Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Laurence Fritsch

lundi 5 juillet 2021, par Cécile Guivarch

Un pont
Pour rejoindre
Un point dans le ciel

L’aube se dévoile
Au-dessus de la ligne
Blanche

Nos routes se séparent
Au soleil levant

Je vois la vie en vert

Dans tes yeux
Dans la sève du pommier
Dans les vagues normandes
Dans le romarin odorant
Dans l’asperge sauvage
Dans les gorges de Galamus

Je bois une menthe à l’eau

Les miroirs chatoyants de la vie
Les arbres et les feuilles de la pensée
Le vertige des herbes agitées
qui disparaissent
poudroyant, le lichen sur la pierre, l’amour
même l’éternité n’est pas pour toujours

Sa voix devenue clapotis
Reconstituer la mère
ses bras dans les vagues
A l’âme
des bleus des verts des outremers
un océan de souvenirs
de l’anthracite au bout des doigts
sa voix devenue gravier galets pierrailles
fatiguée de tordre un temps humide

j’écris

reconstituer la mère
sa voix devenue présage
ses pieds dans le sable
enfoncés
des gris des briques des quartz
une mer de nuages
des remous dans le ventre
sa voix devenue songe murmure rumeur
poreuse à tous les fantômes

La voix verticale de la pluie
Égrène des mots sibyllins

Un temps à ne pas mettre les murs dehors
Seuls les chemins sont libres d’aller là où ils veulent

La ligne durcie des ombres
Trace des frontières enténébrées

Poreux de silences retenus nous grandissons
Personne ne ramasse les débris du brouillard

Les nuages se bousculent pour rentrer chez eux avant la nuit
Sur les pavés gris oubliés par les nues
J’écoute la mort et le recommencement

Les pierres diront ce qu’elles ont sur le cœur
Restent parfois une broderie quelques traces
Je lui parle dans les interstices

Les papillons d’ombre comme une pensée secrète
se dédoublent sur le plafond redevenu sol
je lui demande : - quelle espérance ?

Le vent courait plus vite que toi
Les mots étaient noirs
Ma mère est morte
Je la retiens comme les larmes que je ne peux pas verser
Derrière la muraille de l’alphabet
Poussent des herbes folles
Fouettées par
Le vent courait plus vite que toi
Le silence était blanc
Ma mère est morte
Mon sang se jette dans la mer d’où jadis je suis sortie unicellulaire
Les mots ne sauvent pas, ils retardent un peu la fin
A force le mur ne surprend plus

Les pierres dépourvues de chemin
Dans l’immobilité s’essoufflent
Aulne transparent, tes cheveux au vent
Mon cœur pleure de vivre en février
Quand le soleil brille au-dessus
Des pierres dépourvues de chemin
Quand nul ne connaît la route de l’autre

 

Entretien avec Clara Regy

Qu’est-ce que la poésie représente pour vous ?

La liberté. La liberté de création. La vie. Une vision. Chaque poème est un espace clos où tout est disposé, à disposition. Comme un tableau, comme une photographie. Avec la liberté pour chacun d’interpréter, de comprendre, de ressentir ce qu’il perçoit de ce fragment de vie. C’est aussi une ouverture vers l’autre, vers d’autres univers, un pont, un échange. Un poème est lumière dans un pays d’ombre. La poésie s’impose à vous comme un besoin irrépressible, elle est contenu et contenant, concentré et condensé, elle fait sens.
Cela me fait penser au poème de Lionel Ray dans Comme un château défait :

« A quelle frontière d’écriture irions-nous
Qui ne connaissons pas même nos proches gisements
Et quels savoir celui du sang ?

Nous voici parmi les désastres et prodiges
Dans les mains impalpables du temps.

Quelle est cette faim en nous
de partir, de gravir,
de remonter ces marches de l’ombre ?

Je pourrais aussi citer l’Art poétique d’Octavio Paz qui m’est cher ou encore la déclaration de Saint-John Perse lorsqu’il a reçu le prix Nobel de littérature en 1960 : « Car si la poésie n’est pas, comme on l’a dit, « le réel absolu », elle en est bien la plus proche convoitise, la plus proche appréhension, à cette limite extrême de complicité où le réel dans le poème semble s’informer lui-même. » Pour Saint-John Perse, la poésie, « fille de l’étonnement », elle est aussi « action, passion, puissance, et novation toujours qui déplace les bornes. L’amour est son foyer, l’insoumission sa loi, et son lieu est partout, dans l’anticipation. Elle ne se veut jamais absence ni refus ». Elle est lumière, comme je le disais : « L’obscurité qu’on lui reproche ne tient pas à sa nature propre, qui est d’éclairer, mais à la nuit même qu’elle explore, et qu’elle se doit d’explorer : celle de l’âme elle-même et du mystère où baigne l’être humain. », poursuit Saint-John Perse. Enfin, le poète est celui « qui rompt pour nous l’accoutumance », « il est la mauvaise conscience de son temps ».

Avez-vous besoin de lieux, de moments particuliers pour écrire ?

