Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Michel Gendarme

jeudi 6 octobre 2022, par Cécile Guivarch

LES POÈMES ARRANGÉS

(Le fils du muet n’a pas la parole)
version 8

EXTRAITS

Cette poésie parle de ce qui est en lisière, de ce qui peut être vu depuis un refuge du point de vue d’un être indéfini, caché, par besoin, par survie Son refuge est une forêt dans laquelle il enfouit sa vie Dans laquelle il s’enfuit De laquelle il ne peut s’enfuir vraiment Alors il longe ce qui le sépare des hommes Les sons, les allures, les rires, les gestes, les mots séparent Voir sans être vu, entendre sans être écouté, jouer sans y être appelé L’être maudit a pour lui la confession intérieure et les actes de solitude Cette poésie exprime la crainte que le monde atteigne par trop de folie l’être démuni de naissance.
Avertissement : les mots entre parenthèses ne sont pas lus, mais leur présence est nécessaire, les mots en italiques restent ainsi.

1

les cailloux le chemin le caillou au loin puis tout près l’eau comme le blé les filles les rires un escalier la fenêtre le bois le plancher craquements la porte maman le meuble ce aussi l’étagère là et là-bas le chemin et le caillou (le) un pré et l’eau là-bas près les maisons dans cour de récréation marelle les filles (et) mais les garçons mais la cabane cris le couloir le plancher bois (la) table dessous le vase sans l’eau une chaise et les chaises le vase la rose le vase la rose coin angle mur cris la sangle les marques de la sangle sans pain dessous la table porte ouverte alouettes cailloux le la le un bel arbre pour absoudre grises les pensées une écorce la marelle loin les cailloux

des éclats de page avec des mots ça cherche avec le soleil dans la gorge

des éclats de colère bruits de noix méchantes à l’intérieur les éclairs de suite décollent

l’arc en ciel derrière le tilleul donne du mouvement, brinquebale, une histoire ça dépend du printemps

2

ciel et enfer le monde comme un œuf monde feuillu(s) en toile d’araignée l’attraper ouvrir les mains prendre l’arc du ciel boire la couleur filles garçons partis mais le ciel promet (c’est) de la peinture (des) dans les arbres avec les feuilles pinceaux la cour vide la robe d’elle sépale les filles s’étalent teintent les nuages alors j’ouvre mes paumes trois rubis même parfois un (bout) peu de l’écorce c’est un jeu brûlant le front le rouge le violet coulent (entre) filent en caresses ça résonne ruisseau de couleur de la sueur de couleur je reste sous tilleul menthe ma peau peinte (par) avec elles les filles des couleurs je les souhaite au goût soyeuse(s) au goût de sein invisible

3

à la table ne plus voir étoiles dans les yeux du brouillard un air laineux (du) faux jeux avec ma (dans) mémoire un cœur enfoui dans la terre je pensais que (mais les nuages) personne n’est que vapeur parfois une brise dans un souffle bouche un principe de légèreté les mains au ciel (se les mains) tapent à tous les vents les herbes cinglantes et les orties plus de soleil (partout) du couchant tout autour nuit du soleil cave dans la voix aux mots noirs cave dans les mains une cave dans les yeux comme dans un puits l’oiseau comme dans la cheminée (la nuit) un phare absent être avec de la lumière on voit (plus) un rien traces de ciel je dois ajuster le souvenir de lampes éclat déflagration ce qui vient (de là) dans l’ombre (il n’y pas) l’étincelle

4

une fois à l’anniversaire une fois les flammes (puis) bougies soufflées mais jamais plus (le) des cierges magiques qui flambaient le visage les petites mains menottes (qui elles) claquaient de rire rire rire puis cave jamais plus d’éclats dans le miroir des ombres fantômes maman il y a des fantômes silence il y a (des réponses) des réponses muettes (muettes) blanches pensées grises idées éteintes gommé(e)s les dessins de la couleur le bavard buvard (il) absorbe mange la rayure(s) zébrure(s) rature(s) fâché(es) dans l’angle (même) trier les souvenirs de lumière les moqueries des autres font du rire elles et eux alors petits alors je me souviens les tabliers l’écossais avec du marron une farandole multi-couleurs se moquant (avec) du rire autour de moi allongé chuté bras écartés

