Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Béatrice Machet

dimanche 23 avril 2017, par Cécile Guivarch

Extraits inédits Série des « quelque chose »

1

Quelque chose. Comme tentation. Pour un paysage. Sans carte. Une rivière tortueuse. Au passé entendez : torturé. Donc paysage blessé. En jaillit un endroit d’où vous embarquez pour le voyage d’une vie. Il déploie ses racines dans le poème. Les fruits un jour mûris dans l’espace illimité. Âmes ou cœurs offerts pour inclure l’étranger qu’un jour vous avez été.

2
Quelque chose de l’écriture. Donc au sujet de la ponctuation. Points comme des funambules. Dans cet essai graphique quelque chose comme partager. Quelqu’un grave en moi désir-tendresse et reconnaissance. Je ne compte pas les nombreuses virgules les nombreuses questions et exclamations envoyés dans mon organisme. Je jure qu’il n’y a pas de point. Pas de fin à ce quelque chose à ce quelqu’un que j’apprends à connaître et à aimer.

3
Quelque chose. Un fil. Une ficelle dit-il. Celle qu’il aurait tendue depuis l’endroit où il se trouve jusqu’au ciel où des poulies dans les nuages l’auraient conduit. Avec un papillon—le dernier de la saison—au-dessus de mon lit tout près de mon visage. Ce sont là ses caresses ses vœux de bonne nuit et de beaux rêves pour moi. Lui. Celui qui soulève tant de joie en moi— mon organisme mon être. Papillon n’est pas hameçon et vœux ne sont pas infortunes ça tout le monde le sait. Donc quelque chose en réponse que je lui promets : je te danserai jusqu’à la fin de l’amour et je verr-saurai ce que les limites ne me faisaient qu’entrevoir.

4

Quelque chose. On dirait “devraitude”. Quelque que soit le glissement effectué dans la conscience ou la sensibilité. Nouveauté comme un devoir pour que les formes soient transformées. L’intuition comprise à ne pas juger fantaisie prétentieuse. Suivre au pied des lettres ce que langage structure pour mieux échapper. Pas au sens pas même moral non mais dans l’ouvert pour qu’exclusivité se renverse et dans ce mouvement inclue. Quelque chose exigeant d’être réalisé comme vous l’entendez. De cela quoi peut être transmis ? Processus de traduction comment cela devrait-il être écrit ? Raconté ? Partagé ? Et pour finir quelle part de création ?

5

Quelque chose. Boréal. Entre lumières et froid quand le ciel et la terre pareillement givrés. Des éclairs de glace et de couleur bientôt éclipsées. Quelque chose à l’aurore. Une mémoire peut-être. En bouquet.

6

Quelque chose. Si quelque chose. Qui améliore la compréhension. Ou mieux l’acceptation des faits. D’hiver. De la vie. Vous voyez ce que je veux dire n’est-ce pas. Ces incidents anodins qui prennent tant de relief dans les mémoires enfantines. Le genre d’événements anecdotiques tels que les cabanes en bois brûlées dans un parc aux abords d’une plage. Tournée vers le sud. Pinède et ajoncs jusque dans la mer. S’ennuyant comme des cieux sans vie. Pourtant quelque chose comme le vent. Ou mieux : l’idée du vent.

7

Quelque chose. Pour que s’ouvre le tiroir. Afin de donner de l’air aux secrets. Comme des paroles empêchées que la bouche de votre mère n’aurait jamais prononcées … trop de raisons à cela donc mieux vaut les taire. Toujours. Néanmoins soyez généreux. Au nom de la charité assurez-vous de bien ventiler l’endroit où ils sont allongés.


Auteure de dix recueils de poésie en français, deux en anglais, traductrice des auteurs indiens d’Amérique du nord ; également auteure et « bricoleuse » de nombreux livres d’artistes dont certains ont été exposés (au Carré d’art à Nîmes, à la Maison de l’artisanat d’art à Marseille). Elle dit souvent que la pratique de la danse lui a « tout appris ». Elle performe, donne des récitals poétiques en collaboration avec des danseurs, compositeurs, bruitistes et musiciens, parfois même des plasticiens (vidéastes, peintres). Collabore à l’aventure de poésie sonore Ecrits-studio relancée à Lyon autour de Patrick Dubost, en automne 2016. Collabore également au projet 365+1 et Project 52 aux côtés du poète Australien Kit Kelen. Collaboratrice régulière de la revue Les Carnets d’Eucharis, elle tient également une rubrique appelée un regard sur la poésie Native American sur le site Recours au poème.

