Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Claude Vercey

samedi 20 avril 2013, par Jean-Marc Undriener






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[lilas]Chanson de route 1[/lilas]

Couvert de gloire et de poussière
un gars des champs s’en revenait


— de gloire
on ne dirait guère,
de poudre
on n’en doutera pas —

La fleur des champs aux lèvres
s’en revenait le gars


— champs de bataille
n’en doutez guère
champ de blé naguère
qu’on a bien piétiné —

Il a fort moissonné
sous les ordres du roi
des gerbes d’habits rouges
là-bas sur la frontière
de jeunes gars comme lui
couchés le nez dans l’herbe
et mordant la poussière

Dans son manteau bleu-roi
d’un régiment de Flandres
et sifflotant un air
chez lui il s’en revient
dépité, morfondu
avec la croix d’honneur
et la gueule de travers

Qu’elle est loin
Qu’elle est loin
la maison de mon père !

Il va
traînant la jambe
la manche est vide du côté droit
de l’autre il tient la timbale
de fer blanc que le dimanche
il tend aux marches de l’église

avec la croix d’honneur
et la gueule de travers.



[lilas]Variations
sur un air ancien
[/lilas]

J’ai perdu le nord
Seul dans mon grenier
Je suis dans la lune
Je cherche mes mots

J’aimerais changer d’air

Le silence s’est tu
ses voix sont éteintes
ma chandelle est morte
je n’ai plus de mots

Vieil air, vieille lune
Éva ma voisine
— j’entends qu’elle y est —
m’a fermé sa porte

Le gai ramoneur
n’est point ressorti
au clair de la lune
de sa cheminée

Le feu s’est musclé
ébats lubriques hé !
jusqu’en sa cuisine


— J’entends qu’elle rit —

Je suis dans mon lit
J’écris pour des prunes
et j’ai froid aux pieds



[lilas]Amsterdam[/lilas]

(ronde)
poème à dire
ou à chantonner


Am – ster – dam
féminin d’oyats

bigoudis
de picardie

fémur
de chicago

vot’ jupon
a raccourci
et vot’ or
a tout fondu

Mets ta main derrière ton dos
Tu épous’ras un manchot



[lilas]Autres Amsterdam[/lilas]

As-tra-gal
Admirable onyx

Accordez les
participes

La peine principale
est un zéro

Garde une grenade
pour ta soif !

*

Ka-ri-cal
Paramaribo

Pernambouc
et Chicago

La ville principale
est Ysingeaux

Tourne à gauche
après le stop !




Mini entretien par Cécile Guivarch

D’où vient l’écriture pour toi ?

L’écriture vient des provocations auxquelles la vie nous soumet, mais parfois, plus simplement, il s’agit de répondre à des contraintes plus amicalement posées. Évidemment, mes réponses sont ici orientées par les poèmes que vous avez bien voulu accepter, et qui me semblent être une réponse tardive – je suis lent, et j’arrive souvent après les délais dans ce genre de suscitation – à une thématique du Printemps des poètes, qui était L’Enfance, - vous vous souvenez ? Seulement, je n’ai pas parlé de mon enfance, sujet qui m’intéresse peu, mais plutôt de l’enfance de l’art, et je suis revenu aux comptines qu’on ânonne en lançant des balles sur un mur, en sautant à la corde ou en plouffant (oui, c’est ainsi qu’on disait : on plouffait, parce que les formules commençaient souvent par « plouf ! Plouf ! » sur le dos du copain qui servait de paillasson et quand il s’agissait de désigner, après éliminations, celui qui serait le chasseur) ou aux chansons plus ou moins idiotes, comme Au clair de la lune. Celles qui m’intéressent le plus sont celles dont j’ai oublié les paroles, la raison en est évidente, ou celles que je n’ai jamais comprises comme celle d’Am-ster-dam, à moins que ce soit Am-stram-gram, chacun sans doute se souvient.

Comment travailles-tu tes écrits ?

J’écris avec l’oreille. Comme aussi j’écoute comment on parle. On est de toute manière plus important que je, ou je n’est que la 1ère personne du singulier du pronom On. Et il faut que le poème rende compte de cette manière de parler qu’on a, ou même de la manière de penser.
Alors je fais tourner le poème dans ma tête, jusqu’à ce qu’il se superpose sur une manière correcte de parler ou de penser. Et le poème s’écrit plusieurs fois, je rature beaucoup. Une multitude de versions, qui mène à une version satisfaisante. Laquelle souvent masque d’autres choses, plus profondes, moins dicibles, qu’il faut trouver sous le premier masque : une chose qui m’intéresse, - je crois que cela m’intéresse encore davantage qu’écrire des poèmes ou de leur trouver un éditeur – c’est découvrir comment fonctionne l’esprit, ses ruses et ses simulacres, ses parades et sa mauvaise foi.

Quelle est ta bibliothèque idéale ?

Il n’y a évidemment pas de bibliothèque idéale, qui supposerait un lecteur idéal. Il n’y a que des bibliothèques singulières, chacun d’elles reflétant son lecteur.
La mienne, quand j’y songe, est sédimentaire, composée de couches successives qui correspondent à des moments de ma vie. Si j’exclus les fondations, de Baudelaire à André Breton disons, elle est composée de strates successives qu’on nommera Pont de l’Epée ou Dé Bleu. Mais elle reste ouverte, et d’une certaine manière, avec Décharge et ses productions périphériques : la collection polder que je dirige, ou les Itinéraires de Délestage (les I.D) que je mets en ligne sur le site, - je suis sans arrêt en train de l’alimenter, la bousculer, la réorganiser : ainsi, en bonne place actuellement, des œuvres d’auteurs importants, que personnellement je viens de découvrir : Marc Le Gros , Ludovic Degroote, Jean-François Mathé, mais ce n’est pas une raison d’oublier ceux que je suis depuis longtemps et qui toujours sont capables de me surprendre : Pascal Commère, Ivar Ch’Vavar, Valérie Rouzeau.
Ce qui est terrible, c’est que dès lors où on commence de nommer, on a l’impression de trahir tous ceux que je ne nomme pas. Et puis, important, ceux sur lequel j’ai parié, les poètes pour demain, la plupart figurant dans la collection Polder évidemment, et autant que possible.

Claude Vercey : Si ça se trouve (Corps Puce éd.) ; Mes Escaliers (Carnets du Dessert de Lune éd.), Toboggans (L’Arbre à paroles), La bonne cause (Gros Textes) et Une affaire de Chaperon rouge (La Renarde rouge) sont les dernières publications de ce poète, publié principalement naguère au Dé Bleu. Chroniqueur régulier pour Décharge, où il livre ses Ruminations à la revue, et ses I.D (Itinéraires de Délestage) sur le site www.dechargelarevue.com. Responsable de la collection Polder.
Le n° 107 de la revue Friches en a fait son « invité de printemps ». On s’y reportera.


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