Terre à ciel
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Camille Sova

lundi 2 mai 2022, par Cécile Guivarch

Extraits de Histoires au soleil, 2021

solstice

c’est la fin du printemps

je m’en suis aperçue quand juillet a éteint la musique

c’est toujours la même main
et le même jardinier

l’air monte

les places sont gorgées de réalité

j’apprends toujours à faire flou quand vient le sens :
l’insouciance est un travail paradoxal

les îles prospèrent si vous êtes de sable
si l’animal tombe alors il résonne
et j’en récolte l’esprit la trace étrange

dans les rues
ça sent les grillades le chèvrefeuille et la mort

il est temps d’accueillir l’été

la tique et le lilas

je ne sais pas me faire des amis au grand air

c’est dû à l’évaporation qui prend avec elle
les œufs comme les brumes

j’avais trouvé des antennes que je mettais dehors

l’ennui c’est qu’elles sont trop petites pour humer un ami

j’avais aussi noué une amitié avec un lilas
puis il est parti

je l’ai attendu pendant la souffrance
mais la fleur était prise

j’ai bu ma distance et mes réserves d’eau

dans le silence végétal la tique dessine son sillage
partout à fleur de peau

c’était une parenthèse entre une forme et une forme

saint-anne-sur-mer

dans le sac un miroir et des molécules

à midi le bain et un sérieux problème :
« les carpes connaissent-elles les coups de soleil ? »

je respire je me douche et je mange
tout va bien
même pas de petits bobos

le médecin a dit : « plus de balades »

il m’apporte des dunes à la petite cuillère

elles ont le goût de la sage folie qu’on apprend ici

je te laisse on m’appelle

je dois hisser l’arc-en-ciel qu’ils doivent voir dans mes yeux

périurbanisation

un petit paysan a construit mon village en partant sur la route

c’était au temps des collines où malgré la chaleur
nos sensations étaient aquarelle

« j’ai fait le tour de la lavande
il faut nouer ce séjour à ce paysage »

l’immensité de la campagne apparaissait devant lui

tout était possible

ses promenades flottent aujourd’hui encore

elles racontent la mutation de l’espace en plastique

regarde plus au sud
un transat sauvage embrasse la ville

big-bang

je suis transparente pour le temps l’été

j’inscris mon histoire contre le soleil

que peut-il de plus pour nous ?
arrêter de nous faire avancer sur la mauvaise planète ?

l’escargot ressent ça sur le sable

il avance et perdure mais se casse à la fin

s’il vous plaît
vous jouez sous mes yeux

c’est prématuré

le rayon fuit ma fenêtre depuis que je sais
que le monde autrefois était déjà là

un caillou dans la chaussure

pendant la randonnée
j’ai entendu des ampoules se dresser sur mes larmes

pourtant je marche souvent
mais depuis les vacances des déchets se glissent dans mon crâne

le temps reste et les roches suivent les loups

je peux extraire de ma peau les sommets et les creux

ils sont mon enclos la boucle d’un départ

je l’entends depuis la vallée et à chaque fois je pense :
il faut museler la marmotte en accord avec ce qui dure

amour filant

sous la tente orion et cassiopée parlent de choses imparfaites
les légumes les poumons la pureté

des billes bleues vagabondent au-dessus d’eux

ce soir est relié à l’atmosphère
il veut y construire leur vie :

« viens jusqu’au ciel cathédrale de dentelle
c’est à toi d’abriter la nuit »

malgré le pouvoir du murmure rien n’y fait
l’étoile est habitée par la terre :

« je ne peux être aimée et polaire
il me fallait choisir »

au loin l’univers attend qu’elle se déshabille

son amour est perdu
elle se laisse tomber

c’est le papier étoilé le plus triste ayant existé

le bain de minuit

toutes les choses que je ne pouvais pas toucher
avant le coucher s’accumulent

aux pieds de la nuit elles deviennent
des pâtés de mauve de lune de fibres

les moustiques se réjouissent de ma vulnérabilité

sans habits ou plutôt sans terre
je recommence à plonger dans le lac en moi

l’humidité me procure une liberté aquatique

je suis vivants méduses éléments

je n’ai presque plus peur
m’abandonne aux insectes leur chuchote :