Publiée entre autres chez l’Amourier (J…, Muer), VOIX (DER de DRE), le petit Véhicule (Salse sans pareille), SD éditions (MELISMA)… A paraître : POESIE DU DERNIER SOUFFLE (éditions du Frau 2017). Pour les ouvrages bilingues : ASM Press (Macao the Grey Epic, 2014 ; For Unity, 2015) Pour les traductions : L’Attente (Cartographie Cherokee de Diane Glancy), chez RAP (Vent sacré, anthologie, 13 femmes poètes Indiennes d’Amérique contemporaines sur 3 générations) ; chez ASM Press (Trickster Clan, anthologie, 24 poètes Indiens d’Amérique du nord) ; mais aussi chez Wigwam (Humour plus ou moins comique de Maurice Kenny, pour Iron woman de Diane Glancy) et Voix (Pas de frontière, de Joseph Bruchac). Elle est également un des trois tiers de Malibert, auteur au triple visage, qui expérimente l’écriture collective sous la bannière du « nouvoiement ».

Varoise d’adoption, elle a vécu plusieurs années aux USA, elle a participé au programme de creative writing workshops aux côtés de la poétesse Kate Daniels et du poète Rick Hilles, à l’université Vanderbilt de Nashville, Tennessee. Elle a passé trois ans et demi en Chine, ayant obtenu un « visiting fellowship » de l’université de Macao où elle a enseigné dans le programme d’écriture créative. Elle donne des conférences au sujet de la littérature des Indiens d’Amérique du nord, offre des master-classes (Conservatoires de théâtre, universités). Elle accorde une grande attention à l’oralité et au travail de la voix, d’où son invitation aux festivals (en France et à l’étranger) tels que Lodève, Les voix vives de la méditerranée à Sète, Les petits toits du monde, Expoésie, The book Road festival, The Fringe festival, Les polyphonies, entre autres.


Mini-entretien de Béatrice Machet avec Clara Régy

Sais-tu quand l’écriture t’est devenue « indispensable » ?

Enfant et adolescente, je lisais vraiment beaucoup et j’aimais tout, tous les genres y compris des études littéraires et des essais philosophiques, je dévorais les livres en fait. Je m’essayais à la peinture aussi, j’adorais les mélanges de couleurs, j’adorais les collages et l’utilisation de matériaux divers, tissus, bois, laine, liège… Mais ma passion était la danse. A 13 ans, j’écrivais pour moi des carnets où les poèmes tenaient la plus grande place. A 15-16 ans, j’ai compris que la danse ne serait pas exactement mon medium d’expression et j’ai écrit de plus en plus. J’ai arrêté la danse classique et j’ai suivi des stages de danse contemporaine, mais le virus de l’écriture m’avait gagnée et je sentais bien en moi que, lorsque j’écrivais, je dansais, et que lorsque je dansais j’écrivais encore… j’écrivais en corps donc ! Le souffle était mobilisé tout entier et il me fallait le mettre à l’unisson du mouvement gestuel comme de la parole, qui soit en découlait, soit l’avait initié. Je me sentais jouer avec la justesse, c’était une façon de rétablir un « être au monde » déséquilibré par les pressions scolaires, familiales, puis universitaires. Et en effet, à partir de l’âge de 16 ans, l’écriture m’est devenue indispensable.

Peux-tu nous présenter les différentes cordes de ton arc d’écriture ? Poésie sonore, participation à une anthologie en anglais et tout ton soin – ton amour pourrait-on dire – pour les écrits amérindiens ?

L’écriture pour moi se décline selon plusieurs axes, c’est vrai. J’ai toujours mêlé à ma pratique « solitaire » de l’écriture, des collaborations avec des artistes de toutes les disciplines qui ont accompagné mes lectures ou récitals poétiques. Ce qui fait que j’adapte mes textes écrits « pour le livre » en des versions qui m’autorisent la performance (dansée, peinte, mise en musique...). Aujourd’hui je me sens attirée et proche de la poésie sonore, d’où ma participation à l’aventure Ecrits/studios qui rassemble une vingtaine de poètes travaillant ensemble par sessions pour produire des pièces sonores. Chaque poète enregistre, monte sur l’ordinateur, crée à partir de son texte une pièce destinée à être diffusée. Le plus souvent la diffusion s’effectue avec, en direct, la présence du poète, qui intervient en ajoutant sa voix sur le montage déjà réalisé, ou en ajoutant des images, vidéos, musique… L’aspect laboratoire et l’entreprise collective m’apportent beaucoup, j’aime explorer différentes pistes et différentes possibilités de travailler avec ma voix.

