Extraits de Voile blanche sur fond d’écran
tu ouvres les yeux et ne vois rien
tu sens la poussière __ tu la respires
non
tu l’inspires
elle envahit tes narines ____ ta bouche
pénètre tes poumons
tu essaies de tousser
____________tu déchiffres __ l’impossible
les gravats écrasent ton corps
prisonnier
tu fermes les yeux et ne vois rien
tu sauras plus tard
une dalle de béton sur tes jambes
plus tard tu auras____ inscrite à jamais
la déchirure des muscles__ un creux__ à jamais
non__ pas__ à jamais
un creux inscrit dans ton corps jusqu’à la mortplus tard tu concevras
que la mort seule effacera
la trace imprimée sur tes jambes
tu ouvres les yeux et ne vois rien
tu sens ton visage ravagé
non pas ton visage ____ un ravage
tu entends ta voix ____ assourdie
elle appelle
non__ ce n’est pas ta voix
c’est une voix qui appelleta voix est restée au bord de ____ désastre
tu perçois les clameurs assourdies
qui hurlent leur désespoir
tu ne les reconnais pas
tout comme tu ne te reconnais pas____
les voix sont abandonnées
à leur chagrin __ à leur effroi
et l’impossible vient se loger là où tu n’es plus
où tu ne seras plus jamais
dans la quiétude à demi meurtrie
dans l’espérance à demi inquiète
dans la demi-mesure____
tu devras accepter ____ désormais
une vie de
tout ou rien
Tu ne sais pas pourquoi tu as tué la lumière. Trop de bruits au lieu de silence, trop de silence alors que tu attendais une parole, trop d’attente vaine, trop de lait pour nourrir l’angoisse ? Non ce ne peut être rien de tout cela. Un instant, dis tu, une fraction de millièmes de seconde, l’annonce glacée de la fin. Ta bouche est demeurée ouverte au vent mauvais, alors que tu étais dans l’enfance malgré l’âge mûr, que tu ne voulais pas qu’elle te quitte, qu’elle t’abandonne encore, qu’elle disparaisse au détour d’un couloir si obscur qu’il l’a englouti. Il faudra sans doute que tu acceptes que cette lumière ne soit plus. Etait-elle la seule qui allumait des contre-feux dans la rugosité acerbe du voyage ? Cherche en toi la luciole, si faible soit-elle, qui vivait à l’abri de cette évidente clarté d’amour.
Alors tu écouteras à nouveau le bruissement du monde, le babil d’un ange qui secoue sa tête enturbannée et crie la joie simple des retrouvailles. Tu avaleras d’un regard son sourire de lait et de miel, fossette posée sous le point d’interrogation de la vie.
un jour
un jour j’ai cessé de compter
sur les autres____ sur l’espoirj’ai cessé de compter sur la générosité des hommes
sur la lumière____ sur l’existence du lendemainun jour j’ai cessé de compter
sur le déroulement des jours et des nuits
et sur la chaleur du soleil
et sur la blancheur sacrée de la ville
blanchej’ai cessé
un jour
de compter sur les rêves de l’enfance
sur un avenir ouvert
et la clarté d’un regard bienveillantun jour j’ai cessé de compter
sur mes certitudes
sur l’assise qui fait l’innocence
et les joies ____________ muettessur l’eucalyptus au bord de routes droites,
sur le sable blanc
entre les doigts de pied mouillés
longtemps
je me suis demandé
comment son dernier
soufflesonger à
ne rien oublier
car l’oubli apaise
le souvenir
du visage
abandonné
au seuil
devant la fenêtre
au seuil
qu’on ignore
Simone Molina est née à Alger où elle a passé une partie de son enfance. Elle vit près de l’Isle sur la Sorgue dans le Vaucluse.
Du côtoiement de l’effroyable, elle a tiré la matière de son écoute de psychanalyste. De son expérience de l’exil elle tire la nécessité d’une hospitalité à la figure de l’étrange et de l’étranger. Elle a longtemps travaillé en psychiatrie auprès d’enfants et d’adultes et s’intéresse aux passerelles entre psychanalyse et art. Elle est régulièrement invitée à intervenir sur ces questions, en France et au Maghreb.
Fondatrice du Point de Capiton, elle est, depuis 1989, créatrice d’évènements atypiques en lien avec des lieux culturels (Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon, Scène nationale de Cavaillon, ou d’autres lieux plus intimistes…),
Elle est rédactrice de l’e-magazine trimestriel, pluridisciplinaire et multilingue Levure littéraire, pour la rubrique spécialisée « PsyWriting ».
Chargée de cours pour le Diplôme d’animation d’atelier d’écriture de Marseille durant presque dix ans, elle a collaboré à un ouvrage de référence qui théorise de façon originale la pratique d’animation d’atelier d’écriture qu’elle préfère nommer « chantier d’écriture ».
Elle donne régulièrement, en France et à l’étranger, des lectures publiques avec des poètes, ainsi qu’avec des cantatrices et des musiciens qui osent traverser les codes entre musique classique, contemporaine, jazz et musiques du monde.
Depuis 2013, elle travaille, à partir de ses poèmes, avec Isabelle Provendier et sa compagnie Ip&Co, ainsi qu’avec la scénographe Christine Le Moigne, afin de faire entendre dans des lectures mises en scène la richesse des articulations entre poème, sonorités, images et voix.