5

tête au plein soleil archange soleil ami amie lumière brûlant(e) yeux (grands) bras ouverts au zénith ne plus entendre les attaques le tournoiement des grimaces à rendre aveugle dans la cour des enfants je me souviens une bougie anniversaire puis plus rien souffle souffle mini bouche mon bébé adore siffle l’âge tu as hop ! passé ! de la peau soyeuse le blanc du lait tu vois tu sais maintenant tu as compris l’âge douleur l’âge qui pose des questions quand la pluie penche la flamme qui sourit avec un (de) ruban de lumière tu es drôle petit toujours de côté hein comme si comme si raté éclopé penché c’est tout les flaques dans la cave les voix sombres voix c’est pour toi tiens la bougie le point feu anniversaire c’est le paysage tempêtes du sommeil ça chante(nt) aussi ça siffle(nt) aussi noir de mémoire une impression noir de silence un noir d’attente dans maison les cris là-bas grandes espérances

6

rêves des matins déjà très tôt le soir le pourquoi pas (cette) cette électricité les membres saccadés la(o)ngueurs du sang respiration du muscle oxygène gracieuse absorber la bouche pour entrer de l’air aller loin au bout (de l’) d’ongle en ongle (naturel) sous le drap perce le soleil comme la joie la mort taché de sang du peu une croûte au genou ongle sali (sucé épargné) ça gratte peau dévalisée (contenancée) millimètres dénombrés sont (goudronnés) chahutés les fils de fer (aussi) (l)des prés à vaches les vaches ça va vite à rentrer dans les chairs (mais) le bonheur d’alors herbes hautes humides (le) secret du lieu personne personne (personne) avec les bêtes secrètes bonjour eh bonjour toi toujours (là) sûre d’être là se baisser caché non alors (dans) avec elle la joie la mort loin les écorces grandes autour mats de flottes vertes au centre du vert assis la petite bête allongé même se laisser courir dessus serpenter gratter crisser piquer dévorer comme si plier les genoux pour attendre simplement (c’est) herbes coupantes elles sifflent c’est possible

les rires du loin les filles les gars sous le tilleul de la cour les jeux éclairs du ciel à la terre les cailloux du noir gris sombre de la cave ils ne sont pas nés vers les étoiles (pas branchées) jets de lave perdus fusion blanche dans m(l)a main menotte font leurs étoiles à la mode qui me cogne (une) tête grelot un peu d’oubli tête cris tête murs à l’heure précise rentre à l’heure je mets avec les mains (et) les cailloux ils éblouissent (mains) récoltent un rayon de la vie (de) là-bas enfermé dans le secret puis l’extérieur veux plus ça cave dans trou grotte tout là-bas enfoui (ça) dans la mémoire du temps un reflet de l’avant (du) je me souviens de rien je cours (la course) dedans au loin dans grotte les arbres lueurs luisent les arbres joies les arbres foule tant si tant de branches peuple de branches

riches le ping-pong les filles les gars s’amusent le ping-pong savent connaissent parlent (de) font du sport alors font (que) de la musique et tout la la la la la la la la la ils font chez eux boums et re-boums les corps bougent ils frottent ils s’allongent ombre(s) ombre(s) d’amour je regrette regrette je ne suis plus (qu’)avec le caillou que dans tête la grotte loin dessous profond dans l’écho je sors de (quoi) la caverne à l’abri des arbres broussailles avec des rochers moussus j’éclabousse une fois je crie gueule (la bouche ouverte) grande bouche je hurle ça (à hurler) un mot beau savourer ça (à) hurler dans les arbres

(une tache) un horizon ne fait pas un horizon (décore l’)empreinte la silhouette de l’art une conception je pense que (je parle de) le paysage n’est (pas) pas comme une toile il naît un mouvement dans mes yeux quand je cours je cours avec lui il n’y a pas à dire il n’y a pas la (d’) l’altitude longitude latitude d’habitude non pas qu’un mélange lui moi (lui) il prend des directions ça virevolte un volte-face (sursaute) pas une danse non pas un calcul non (non) annule ça la vitesse neutre ça existe pas du superflu sur place mais comme si ne bouge pas alors que si bouger le monde bouge ha ! ha ! là-bas je sais ils elles marchent en bloc s’alignent bien