D’autre part, et ce depuis 7 ans, j’écris au quotidien en anglais. J’ai eu « l’audace » de faire publier des textes en anglais puisque je maîtrise cette langue et que j’ai une assez bonne connaissance de la littérature anglophone contemporaine. J’ai déjà deux livres bilingues à mon actif, des textes publiés en anglais dans des anthologies (en Ecosse et en Australie) et je continue de travailler avec un groupe de poètes australiens. Cela me stimule et m’amuse beaucoup. L’anglais me permet d’exprimer des choses différentes, de jouer avec les proverbes, avec les expressions idiomatiques. J’explore, sans a priori ni inhibition, les possibilités syntaxiques et sémantiques de l’anglais, et ainsi lui apporte modestement de par ma culture française, une autre dimension, une autre approche poétique. Et dans tous les cas ma tête travaille dans les deux langues, parfois même en simultané.

La troisième activité d’écriture est liée à l’exercice de la traduction. Par affinité, par choix, par engagement, j’ai entrepris la traduction des auteurs contemporains qui ont la particularité d’être indiens d’Amérique. Je suis imprégnée de leurs cultures depuis longtemps maintenant, et j’ai fait paraître trois ouvrages anthologiques consacrés à ces auteurs. Trois autres livres de nature anthologique sont en préparation. Des extraits de recueils, des textes et des poèmes sont parus dans des revues, j’écris des articles sur des auteurs (par exemple aller voir « un regard sur la poésie Native American » sur le site Recours au poème), je donne des conférences… J’ai aussi traduit in extenso les recueils de certains auteurs et continue de suivre les actualités littéraires, mais pas que, qui concernent les Indiens d’Amérique du nord. Diffuser le travail de ces auteurs me semble très important, côtoyer ces personnes et leurs écrits m’a beaucoup enrichie, de telle sorte que l’univers indien est devenu mon paysage mental.

Et donc cette écriture est-elle ritualisée ou « multi-ritualisée » ?

Est-ce que mon écriture est ritualisée… multi ritualisée… ? Je dirais oui, cependant pour développer et répondre à cette question, j’ai besoin de cadrer un peu et désigner ce dont il s’agit dans un contexte avant tout humain. En gros je dirais que l’existence collective repose sur un enchevêtrement de rituels dont la fonction est de réguler les relations et les rapports à soi, aux autres, au monde, à la mort, à la souffrance, au pouvoir… à l’autre, l’au-delà… à la démesure, à la folie, etc. Certainement qu’inconsciemment nous habitons les rituels comme ils nous habitent et qu’ils révèlent une part sensible de notre identité. Ils sont capables de matérialiser, exprimer, symboliser, manifester les sentiments et ils tissent à coup sûr nos liens sociaux. Ils font sens. Ils prennent toute leur importance dans des situations à forte charge émotive. Et cela se vit sur le mode de la retenue ou de la dépense selon les circonstances, qu’il s’agisse d’une fête débridée ou de funérailles, etc. Ce vécu émotif est (se doit d’être) éprouvé comme une révélation de sens qui permet de mieux supporter les conditions de vie, la mort, la souffrance, les petites et grandes frustrations, les blessures intérieures et les insatisfactions existentielles. Nous savons tous pour en avoir fait l’expérience que les émotions vécues en commun créent et cimentent « l’être ensemble ». Le senti fait sens parce qu’il fait lien et il procure un réconfort dans le partage des émotions, dans le sentiment d’être compris par les autres. La « légitimité » des rites résiderait dans le fait qu’ils cherchent à créer ce senti commun. Ils obligent des personnes à vivre en même temps les mêmes sentiments. Cela contribue au sentiment d’exister, d’appartenir à quelque chose de plus grand que soi, à quelque chose qui rend « puissant », qui donne des raisons de vivre, les rites inscrivent donc les individus dans une identité collective. Par les sentiments convoqués, les rites mettent en jeu le rapport entre la singularité d’un sujet et l’universel du collectif. Ils donnent à vivre ce qu’il y a de commun entre nous, tout en soulignant ce qui nous différencie des autres. Après ce long rappel je peux donc affirmer que oui, mon écriture est rituelle, ritualisée puisqu’en rapport avec sens, symboles, être au monde, partage, etc… et qu’elle l’est avec plus d’intensité encore quand je l’ancre dans le paysage mental devenu mien, à savoir l’univers amérindien, beaucoup plus tourné vers le collectif et le plus grand que soi, vers le cosmos en entier, vers une forme de mystique, que ne l’est la mentalité occidentale. Ecrire avec cette conscience-là, traduire, dire, oraliser, sonoriser ma poésie, performer, converser avec le public, rencontrer mes éventuels lecteurs ou spectateurs, signer des dédicaces, tout cela relève de la cérémonie bien entendu, je le vis, en légèreté mais concentrée, sur ce mode en effet.

