fragments de mon chemin
Il y a ce que l’on fait tenir
à bouts de bras
ce que l’on fait tomber
avec efforts
ce qui tombera un jour tout seul
et ce qui tiendra toujours même seul.Rien ne tient hors de soi
qui marche,
un jour,
je me suis convaincu,
et ça m’a fait soleil.
Je me suis toujours dit.
Je cherche un endroit qui soit le bout d’un chemin.Où tous les pas qui en repartent se font dans la pâte du paysage, où tout fait chemin qui ne l’est pas. On traverse sans pétrir, sans tracer. Les pattes dans la pâte. Marche marchante comme il y a des meubles meublant dans l’intérieur des maisons sur les descriptifs de notaire, mais moins bizarre.
Ce qui s’offre. Se répète à offrir. Disparaît à l’instant où tu fais le geste de le caresser, pas même de le saisir.
Le paysage utopie inépuisable.
Je cherche le bout d’un chemin,
et en chemin je me dis,
Tiens, là, en dehors du chemin
ce peut-être
ce peut-être quoi ?
D’ailleurs
ce peut-être, peu importe,
et je sors du chemin,
sortant du chemin je trace sans tracer un nouveau chemin,
et là je me dis
Tiens
Ce peut-être
ce peut-être quoi
d’ailleurs ?
Et ainsi de suite,
en utopie fractalienne, entrer dans le paysage
où toute profondeur est là,
entrer là où je suis déjà
guetter les infinies différences
une retraite
infinie
dans le paysage.
Mon chemin timide
à peine se distingue
du point d’où il part
de la poussière
qu’il soulève
des rails dont
il s’écarte.Infiniment petits écarts.
Se décrocher de l’infinie dissolution du point fixe.
Je le reconnais
mon chemin
je le reconnaitrai toujours.Il est tous les chemins
à partir de là
qui croisent tous les autres
familiers séducteurs
repoussants mystères
trous de mémoire.J’ai dit cent fois
Je te quitte !
Je ne te connais que trop !
Ras-la-basket !
Autant tomber !Je songe à celà
à cette envie trompe-l’œil
de m’en décoller
de retirer mes chaussures
de mon chemin.J’ignorais qu’il pouvait m’emmener ailleurs
et qu’il était surtout le seul
à pouvoir le faire.
Je peux toujours le reprendre
je le reprends toujours
il me reprend.Il est l’oubli naturel
de tous mes oublis forcés
le découvert que je ne sais pas quitter
l’oubli de l’oubli de moi,
le rituel secret
l’accès qui rend tout lieu
tout moment
sensible
en moi.Mon chemin s’écoule
solitaire
dans la foule peuplée d’élans.Il s’évanouit
dans les habitudes
et la somnolence,
il se dissout
dans les enfermements,
pauses parfois longues
à mon chemin.Partant chaque fois d’ailleurs
je le reprends
huilé
épicé d’air nouveau
plus profond
métissé
là juste là
chaque fois du fond de l’impasse
il se déroule
tapis rouge
et m’ébranle.
Rarement je me retourne
pour le jauger après mon passage.Allégé
effilé
il est là
discret
fier
épluché
prêt
un jour ou l’autre
à se passer de moi
et de mes questions.
D’ailleurs
je remarque
lorsque je siffle
au milieu de « tout cela »
eh bien dans le buisson à côté
ça s’ébroue remue la queue
comme n’importe quel chien
sans avoir besoin d’aboyer.Et si je regarde mieux
plus loin derrière
toutes les queues se mélangent
comme des danseurs de tango
lorsqu’ils changent de partenaire
dans une rame de métro
aux heures de pointe.
Petit entretien avec Clara Regy
Quels sont les éléments ou évènements qui vous conduisent à « l’acte » d’écrire ?
Le passage à l’acte est un thème central pour moi. J’ai le sentiment que ce qui m’amène à l’acte d’écrire est ce qui m’amène à l’acte tout court, à ce qui serait sur le point de m’y amener, à ce qui pourrait m’y mener.
J’ai parfois l’impression que je provoque le passage à l’acte, ou bien que je suis provoqué à le faire. Bien plus une embuscade qu’un jeu de miroir. Il y a tout un tas de choses qui ne provoquent rien en moi, et puis soudain je regarde, et puis j’entends, et puis je relie des choses, et soudain je transpire, et il suffit d’une goutte… pour que quelque chose commence à bouger.
Il y a dans tous les cas le constat que j’arrive souvent au passage à l’acte en faisant des détours. Et que j’y reviens, ensuite, par d’autres chemins.Quels auteurs vous « portent » dans votre quotidien ?
Hum. Alors, pour mille raisons, il y a Brassens quelque part. Au centre. Non, évidemment, pas au centre. Plutôt tout autour.
Je suis moins que par le passé dans la lecture de quelques auteurs. D’une lecture à l’autre, rien ne me parait hasard dans mes choix de lecture… mais à quelques pas au-devant, je ne sais rien dire de ce vers quoi je tends particulièrement. Je peux dire néanmoins que j’aime la forme courte et fragmentaire, et que j’ai un attachement assez viscéral au récit…
Je vais plutôt citer des œuvres que je sens proches de moi aujourd’hui, désolé pour l’effet de citation en fausse mitraille. L’homme qui penche de Thierry Metz. Travaux de Georges Navel. A la ligne de Joseph Ponthus. J’ai en tête Gregerias de Ramon Gomez de la Serna, aussi ; parce que… cette forme qu’il a inventée. Des gars comme Bukowski et Autin-Grenier toujours dans un coin, pour la tonalité, la netteté de la découpe, l’humour. Gracq, parce que je n’ai commencé à le lire que récemment (quel temps perdu !). Le Roi sans Divertissement de Giono qui me hante, y compris la poésie de sa version cinématographique. Plume, de Michaux, parce qu’un texte que j’écris actuellement y fait une référence pas anodine, et Europa de Gary parce que cette écriture de la dilution est un monument, un questionnement.