« tenez goutez ma peau vous verrez
elle seule a le goût des hauteurs »

l’appel téléphonique

ivre comme un papillon pour lampadaire
il entend l’ordinaire respiration des vaisseaux

c’est un voyageur intérieur

je le connais un peu

il est en fumée mais abrite un rire jasmin

les talus font tenir sa sensibilité

« personne ne désire chanter avec moi
je suis simplement moins bien dessiné
c’est superficiel
et pourquoi le temple
mais pas la colère ?
à l’écart des rêves l’eau est rare
j’ai suspendu pour eux le soleil
mais le cœur jaunit à la lumière »

il hurlait et je savais qu’il y avait une place pour les crayons ignorés

ailleurs peut-être

là d’où viennent les nuages

le désespoir du tournesol

je ne ressens jamais la brise

quand j’ai pleuré mes parents m’ont pris pour un tournesol insatisfait

« on a encore le temps de lui dire pour le champ qui l’entoure »

j’ai besoin d’ombre et d’identité
mais le soleil me coud l’épiderme au mercure

peut-on vraiment apprécier d’avoir août comme éternel partenaire ?

j’ai passé la saison en faisant comme si
les degrés me reliaient au miracle d’être

la bonne nouvelle c’est que la fin est proche
la récolte va tout dissiper

ils n’ont rien dit mais je suis au courant

c’est elle qui change la chaleur en obscurité

 

Certains des poèmes de cette série ont été mis en son et en voix par Camille Ruiz (disponible sur nos sites respectifs, ou sur YouTube)

Entretien avec Clara Regy

Tu sembles saisir des petits morceaux de vie et leur donner une saveur toute particulière. D’où te vient ce regard et plus précisément cette écriture ?

Je ne sais pas s’il s’agit vraiment d’un regard. J’aurais tendance à préférer parler d’écoute. Le regard implique quelque chose d’actif, une recherche peut-être, une volonté au moins. Là, il s’agit pour moi de me rendre attentive à ce qui est. Je préfère l’écoute parce qu’elle suppose une certaine passivité, une façon de se rendre disponible, de laisser les choses advenir. C’est le premier temps de l’écriture, pour moi : ne rien faire et surtout ne rien chercher. Difficile de savoir d’où ça vient. Probablement de la solitude, de l’ennui aussi et peut-être d’un rapport à l’enfance et à la part sauvage de celle-ci. Ça c’est le point de départ. Une certaine disposition. Et puis le reste, ça consiste à transformer cette attitude en écriture. Et là, il n’y a pas vraiment de secret. Il faut travailler pour que l’écoute devienne une voix à part entière. Il faut essayer, tâtonner, se défaire de sa propre langue, de ses automatismes, de la part de soi qui veut à tout prix s’exprimer. Laisser faire et laisser être les autres voix en soi.

Peux-tu nous préciser aussi ce que tu mets derrière le « collage » et le « non-collage » en poésie ?

J’utilise le collage en poésie au sens premier du terme : je compose mes poèmes en découpant les mots des autres (le plus souvent issus de magazines) et en les assemblant jusqu’à ce qu’ils forment des poèmes. Les Histoires au soleil ont été composées dans le cadre d’un travail plus vaste dans lequel j’utilisais des revues de psychologie positive. Je découpe parfois pendant des heures et je compose peu à peu jusqu’à que des embryons de poèmes émergent. Traversée du désert. Mais cette méthode me plaît. J’aime ce qu’elle dit indirectement. L’essence chaotique. Les débris. Le travail du chiffonnier. L’agencement d’un sens à partir d’une dépossession de son propre vocabulaire. J’aime ce qu’elle permet. Les jaillissements hasardeux qui deviennent le pivot d’un poème. Après, il y a bien d’autres façons de coller. Et de non-coller aussi d’ailleurs. Pour le moment, j’ai fait comme ça.