Quels sont les auteurs qui t’accompagnent dans ton parcours de lectrice ?

Je lis énormément et j’essaie de rester curieuse de tout ce qui s’écrit dans le champ poétique, pas exclusivement poétique, cependant et faute de temps, essentiellement. J’essaie de suivre la poésie contemporaine anglophone, hispanophone et francophone, ce qui est énorme ! Les auteurs qui m’ont marquée et ont déclenché le désir d’écrire sont (liste non exhaustive !) : René Char, Mallarmé, Rimbaud, Verlaine, Tristan Corbières, William Carlos Williams, Franck Bidart, Gertrude Stein, Nicole Brossard, FedericoGarcia Lorca, De la Cerna, J. Guillen, Pascal Quignard, Cioran, Nietzsche … Et ceux qui continuent de m’accompagner ont pour nom E.E. Cummings, Emily Dickinson, Layli Long Soldier, Diane Glancy, Antonio Gamoneda, Bernard Noël, Danièle Collobert, Roberto Juaroz, Gerald Vizenor, Natalie Diaz, Casandra Lopez, Sherwin Bitsui, Dani Orviz … Pour ce qui est de mes collègues francophones immédiats, je suis (du verbe suivre !) et aime lire, pour toutes sortes de raisons très variées : Régine Destambel, Valère Novarina, Philippe Beck, Patrick Dubost, Hélène Sanguinetti, Florence Pazzottu, Valérie Rouzeau, Albane Gélé, Edith Azam, Pauline Catherinot, Claude Favre, Claude Ber, Claudine Bohi, Brigitte Beaumié, Christian Prigent, Charles Pennequin, Philippe Jaffeux, Dominique Quelen, Mickael Glück, James Sacré, Antoine Emaz, Jacques Ancet, Sylvie Durbec, Sandrine Cnudde, Yann Mirales, Sophie Braganti, Nathalie Riera et d’autres de façon plus épisodiques mais avec plaisir aussi comme Raphaël Monticelli, Liliane Giraudon, Maxime Hortense Pascal, Pierre Guéry, Patrick Sirot, Cédric Lerible, Marlène Tissot, Frédéric Houdaer, Louise Dupré, Danièle Fournier, Geneviève Liautard et Geneviève Bertrand, Lou Raoul… d’autres noms m’échappent, et que les non-cités m’excusent !... enfin je lis énormément !

Pourrais-tu définir ta poésie en 3 mots ?

En strictement 3 mots : voix-rythme-langage.

Sinon : recherche de vibration, mise en écho, en résonance, qui permette un partage de sensations, émotions, expériences, sur un autre niveau que purement informatif et communicationnel… cela touche donc des ressorts que je dirais « spirituels », avec un aspect « prophétique » de révélation, d’éveil, de découverte et de bouleversement des repères. Le tout grâce à un travail dans la langue, qui est triturée, creusée, remuée comme une terre afin que lève une moisson… opération qui vise à « nourrir », avec, en l’exécutant, un sentiment de reconnaissance pour la vie capable d’intensité, d’approfondissement, et qui m’emmène vers le meilleur de moi-même. Le but avoué serait de mettre en harmonie ce qui est ressenti comme l’intérieur et l’extérieur, se sentir faire un avec « le grand tout », et cela n’implique pas une poésie désincarnée, qui oublie les problèmes humains ou sociaux ou politiques ; c’est ancré dans une réalité du monde à éprouver de tous ses sens et de toute son intelligence, de tout son cœur, dirais-je si ce terme n’était pas galvaudé. Disons au minimum : avec générosité. Pour moi il n’y a pas de poésie hors du poème car c’est un travail sur et dans le langage. Etrangement les gens confondent souvent le poétique et la poésie… Si le poétique peut être trouvé, ressenti, en de nombreux domaines du sensible, la poésie quant à elle, est bien l’affaire du poète.


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