Je lis pas mal de poésie contemporaine. A la fois passionnellement, à la fois méthodiquement : comme une obsession de mieux comprendre la juxtaposition des mondes. J’ai une obsession à relier. Ma lecture de la poésie est mue par cette envie. Ou par ce schéma mental...
Je viens de lire Chinatown, de Ronelda Kamfer, aux Editions des Lisières. Je ne veux rien en dire : il faut accéder directement à ces voix.Pouvez-vous nous présenter les éditions du « Facteur Galop » ?
On parlait de passage à l’acte ; eh bien voilà. Un jour que nos vies étaient confinées. Un autre jour où le sentiment que l’entre-soi avait pris la main sur le cours des choses. Le constat qu’écrire ne suffit pas, que c’est trop hygiénique. Et puis : un soudain ressort de symbolique, de gratuité, de renversement, de marche… Et d’amitié : faire quelque chose en bande pas trop organisée.
Le Facteur Galop, c’est un éditeur de livres à semer. Livres courts, conçus pour que l’on ait envie de les semer et de les ramasser, des textes écrits avec l’idée vissée de partager, d’ensemencer, de transmettre, d’inscrire dans le paysage, de créer des aléas. Il y a plus un geste qu’une ligne éditoriale.
Nous nous sommes amusés à mettre en avant notre « valeur marchante ». L’idée a plutôt séduit… mais le succès n’empêche pas l’équilibre financier très précaire de l’association. Nous n’avons pas la preuve que nos livres ont fait le tour du monde, mais nous savons que certains ont atteint l’Amérique, d’autres l’Afrique.
Nous avons publié six livres à ce jour en deux séries. Pour quatre de nos auteurs, il s’agit de leur première publication : Amélie Bertholet-Yengo (Les Comportements du doux), Corinne Guerci (Les Petites Lumières bleues), Noémie Gallet (Novembre) et Nada Issa (-Mnésie). Les deux autres auteurs étaient déjà publiés ; un livre chez Bruno Guattari pour ce qui concerne Manuel Reynaud-Guideau (auteur de Slum chez le Facteur). Et toute une ribambelle chez Phi, Jacques Flament et maelstrÖm pour Florent Toniello (dont nous avons publié Mélusine au gasoil).
Nous travaillons actuellement à la publication de notre troisième série… Trois nouveaux livres arriveront cette année, si les phynances le permettent...
Pour ceux qui se posent la question : on rejoint le mouvement du Facteur soit via sa campagne de financement participatif (Helloasso), soit grâce à l’amitié de quelques libraires pas trop loin de son nid : La Virevolte à Lyon 5ème, La Voie aux Chapitres à Lyon 3ème, Le Bal des Ardents à Lyon 2ème, Ouvrir l’œil à Lyon 1er, et enfin Lettres à croquer (Villeurbanne).Et pour conclure, l’habituelle question : si vous deviez définir la poésie en 3 (ou 4) mots, quels seraient-ils ?
J’avoue que, sans faire le moins du monde une pirouette, j’aime surtout l’idée qu’elle échappe aux définitions. Alors : l’échappée. J’ai pensé à d’autres mots. Mais sitôt dits, ces mots, j’ai préféré les oublier pour l’idée d’en chercher d’autres. C’est ça, la poésie.
Thomas POURCHAYRE vit à Lyon depuis une vingtaine d’années. Il est fasciné par le sujet du choix, du passage à l’acte, des infinis intermédiaires. Pendant une douzaine d’années, il s’est uniquement consacré aux formes courtes, nouvelles d’abord puis poésie. Peu à peu ce choix de forme est devenu un choix de fond : il travaille aujourd’hui à des œuvres plus longues, mais toujours avec une base fragmentaire. Il fait partie de l’équipe fondatrice du Facteur Galop, maison d’édition de livres à semer qui a déjà publié six livres.
NOUVELLES
- Eve et l’Ange (ou la gravité négociable), nouvelle parue en août 2021 aux Éditions Abstractions
- Petite Princesse du Silence, parue en décembre 2019, version audio interprétée par Catherine Gautier, chez 15K éditeur* (sél. livre audio de février 2020 de LIRE Magazine)
- Tire, tout viendra, parue en juin 2017, version audio interprétée par Manu Grimo, chez 15K éditeur*
* indisponibles depuis décembre 2020, date de fermeture des éditions 15KPOÉSIE
- Le Dernier livre du monde, recueil paru en mai 2021 aux Éditions Gros Textes.
- Du Chaos et de la bonne digestion des choses, recueil paru en avril 2022 aux Éditions Abstractions.
THÉÂTRE
- Le Brunch des Généraux, pièce en un acte unique, suite-hommage du Goûter des Généraux de Boris Vian pour le numéro 5 de la revue Daïmon en octobre 2020.