Non, pas particulièrement, j’écris partout, à tout moment, lorsque l’idée, l’image, la musique vient. Si je n’ai pas de carnet, je prends des notes dans mon téléphone. J’écris souvent le matin ou le soir, car le reste de la journée je travaille, quotidiennement car je publie un poème par jour sur mes comptes Facebook et Instragram. Lorsque je n’ai rien pour noter, je perds pour toujours cette image fugace, cette fulgurance de la pensée…

Qu’entendez-vous par « couleurs » de la poésie ?

Depuis longtemps, les mots de couleur me fascinent. Leur sonorité, leur texture, leur exotisme : zinzolin, smaragdin, bistre, pralin, ponceau… J’ai commencé par le Dico des mots de la couleur de Colette Guillemard, puis le Dictionnaire des mots et expressions de couleur d’Annie Mollard-Desfour, linguiste, qui a longtemps travaillé au CNRS, et qui a édité plusieurs dictionnaires par couleur : le rouge, le bleu, le rose, le noir, le blanc, le vert, le gris et le violet qui n’est encore jamais paru… Sans oublier les ouvrages de Michel Pastoureau, Les couleurs de l’Occident d’Hervé Fischer ou encore Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier de Kandinsky. Le recueil, que je cherche à éditer, Dans le champ des amours, joue sur cette correspondance entre émotion, forme et couleur. L’amour est jaune, rond, la forme des poèmes est déstructurée ; le désamour est un polygone indéfini, gris et les poèmes sont en prose.
J’admire Philippe Jaccottet et James Sacré pour leur art de mettre dans la couleur dans leur poésie : « Et le vert qui persiste dans le lierre et dans l’yeuse » ou « ces troncs charbonneux, couverts de lichens bleuâtres, on croirait qu’ils diffusent de la lumière » (Paysages avec figures absentes, Gallimard/Poésie) ; « Le cœur qu’on a eu est une petite chose calcaire et rouillée qu’on écrase » ou « troncs clairs dorés par les lichens, et tout le jaune des fleurs dans le pré mouillé » (Le poème n’y a vu que des mots, éditions Le Dé bleu)

Vous vouliez aussi nous parler de Marguerite Gillot...

Oui, j’effectue des recherches sur cette poétesse peu connue, depuis plusieurs années, avec le projet d’écrire un récit biographique. Le point de départ date de 2016 et l’exposition à Paris au Jeu de Paume Guillaume Apollinaire, critique d’art. A l’entrée se trouvait le grand tableau de Marie Laurencin Guillaume Apollinaire et ses amis de 1910 que l’on peut voir au Centre Pompidou à Paris. Sur ce tableau, Gertrude Stein, Fernande Oliver, une muse non identifiée, Guillaume Apollinaire, Picasso, la poétesse Marguerite Gillot, Maurice Cremitz, plus connu sous le nom de Maurice Chevrier et Marie Laurencin. Je n’avais jamais entendu le nom de Marguerite Gillot avant de lire la légende de ce tableau. J’ai retrouvé les premiers éléments dans un ouvrage d’Emmanuelle Retaillaud Mireille Havet, l’enfant terrible tiré de son journal édité par Claire Paulhan. Interrogée Emmanuelle Retaillaud n’en savait pas plus. D’autres éléments trouvés sur le site de la BNF la lient à la revue Vers et prose éditée entre 1905 et 1914 par Paul Fort. Des poèmes de Marguerite Gillot y furent édité. J’ai fini par trouver ses dates de naissance et de décès, et des preuves tangibles qu’elle fut la maîtresse de Paul Fort à peu près à la même période que celle de la liaison entre Marie Laurencin et Guillaume Apollinaire, qu’elle fréquentait sur la butte Montmartre, ce qui explique qu’elle se retrouve sur le tableau peint par Marie Laurencin.

Quels sont les auteurs et autrices qui vous semblent essentiels ?

Emily Dickinson, Anna de Noailles, Sylvia Plath, Silvina Ocampo, Venus Khoury-Ghata, Estelle Fenzy, Charles Baudelaire, Pierre Reverdy, Jean Tardieu, Guillaume Apollinaire, Rilke, Antoine Emaz, Thierry Metz, Lionel Ray… et tant d’autres poètes. Pour la littérature, Balzac, Maupassant, Süskind, Camus, Duras, Modiano, Pirandello, Coetzee, Lobo Antunes, Saramago, Somoza, Waasmo, Togarczuk…

3 mots et cette fois-ci seulement 3 pour définir ce qu’est la poésie pour vous ? (L’habituelle question...)

Liberté, vie (dans le sens, se sentir vivant), partage (dans le sens communion de pensée).

Laurence Fritsch est une poétesse française, journaliste de formation. Elle écrit très tôt de la poésie qu’elle publie sur son blog à partir de 2010. Depuis plusieurs mois, elle écrit un poème par jour sur Facebook et Instagram. Le poème est illustré par une photo prise, principalement, par l’autrice. Texte et image se répondent, se complètent pour constituer un tableau, un polaroïd traduisant un état d’âme, la fulgurance de la pensée, la beauté de la nature.

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