7

les arbres chuchotent racontent les polichinelles les secrets les arbres savent m’attrapent des portes invisibles (de) dans leurs pinces ils m’enlacent dans les nuées vers le moussu le caché le ventre un jour maman puis éternité dans le temps (d’)une forêt non pénétrée barrée des branches le grondement les sons clameurs (d)les tapages minuscules écoute mettre aux oreilles ça et respirer parler aux feuilles à l’oreille écorce tu as compris te moques aussi (pleure)

8

la cabane lune de la terre la fille qui parle ma cabane est là chante de la mousse regarde travers ronces chuchote de l’herbe lune qui console du ruisseau de la soie de la feuille flanelle du vent ô jersey du roseau de l’étrange

j’étais dans ville milieu des boulevards à vrombir (de) partout accélérations décélérations fixé à réverbère c’est puant car pisse j’étais là vague (d’) des êtres visages (pas) avec le temps des corps (pas) le temps ma parole (pas) le temps assis pas le temps debout pas le temps manger boire jouer crier alors regarder saluer dans les courants puissants

pluie parfois très forte eau elle sait tout des choses avale les gouttes je mets des cailloux pour attendre peut-être compter cinq six sept huit d’autres encore à ranger en muraille contre les gouttes bras repliés sur les genoux école là-bas au chaud (les) les enfants comptent en vrai content des histoires des images elles seraient des sons (elles) les images disent choisir de sortir oui ou non cahoter sous les torrents en rire en rires

9

j’allonge mes yeux au sol de la lune, guette des silences

la masse humaine mes sœurs et frères m’arrache m’emporte m’engloutit dans la vague loin loin dans les remugles sous les vases des villes

de toutes les nuances (des) le branchage(s) quand la pluie quand les gouttes sur le sol de la cabane un marécage ailleurs alors un marais ses pâleurs (s)les lueurs (d’) les ondes claque la goutte puis plus rien je me souviens marais interdit comme flaques interdites aussi

Entretien avec Clara Regy

Ange à nouveau, toujours dans la « poursuite » de Le fils du muet n’a pas la parole, peux-tu nous dire pourquoi ce texte te tient-il, « tellement à cœur » ? - ici je te cite-. « concrètement », même si cet adverbe me plaît peu, qu’est-ce qui a changé dans ce texte ?

Le fils du muet n’a pas la parole est une œuvre poétique considérable pour moi. C’est mon désir d’en faire une œuvre considérable. Considérable par sa forme originelle d’écriture puisque écrite en quatre colonnes sur cinquante pages, chaque colonne se lit verticalement de la page une à la page cinquante, un filet textuel dont chaque ligne comprend un à quatre mots. La thématique est identique, celle indiquée en en-tête des poèmes publiés ici. La seconde colonne est liée à la lumière, la troisième au son, la quatrième au mouvement. Puis j’ai travaillé l’écriture pour permettre une lecture horizontale de chaque page, plus ardue.
Je me trouve donc devant un matériau dont j’exploite les ressources. Il y eut plusieurs expérimentations, plusieurs versions écrites et parfois oralisées. Je compose des partitions scéniques où chaque lecteur.trice prend en charge une colonne : lecture synchrone, en solo, duo, trio etc. en vertical, à l’horizontal etc. suivant mes indications. Les partitions proposées ont des durées variables.
En ce qui concerne les poèmes publiés ici chaque extrait numéroté est composé avec des mots issus de la même page, choisis parmi les quatre colonnes, il conserve la même thématique. Chaque extrait correspond donc à une page différente. D’où leur titre Les poèmes arrangés.
J’aime que cette œuvre dure dans le temps, au fil des années j’y puise une inspiration, autre aspect considérable pour moi.

La mise en voix « musicale » avec Jean-Sébastien Mariage, est-ce d’abord un désir du poète, ou celui de l’homme de théâtre ? veux-tu que l’on mette le lien ?