Elle a publié des livres d’artistes, ainsi que des poèmes, nouvelles, et articles – dans des revues spécialisées et littéraires, et dans des revues en ligne. Elle a contribué à faire connaître dans sa région la poésie de Jean-Louis Giovannoni et celle de Caroline Sagot-Duvauroux, qu’elle a régulièrement invités.
En 2011 est paru Archives incandescentes : écrire, entre la psychanalyse, l’Histoire et le politique préfacé par Benjamin Stora.
En 2012, elle a collaboré à Histoires Minuscules des révolutions arabes sous la direction de Wassyla TAMZALI.
En février 2014 a eu lieu à la « Friche de la Belle de Mai » à Marseille, la première du film de Denis Cartet Mon père, Officier d’Algérie auquel elle a contribué.
Mini-entretien avec Roselyne Sibille
D’où vient l’écriture pour toi ?
De l’écoute et du silence. L’écriture poétique peut venir d’une nécessaire méditation qui cherche une fissure pour laisser émerger une parole vive. Il s’agit alors de la rencontre vibratoire avec un paysage, un objet, une situation qui me touche, un instant, un être vulnérable ou surprenant… Mais l’écriture peut venir aussi de la douleur, de la reviviscence, et surgit alors comme une nécessité vitale, une urgence qui balbutie… Alors, un bout de papier dans la nuit ouverte par le rêve, ou la mémoire bousculée, en marchant, en conduisant, dans les actes quotidiens de la vie, la mémoire de ce qui a été ou qui serait si
Parfois aussi, les doigts qui courent sur le clavier alors que la pensée n’est plus, que le vide s’est installé et qu’il reste à essayer l’autre moitié de l’ombre.
L’autre écriture, celle de l’essai, l’écriture dite savante, vient de l’expérience, d’une écoute plurielle, et me semble laborieuse, contenue, même si elle est toujours irriguée par un mouvement entre intérieur et extérieur, comme l’est l’écriture poétique qui joue sur les marges.
Comment travailles-tu tes écrits ?
Souvent, une amorce dérisoire mais indispensable, et puis le souffle semble monter de je ne sais où. Puis je coupe, rogne, allège, déstructure, soupèse, élargis, et peu à peu je laisse le poème m’envahir comme le rêve berce le dormeur. Je tente la voix haute. Puis j’attends. Parfois j’adresse à mes quelques lecteurs, amis de vie ou de plume, et j’attends encore. Ensuite j’oublie. Plus tard, je découvre avec l’oreille et l’œil neufs. Alors le poème s’étire ou se contracte, puis se pose.
Que t’apporte l’écriture ?
Un apaisement, toujours provisoire.
L’écriture de l’essai se situe sans doute du côté d’une sorte de jouissance intellectuelle lorsque je parviens à passer la barre, au-delà des savoirs établis.
Mais , pour ce qui me concerne, l’écriture poétique comme l’écriture de l’essai prennent appui sur la parole vive, c’est-à-dire sur la force musicale d’une voix écoutée longuement ou simplement croisée, et dont, au moment où j’écris, je ne sais plus rien. Je sais que ces voix me portent et sont la fine trame qui tient mon écriture. Elles habitent les paysages traversés, elles sont la voix d’un monde qui excède le poème et sans lequel, pourtant, elles demeureraient inaudibles.
L’écriture poétique, qui me parvient souvent dans un surgissement, me laisse étonnée, pantoise, insatisfaite, et néanmoins rassemblée pour un temps. Puis il y a tout le travail qui va suivre… C’est pourquoi j’aime aussi collaborer avec des musiciens, des comédiens, des cantatrices, afin de mettre en voix un au-delà de mes textes.
Quelle serait ta bibliothèque idéale ?
Je me méfie des idéaux ! Comment répondre ?
Une bibliothèque ressemble à une construction pierre à pierre, ou pas à pas. Comme l’écrit Antonio Machado du voyage, une bibliothèque se construit en marchant, en marchant dans son chemin de vie, celui qu’on ignore avant de l’accomplir. C’est pourquoi tout un chapitre de mon livre Archives Incandescentes traite de ma bibliothèque, dans sa composante savante, de la façon dont elle m’accompagne et dont elle me fuit tour à tour, de la façon dont je la transporte avec moi et dont je la perds tour à tour.
Mais pour essayer de répondre tout de même, je me dis que ma bibliothèque idéale serait infinie en même temps qu’elle se résumerait à une seule lettre, disparue. Ce pourrait être le E ou bien le Z.
Ou encore, je pourrai dire que j’aime le compagnonnage des livres d’artistes, la beauté fragile de la typographie ancienne, les nuances d’une gravure… d’où mon lien déjà ancien avec Dominique Limon, ou avec l’art en mouvement de Hippolyte Ludo…Je pense au magnifique travail de l’Atelier des Grames, en fait, à la matière et à l’invention des précieux nouages entre un texte et l’objet qui le contient ou le porte...aux livres que tu as composé avec des artistes plasticiens et qui produisent en moi une rêverie heureuse.
Et puis, il y a bien sûr les rencontres majeures – Edmond Jabès, Eugène Guillevic, Albert Camus, René Char, Georges Pérec… – et d’autres rencontres plus contemporaines, toujours faites de fulgurance : Antoine Emaz, Caroline Sagot-Duvauroux, Jean Louis Giovannoni... la poésie de Ghérasim Luca… plus récemment la rencontre avec l’écriture si limpide de Cécile Guivarch qui me touche tant car elle étreint musique intérieure, musicalité et texte.
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