Comment l’idée de la micro-édition, ce moyen de faire partager les mots à petits « flocons », t’est-elle venue ?

Je venais de finir la première série de mes Saisons. Dix poèmes appelés Humeurs printanières. J’avais pour la première fois composé une série de poèmes à partir d’un même matériau et j’avais envie de les diffuser tous ensemble. Je voulais qu’ils aient une matérialité. J’imagine que c’est lié à l’obsession du livre. Avoir un livre à soi. Savoir qu’il y a quelqu’un à l’autre bout du texte. J’ai rapidement appris à relier des feuilles pour en faire un livret et j’ai lancé mes bouteilles à la mer. Ça m’a permis de donner une nouvelle consistance à ma pratique. Une forme de concrétisation. À micro-échelle. De la reconnaissance aussi. C’était réjouissant.

Et pour terminer la question subsidiaire : si tu devais définir la poésie en 3 mots quels seraient-ils ?

J’aurais du mal à définir la poésie en trois vrais mots. Il en faudrait un peu plus… Si j’avais le choix de choisir trois idées plutôt que trois mots peut-être que je reparlerais d’abord de l’écoute ou en tout cas de l’attention. Je pense que l’on n’écrit jamais à partir de rien, mais toujours à partir d’un matériau premier et qui est notre rapport au monde (le nôtre ou celui des autres, disons un rapport au monde). C’est ce qui m’intéresse dans la poésie, celle que je lis d’abord et celle que j’essaie de composer ensuite. Rapport au monde qui veut aussi dire rapport à la vie donc rapport au temps donc rapport à la mort et donc à la fin à un certain degré de lumière.
Après, si on a bien écouté, j’ai dans l’idée que le poème qui en résulte aura quelque chose de vivant, disons quelque chose d’organique et qu’ainsi, il aura une existence. C’est à partir de là, qu’il peut parler. Un poème parle de sa langue à lui. Les poèmes dont je suis vraiment satisfaite (et il y en a peu) m’ont échappé. Ils sont partis dans une direction à eux. Ils ont tracé leur route. Parfois, il y a des vers qui se tissent que je n’aurais jamais pu composer moi-même. C’est pour ça que j’aime le collage. Il a une part de liberté que je n’ai pas. Évidemment, ça ne vient jamais d’un trait. Le poème ne s’écrit pas tout seul ni malgré soi. Il faut l’aider pour qu’il arrive à parler seul, de sa langue à lui, en disant des choses que lui seul peut dire. C’est quand on ne peut pas résumer un poème autrement que par lui-même qu’un poème est. Récemment j’ai lu un vers d’Antoine Emaz qui m’a beaucoup fait réfléchir : « il n’y a que ce qu’il y a ». Il ne parlait pas forcément de poésie mais je trouve que ça s’y prêtait très bien.
Enfin, une fois que le poème parle, c’est là peut-être qu’au bout de la ligne (qui est en fait un cercle) il y a la troisième chose que je dirais et qui concernerait cette fois la puissance du poème. J’ai dit que le poème parlait mais j’aurais dû dire que le poème faisait. Car c’est ça le but du poème selon moi, c’est faire. Faire quelque chose que lui seul peut faire. Avoir un effet en tant qu’il est poème. Un poème fait quelque chose quand un lien se tisse autour du texte, entre la personne qui l’a écrit, le texte, et la personne qui le lit. Un lien comme un pont où les solitudes se rejoignent sans s’annuler. Une question d’intensité peut-être. Un effet en tout cas, c’est certain. La poésie pour moi fait quelque chose. Quelque chose s’y passe. Mais là encore, difficile de dire quoi.
Voilà, en trois mots. À quelques mots près.

Camille Sova est née en 1995 dans les Landes. Elle grandit en Haute-Garonne, vit, colle, écrit et travaille en Haute-Savoie. Ses poèmes ont été publiés dans des revues en France, au Canada, et en Suisse.

http://camillesova.com


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