Cela fait plusieurs années que je crée avec Jean-Sébastien Mariage, guitariste électrique improvisateur (mais pas que) des lectures musicales scéniques avec mes poèmes. Nous sommes dans la poésie bien que dès qu’il y a scène il pourrait y avoir une tentation théâtrale. Mais notre recherche pour Le fils du muet n’a pas la parole est celle d’une mise en situation d’écoute d’un public dans un espace et un temps conçus pour ça. L’auditeur-spectateur entend les sons de la guitare diffusés en direct par l’ampli disposé au centre ainsi que ma voix enregistrée et diffusée également en direct par les quatre enceintes. Le poète et le musicien sont face à face de chaque côté de l’ampli central, le public est réparti dans la salle. Grâce à Maurice Moncozet qui a programmé pour moi le logiciel Pure Data (issu de l’Ircam) je fais entendre à mon gré ma voix préalablement enregistrée : telle page, telle ligne, telle colonne, tels groupes de mots etc. Pour en savoir davantage, suivre le lien : http://toutcorpsdetat.fr/Le-fils-du-muet-n-a-pas-la-parole-44

J’en reviens à ma première question, dans ce texte que tu nommes « œuvre globale » tu « cherches des relations à la nature », à « l’humanité » : « un refuge » ? J’ai fait varier l’ordre de tes mots : écrire serait un refuge ? Un refuge ne nécessiterait donc pas la solitude ? Et aussi, que mets-tu derrière ce mot « humanité » ? Quant à « la nature » …
Mille choses à nous dire.

Je me réfugie en fonction du monde qui m’entoure, des autres, proches et plus lointains, des ressentis que je me fabrique.
Le refuge naturel est perdu, celui de mon enfance, de ma petite enfance, celui du ventre maternel.
Cette poésie m’invente ce refuge et permet de me « dire » en observant l’humanité, ensemble de femmes et d’hommes, ainsi que nos créations matérielles et sociales. Souvent, ce n’est pas beau. Les mots de la poésie permettent alors d’enchanter cela et de ne pas tout noircir.
Je parle à l’arbre et à la fougère, à l’insecte, alors je ne suis plus qu’un être vivant qui tente quelque chose pour être.

Tu avais proposé, anti-connerie/refuge (tiens-tiens)et gourmandise pour illustrer les 3 mots qui représentaient la poésie pour toi. Que proposerais-tu aujourd’hui ?

C’est toujours d’actualité !
anti-connerie / refuge / gourmandise

Michel Gendarme
Poète, auteur dramatique et romancier.
Membre de la Poéthèque du Printemps des Poètes. Sociétaire de la SACD. Membre des E.A.T. (Écrivains Associés du Théâtre) et de la M.EL.

Ex-membre des Comités de lecture Jeune Public et Tout Public des EAT. Ex-membre du Comité de lecture du Prix d’écriture théâtrale Le jardin d’Arlequin de Guérande

Poète publié par de nombreuses revues, plusieurs recueils édités, certains font l’objet de créations scéniques, il est programmé dans des festivals et participe à des performances avec des artistes d’autres disciplines. Plusieurs pièces éditées, créées, diffusées, primées dont certaines dans des festivals en France, au Mali, en Côte d’Ivoire, en Tchéquie. Deux romans parus. A bénéficié de plusieurs résidences d’écriture.

Bibliographie Poésie

  • Le ciel efface ses empreintes, avec Patrick Chouissa, Gros Textes 2022
  • Les enfants de moins de douze ans volent !, Les cahiers de l’égaré, 2020
  • Cadeau, une histoire d’amour, Gros Textes 2018
  • Mémoire méduse, requiem, avec CD co-écrit avec Patrick Chouissa et Hervé Brunaux, Gros Textes 2016
  • Exquises esquisses, Dessins de José Corréa, Gros Textes 2014
  • Avion Bamako, Revue Arts et Résistances n°3, Gros Textes 2010
  • Ceux qui ne connaissent pas le corps des autres, avec CD, Gros Textes 2009
  • Des rivages, Pastel de Roseline Granet, Gros Textes 2006
  • Les mots invisibles, Photographies de Irène Cerquetti, Le Non Verbal/A.M.Bx 2000.
  • Dévigation, Diffusion : Le Non Verbal/A.M.Bx

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