta joue
une cicatrice

___

« je t’aime », je le répète, ne comprends pas la phrase
la distance semble immense des mots à ton sommet

« mi aim a ou », j’insiste, l’étrangeté subsiste
tout tombe dans le trou excepté ton piolet
___

j’ai mes jambes
autour de tes jambes
la distance est immense
l’enjambée nous rassemble

3

Nos corps parlent une langue inconnue
un mélange de scories, d’ardoise
de bruissement de vagues, de chant de cigales
mes seins sont noirs, ta poitrine rosée
ensemble sur le lit, nous déployons la carte
plissons des yeux, la légende est fanée

4

Sur le mur au fond du jardin
un lézard amputé de son « e »
inscrit son chemin sur les briques

de trou en trou, de pierre en pierre
la lettre roule, nous rend friable
le sang coule camaïeu

5

Tout ce qui passe par ma bouche est amer et iodé
il y pousse une orchidée noire, veloutée, stérile
j’attends ton doigt, Albius
tes baisers fécondant
en haut du cap

6

Nos dents mordent, avec avidité
quelque chose que nous ne discernons pas
qui n’a pas de nom
qui flotte dans le non lieu de la périphrase

nos dents rient, de façon hystérique
jusqu’à ce que des grelots fassent place nette
laissent sur la table un espace infini
où poser une main sur l’autre

7

dans le creux de ma paume
entre la ligne de cœur et la ligne de vie
une tortue vieille de mille ans
abandonne sa carapace

une tortue meurt dans ma main
quand l’un de nous deux comprend soudain
que l’animal a écrit sur ma peau
ce que je ne sais dire

en équilibre
sur le mont de Vénus
le volcan qui sommeille
et les bottes de foin


Mini entretien avec Clara Regy

-D’où vient l’écriture pour toi ?

Très certainement d’un heurt entre deux langues, le créole et le français. Une langue enfouie en moi que je ne parle pas, et l’autre apprise dont j’ai les codes, mais qui ne me dit pas. Il y a une zone de frottement, une fente par laquelle quelque chose qui relève à la fois de l’une et de l’autre jaillit.

-Comment écris-tu ? Peut-on dire que que tu as « des rituels » ?

J’écris uniquement sur ordinateur, et publie essentiellement sur mon blog. Il est mon cahier de brouillon (je corrige sans cesse), mais aussi, ce n’est pas incompatible, un espace que j’essaie de structurer, où je maille textes et images par rebonds. Je peux publier jusqu’à plusieurs poèmes par jour dans les périodes d’intense tension. C’est un lieu commun, mais j’écris quand quelque chose de violent, de fort me saisit. Il m’est arrivé de me mettre à table et de me dire que j’allais écrire sur tel thème, ou développer telle idée... mais généralement si le moteur du poème n’est pas inscrit viscéralement en moi, le poème est raté. Il l’est aussi si je m’en tiens à ce premier élan. Je dois circonscrire cette coulée brute dans une construction formelle et une maîtrise du fond. Quand un recueil se dessine, je poste moins car il faut le temps de la sédimentation, la pause nécessaire pour mettre à jour un fil.

-Quelle place occupe la poésie dans ton quotidien ?

Une place dévorante, trop importante au goût de mon entourage.

-Quelle est ou quelle serait ta bibliothèque idéale ? Est-ce la lecture d’un auteur particulier qui t’a vraiment donné le désir -ou la nécessité- d’écrire ?

L’idéal c’est ce qu’on n’a pas, donc je pourrais dire que cette bibliothèque devrait être constituée des lectures à venir. C’est aussi une pirouette, bien sûr... Des bons et des mauvais livres ont fait de moi ce que je suis. Ma poésie s’enrichit, je l’espère, de mes lectures, continues (livres papier) ou fractionnées (sur le net). En faire une liste est pour moi difficile et sans grand intérêt... mais pour rester dans la sphère virtuelle, voilà entre autres, quelques uns des auteurs dont j’apprécie particulièrement les blogs ou sites : Perrine Le Querrec, Guillaume Siaudeau, Marlène Tissot, Jean Prod’hom...


Murièle Modély est née en 1971 à l’île de la Réunion. Installée aujourd’hui à Toulouse, elle écrit de la poésie qu’elle publie régulièrement sur son blog http://l-oeil-bande.blogspot.fr/ ou dans des revues papier ou numérique : Nouveaux Délits, Microbe, Traction Brabant, L’Autobus, Poème sale, etc. Elle a publié trois recueils Penser Maillée (éditions du Cygne, 2012), Rester debout au milieu du trottoir, avec des photos de Bruno Legeai, (éditions Contre-Ciel, 2014) et Je te vois (éditions du Cygne, 2014).


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